Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - 40e anniversaire des pèlerinages nocturnes au cœur de la cité organisés par le mouvement « Pour l’Unité »

Saint-Sulpice - samedi 5 décembre 2009

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois
 Gn 3, 9-15.20 ; Ps 97, 1-4.6 ; Ep 1, 3-6.11-12 ; Lc 1, 26-38

Frères et sœurs,

Nous le savons, l’existence de l’homme est toute entière traversée par un combat. Le Livre de la Genèse en évoque les premiers instants à travers la confrontation entre le serpent et la femme. Dieu lui-même y révèle le sens de la présence et du dessein de mort du serpent, mais il annonce aussi le triomphe de l’humanité sur cet agresseur mortel. Mais avant que la victoire finale soit remportée, le combat se poursuit de génération en génération.

Il se déploie dans chacune de nos existences par le jeu de notre liberté. Comme l’écrit saint Paul dans l’épître aux Romains (7,15-24), nous sommes tous habités par des dynamismes contraires. Nous voulons le bien que nous ne faisons pas, et nous refusons le mal que nous faisons pourtant. Tout se passe comme si chacun était habité par deux personnes. « Il y a deux hommes en moi » dit encore Paul. Cette cohabitation de désirs opposés qui s’expriment par des actions contraires manifeste à la fois la dignité et le drame de notre existence. La grandeur de la vie humaine est bien de pouvoir choisir et de pouvoir décider d’accomplir le bien, et en même temps nous devons chaque jour mettre en œuvre d’une manière toujours nouvelle les moyens de faire le bien et d’être fidèle à Dieu. Chacun et chacune d’entre nous fait l’expérience de ce combat, plus ou moins consciemment et sans savoir toujours le dire.

Mais ce combat n’est pas simplement celui de la liberté individuelle au cœur de nos existences. C’est aussi le combat de tout le genre humain pris dans un double mouvement qui permet simultanément que se développent les capacités humaines et que les hommes et les femmes de la terre progressent et vivent mieux, et dans le même temps que continuent à sévir la violence entre les hommes et entre les nations.

Les deux dimensions de ce combat, celle qui apparaît dans les livres d’histoire et l’inventaire des luttes qui ont marqué les aventures humaines, et celle du secret de notre combat intérieur et de l’exercice de notre liberté, ces deux formes simultanées du combat nous donnent une indication sur la manière de cheminer et de progresser vers la paix. Quand nous prions pour la paix et pour l’unité entre les hommes, nous ne prions pas simplement pour que disparaissent les violences et les combats qui traversent la vie des peuples et des nations. Nous prions aussi pour que cesse le combat qui habite notre cœur et travers chacune de nos existences. Nous ne pouvons pas prier réellement pour la paix et pour l’unité en faisant l’impasse sur le combat qui a son siège en nous et dont nous sommes les premiers protagonistes.
combat nous donnent une indication sur la manière de cheminer et de progresser vers la paix. Quand nous prions pour la paix et pour l’unité entre les hommes, nous ne prions pas simplement pour que disparaissent les violences et les combats qui traversent la vie des peuples et des nations. Nous prions aussi pour que cesse le combat qui habite notre cœur et travers chacune de nos existences. Nous ne pouvons pas prier réellement pour la paix et pour l’unité en faisant l’impasse sur le combat qui a son siège en nous et dont nous sommes les premiers protagonistes.

Si nous prions pour la paix, si nous prions pour que chacun convertisse son cœur et en même temps pour que la paix s’établisse entre les peuples, c’est aussi parce que nous avons appris du Seigneur que la véritable paix, comme la véritable unité, sont des dons que Dieu fait aux hommes avant d’être des réalisations des hommes. Chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie, dans la prière après le Notre-Père, le prêtre dit : « Seigneur Jésus-Christ, tu as dit à tes apôtres je vous laisse la paix, je vous donne ma paix, ne regarde pas nos péchés mais la foi de ton Église, accorde-lui cette paix et conduis-la vers l’unité parfaite toi qui règne pour les siècles des siècles ». Cette prière reprend le texte même de l’évangile de saint Jean. Elle nous fait comprendre que la paix et l’unité auxquelles aspirent l’Eglise et les disciples du Christ, comme la paix et l’unité que désirent les peuples du monde, ne sont pas simplement le résultat d’une cessation des combats qui serait imposée. En effet, l’actualité nous montre chaque jour que l’on peut s’interposer entre des gens qui veulent s’entretuer. C’est le rôle de ceux qui sont envoyés pour faire obstacle entre les forces en présence. Mais nous savons aussi que cette façon d’empêcher la violence, si elle est nécessaire, n’établit pas la paix des cœurs. Elle permet simplement le silence des armes, ce qui n’est pas la même chose. De même la paix au cœur de l’homme ne s’obtient pas simplement en réduisant ses capacités à agir et à exercer sa liberté. Car cela lui évite de faire du mal, mais l’empêche aussi de faire du bien. Ce n’est pas la paix intérieure, c’est le silence du cœur. La paix que Jésus donne à ses disciples, et que nous lui demandons dans notre prière n’est ni le silence des armes ni le silence du cœur. Elle est la plénitude de la réconciliation que Dieu promet dès le Livre de la Genèse au moment du premier péché. Le don de cette paix fait partie du dessein de Dieu dès avant la création de l’homme de conduire l’humanité à la plénitude de la sainteté, comme nous l’avons entendu dans l’épître aux Éphésiens.

