Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – Fête de l’Immaculée Conception - Fête du Séminaire de Paris et du Chapitre de Notre-Dame
Cathédrale Notre-Dame de Paris - mardi 8 décembre 2009
Gn 3, 9-15.20 ; Ps 97, 1-4.6 ; Ep 1, 3-6.11-12 ; Lc 1, 26-38
Frères et sœurs,
La révélation biblique nous enseigne que la victoire finale de Celui qui sera de la lignée d’Eve sur la descendance du serpent est promise dès le début de l’histoire humaine et s’accomplira selon la vision de la femme dominant le dragon dans le livre de l’Apocalypse (Ap 12). Nous découvrons pas à pas, siècle après siècle, le déroulement de ce drame qui s’est noué aux origines de l’histoire. C’est le drame de la liberté et de la capacité donnée par Dieu à Adam et Eve de décider contre son avis.
Souvent, des gens pensent que tout aurait été plus simple si Dieu n’avait pas donné cette capacité aux hommes, s’il les avait créé comme des robots conditionnés pour faire toujours sa volonté, avec un logiciel parfait, sans possibilité d’erreur ou de faute, pour reproduire imperturbablement au long des siècles un comportement conforme dans un univers sans drame et sans amour.
Sans doute au cours de l’histoire, un certain nombre d’hommes et de femmes ont estimé que ce don de la liberté était bien lourd à porter. Comme Israël en certaines périodes de l’Alliance, ils ont pu regretter d’avoir été ainsi choisis par Dieu ou souhaiter qu’il s’occupe un peu plus des autres et moins d’eux. Mais Dieu veut que l’homme qu’il a placé au sommet de la Création soit capable d’un choix et d’une offrande libre de ce qu’il possède et de ce qu’il est.
La liberté de l’homme demeure entière, et pourtant l’accomplissement et l’achèvement de l’histoire sont déjà présents depuis l’origine. Car Dieu ignore les années et les siècles. Pour lui le drame qui se noue entre le serpent et Eve et s’achève dans la vision de l’Apocalypse de la femme couronnée d’étoiles et du dragon, est une seule et même réalité.
Ce qui pour nous s’étire de l’alpha à l’oméga, est pour lui dans un éternel présent. Et c’est précisément parce qu’il connaît déjà le dénouement de ce drame qu’il a pu « prendre le risque » de doter l’homme de sa liberté.
Mais alors nous pouvons nous interroger : que reste-t-il de notre liberté si déjà tout est joué et si Dieu connaît la fin de l’histoire ? Ne sommes-nous pas dans une illusion complète s’il nous a destinés à être ses enfants dans le Christ depuis les commencements du monde quoiqu’il arrive ? Et Marie, quelle est sa part de liberté quand l’ange vient lui annoncer qu’elle mettra au monde un fils ?
A travers les siècles, beaucoup ont été tentés, comme nous pourrions l’être, de croire que tout est joué et que l’on n’y peut rien, que l’on peut s’agiter, faire des prières et se frapper la poitrine sans rien changer au cours des choses.
Mais le récit de l’Annonciation nous découvre pourtant que Marie a bien un choix à faire et qu’elle décide : « que tout se passe pour moi selon ta parole » (Lc 1, 38). Et il en est de même pour le Christ, qui au terme des quarante jours au désert fait bien un choix et pose une décision, et qui encore à Gethsémani a le choix de faire ou de ne pas faire la volonté du Père. Pour nous aussi, la liberté que nous avons reçue se déploie à travers notre histoire lorsqu’elle s’accorde avec l’éternel présent de Dieu.
Rien n’est joué définitivement tant que l’histoire n’est pas finie. « Tout est accompli » (Jn 19, 30) au moment de la mort du Christ, et cependant il nous reste à « compléter dans notre chair ce qui manque à ses souffrances » (Col 1, 24). Tout a été donné et cependant nous sommes invités à faire l’offrande de notre vie.
Tout est acquis et nous avons pourtant chaque jour à mener le combat de la liberté et à choisir la volonté de Dieu plutôt que notre volonté propre. Pour Marie, être conçue sans péché ne la rend pas moins libre mais plus libre.
Le Christ, le Fils de Dieu qui a connu en tout notre existence excepté le péché, est parfaitement libre. Notre liberté n’est pas un handicap, elle est une espérance. Les combats qu’elle nous entraîne à vivre ne sont pas coupables, ils sont notre chance d’aimer vraiment de tout notre cœur et non pas simplement d’être conforme et d’agir mécaniquement.
Notre-Dame a manifesté toute sa disponibilité dans sa réponse au message de l’ange, elle qui était « comblée de grâce et pleine de grâce » (Lc 1, 28) et sans péché.
Prions pour qu’elle nous montre le chemin dans lequel grandit notre liberté chaque fois que nous choisissons la volonté du Père plutôt que la notre et l’amour de Dieu plutôt que l’amour de nous. Puissions-nous avec elle rendre gloire pour le risque que Dieu a couru en nous faisant libres. Amen.
+André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris