Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe de Minuit

Cathédrale Notre-Dame de Paris - jeudi 24 décembre 2009

 (Is 9, 1-6 – Ps 95(96) –Tt 2, 11-14)

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois

Frères et sœurs,

l’événement qui se déroule dans le secret de la nuit de Bethléem, « au temps où parut l’édit de l’empereur Auguste, alors que Quirinus était gouverneur de Syrie » (Lc 2,2) est un accomplissement : l’accomplissement de l’annonce qui a été faite à Marie qu’elle enfanterait un fils auquel elle donnerait le nom de Jésus (Lc 1, 21), l’accomplissement de la promesse du Messie d’Israël que Dieu devait envoyer pour restaurer son peuple dans l’Alliance et l’accomplissement du désir secret et confus de paix et de bonheur qui habite toute l’humanité, dont les mages seront comme les représentants au moment où ils viendront adorer cet enfant et reconnaître le roi d’Israël. Dans la naissance du Fils éternel s’accomplit et se manifeste le dessin de l’amour de Dieu « Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son propre fils pour que le monde soit sauvé » (Jn 3, 16).

L’enfant nouveau né couché dans la crèche est non seulement le signe de cet accomplissement comme les anges le diront aux bergers, mais il en désigne aussi la réalité profonde : le Messie envoyé à Israël ne sera pas un roi puissant qui dominera le peuple et le restaurera dans son indépendance politique. Ce Messie est un berger modeste et caché qui va cheminer pas à pas au milieu des hommes pour rassembler le troupeau dispersé, « consoler les cœurs brisés, guérir les malades, ressusciter les morts et annoncer la bonne nouvelle aux pauvres » (Lc 4, 18). Ainsi s’accomplit l’espérance d’Israël et l’attente de toute l’humanité. A travers nous qui croyons dans la personne de Jésus de Nazareth, l’espérance de ceux qui en ce monde aspirent à la paix et au bonheur se trouve comme portée et satisfaite. Dans la foi, nous recevons la certitude que cet enfant démuni et pauvre est dépositaire de la toute puissance de la miséricorde de Dieu et qu’il va sauver le monde. Cette nuit, dans le secret de la grotte de Bethléem s’accomplit un événement qui va transformer l’histoire du monde jusqu’à la fin.

Comme nous l’entendons dans l’Evangile, la réalisation de cette promesse ne fait pas sensation : non seulement personne à Bethléem ne se doute de ce qui se passe, mais tous sont préoccupés de leurs affaires et aucun ne sait trouver une place dans la salle commune pour cette femme sur le point d’accoucher. Dans ce monde, pourtant bien mois terrible que le nôtre, cet enfant venait déjà déranger la tranquillité de tous. Sa mère cherchait déjà pour lui sans la trouver une place que personne n’était prêt à lui accorder. Déjà cet enfant était poussé « hors de la ville » (Jn 18,17), comme il le sera au moment de sa crucifixion. « Il n’y avait pas de place pour eux à l’hôtellerie » (Lc 2,7). « Le Christ est venu dans le monde et le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu » (Jn 1, 10-11).

Frères et sœurs, en cette nuit où, réunis autour de lui nous sommes portés par la joie et l’espérance que nous donne sa venue, nous devons nous aussi nous poser cette question : quelle place cette nuit le Christ trouvera-t-il dans nos cœurs et dans nos vie ? Comment notre participation à la célébration de la Nativité n’est-elle pas simplement un geste d’attendrissement, de nostalgie ou d’amitié envers nos proches, mais un moment de conversion ? Cette nuit le Christ vient pour nous, trouvera-il une place en nos cœurs ? Ou bien sommes-nous tellement encombrés de ce qui nous intéresse et nous préoccupe que sa venue trouvera notre porte fermée. Jésus vient cette nuit visiter notre vie pour la restaurer et lui donner sa plénitude. Ouvrirons-nous notre porte ou la fermerons nous ?

Le Christ trouvera-t-il aussi sa place dans notre Eglise ? Cette question peut paraître saugrenue puisque l’Eglise n’existe que par sa présence, puisque dans toutes les églises du monde des foules immenses se pressent en ces jours comme dans cette cathédrale pour célébrer sa Nativité ! Comment pourrions nous douter un instant de ce que don Eglise soit prête à accueillir le Christ ? Mais la question est plutôt de savoir ce que nous sommes prêts à accueillir de Lui. Sommes-nous vraiment disposés à laisser l’Espérance qu’il apporte et qu’il est devenir notre raison de vivre ? Comment sommes-nous prêts à devenir les témoins de l’Espérance dans notre monde, quand les uns nous promettent la faillite, les autres le chômage et les troisièmes l’apocalypse climatique ? Mais qui fait peur à qui et qui sait annoncer une chance de vivre pour l’homme ? Sommes-nous fidèles à notre mission d’être porteurs d’espérance, non pas simplement par des postures, mais par notre manière d’agir et de vivre, non pas simplement moralement mais concrètement ? Comment sommes-nous prêts à accueillir l’homme et la femme désespérés et à leur offrir un asile de paix, de sérénité et d’espérance ?

Comment le Christ est-il accueilli dans notre humanité ? Quelle place reste-il à l’annonce et à l’espérance du Salut dans un monde qui ne croit pas au Salut et qui a réussi à se convaincre qu’il est capable tout seul de sauver l‘homme ? Quelle place le Christ peut-il trouver dans la maison commune de l’humanité si l’humanité décide de fonctionner sans Dieu ?

Frères et Sœur, cette nuit le Christ vient pour chacun et chacun d’entre nous, il vient pour son Eglise et pour tous les hommes. En nous laissant porter par la joie des anges et des bergers pour entourer Marie et Joseph et cet enfant nouveau-né, nous pouvons ouvrir notre cœur à l’Espérance, même de manière faible et confuse. Et nous portons dans nos cœurs les hommes et les femmes qui n’ont plus d’espérance, ceux et celles qui à travers ce vaste monde vivent dans la famine ou la malnutrition, sans soins médicaux, privés de liberté ou soumis à la dictature d’un pouvoir corrompu ou à l’idéologie de ceux qui veulent détruire l’humanité dans sa racine. Si nous croyons au Christ, croyons en l’avenir de l’homme. Si nous croyons qu’il est venu nous sauver, espérons aussi pour toute l’humanité. En cette nuit, laissons le Christ entrer dans notre Eglise et dans notre cœur, puisqu’il vient pour tout homme et nous révèle comment Dieu aime les hommes, leur est fidèle et ne leur fait jamais défaut.

Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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