C’est bien par la Vierge Marie, dont nous célébrons l’Immaculée Conception, que nous pouvons faire cette prière. Marie n’est-elle pas précisément au cœur de l’humanité l’icône de cette plénitude de la paix et de l’unité que Dieu veut donner à toute l’humanité ? Selon notre foi chrétienne, cette grâce ne lui vient pas de ce qu’elle aurait avant les autres gagné ce combat, mais de ce qu’elle en a été préservée. Elle a été préservée du péché et conçue immaculée, ce que l’Ecriture exprime dans la salutation de l’ange : « Réjouis-toi, pleine de grâces » ou « comblée de grâces » (Lc 1, 28). Ceci signifie que dans le cœur et la liberté de Marie il n’y a pas de place pour le désir de faire le mal ou de détruire la vie que Dieu donne.

Marie, première bénéficiaire de la Rédemption du Christ, annonce l’avenir auquel nous sommes appelés et vers lequel nous sommes conduit par les chemins que Dieu tracent à travers l’histoire des hommes. Depuis notre première enfance, chaque fois que nous disons le « Je vous salue Marie » nous affirmons à nouveau notre espérance : le combat des forces contraires qui habitent l’histoire de l’humanité est déjà gagné dans le Christ, et cette victoire est déjà perceptible et présente dans l’existence de Marie comblée de la plénitude de la grâce. Et c’est aussi pourquoi nous ajoutons à la première partie de cette prière composée de phrases tirées de l’Evangile, cette demande : « Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs maintenant et à l’heure de notre mort ». Car Marie peut prier pour les pécheurs parce qu’elle a été préservée du péché. C’est aussi le sens de l’invocation reçue par Catherine Labouré lors des apparitions de la Vierge Marie rue du Bac : « Ô Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous ». Sainte Marie, Marie pleine de grâces, Marie mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort.

La prière que nous faisons monter vers Dieu par l’intercession de Marie est donc d’abord une prière d’espérance. Nous savons que Dieu veut conduire l’humanité à partager la plénitude de sa vie et rassembler l’ensemble des hommes en une seule famille. Nous savons aussi qu’il met en œuvre les moyens nécessaires pour établir la paix et l’unité dans cette famille. Notre prière n’est pas destinée à rappeler à Dieu ce qu’il a voulu faire, comme s’il l’avait oublié. Nous ne prions pas pour lui rafraichir la mémoire mais pour actualiser sa volonté dans notre propre vie. Notre prière n’est pas faite d’abord pour changer Dieu, elle est faite pour nous changer. Et de même, quand nous prions par l’intercession de Marie et lui demandons : « priez pour nous pauvres pécheurs », nous ne disons pas cela pour essayer de faire changer le regard de Dieu vis-à-vis de l’homme, mais pour essayer de transformer le cœur de l’homme devant son Dieu, pour qu’il se reconnaisse pécheur et avance sur le chemin de la conversion.

Frères et Sœur, rendons grâce à Dieu qui nous associe une fois de plus à cette démarche de foi de l’Église, qui se tourne vers son Seigneur pour implorer de Lui qu’il fortifie dans le cœur de tous les hommes le désir du bien et la force de le réaliser. Que Dieu suscite au cœur de tout homme le rejet du mal et de tout ce qui peut détruire l’existence humaine. Qu’il fasse grandir au cœur des nations le désir de la paix et qu’il construise entre les peuples une unité toujours plus grande. Que Dieu fortifie en nous l’espérance que sa grâce changera nos cœurs pour nous permettre de devenir des artisans de paix et d’unité et pour lui demander la paix et l’unité pour le monde. Amen.

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