Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Obsèques de Philippe Seguin
Cathédrale Saint-Louis des Invalides - lundi 11 janvier 2010
Homélie du Cardinal André Vingt-Trois
– Jb 19, 23-27 ; Ps 22 ; Jn 14, 1-6
L’homme est fait pour la vie ! Il n’est pas fait pour la mort !
C’est sans doute la raison pour laquelle à travers tous les temps de l’histoire, tant de témoignages manifestent l’incompréhension humaine devant le scandale de la mort.
C’est certainement aussi pour cela que tant d’hommes et de femmes reculent et ne peuvent accepter ce qui pourtant s’impose. Nous pouvons comprendre un peu que la mort survienne au terme d’une longue vie ou d’une grave maladie. Mais lorsqu’elle frappe un homme en pleine activité comme l’était Philippe Seguin, le scandale qui nous atteint devant chaque mort devient plus cruel encore, l’événement plus incompréhensible, la détresse plus profonde.
Ceci explique que tout au long de la Révélation biblique, juive et chrétienne, la question de la mort soit au centre de beaucoup de débats, de professions de foi, de révoltes et de cris jetés vers Dieu, comme aussi d’espérances et d’attentes paisibles. La Révélation biblique n’apporte pas de solution, elle ne nous donne pas la clef de ce qui reste irrémédiablement impensable pour l’esprit humain. Mais elle ne nous invite pas à rejeter ce qui est inadmissible.
Elle nous indique des chemins pour assumer ce à quoi chacun et chacune d’entre-nous est confronté, non seulement au terme de sa propre existence, mais aussi dans la mort de ses proches, de ses amis ou de ses connaissances. Tous, nous nous trouvons à un moment ou à un autre, devant cet événement si contraire à la vocation de l’homme et pourtant incontournable.
Le cri de Job « Je sais, moi, que mon libérateur est vivant » (Jb 19, 25) est une expression particulièrement forte de l’espérance qui habite la foi d’Israël en Celui qui lui a donné la vie et l’être. Nous savons que Job a poussé ce cri depuis la profondeur d’une condition particulièrement éprouvée.
Même si nous ne sommes pas capables de porter cet appel dans sa plénitude, nous pouvons cependant laisser monter en nous l’espérance qui habite le cœur de tous les hommes quelles que soient leur foi et leur conviction : tout ne peut pas être fini au moment où finit cette vie, tout ce que nous avons pu réaliser au long de notre existence ne peut être complètement effacé et perdu par la mort, ni d’ailleurs - pourquoi le nier - le mal que nous avons pu faire. Le regard que nous tournons vers Dieu n’est pas fataliste ni porté par la crainte.
C’est un regard d’espérance et de confiance : Celui qui a lancé l’homme dans l’existence ne peut la laisser s’achever dans la mort. Celui qui a voulu notre vie ne veut pas que nous puissions être perdus à jamais. Celui qui a fait Alliance avec l’humanité ne peut la renier et nous laisser tomber dans le néant.
Lorsque nous arrivons si peu que ce soit à porter cette espérance, si confuse et difficile à exprimer soit-elle, il nous reste encore à découvrir le chemin pour qu’elle ne reste pas simplement le cri de notre chagrin, mais pour qu’elle porte une démarche humaine assumée dans la force de notre intelligence. L’Evangile nous permet de savoir que ce chemin existe, de le trouver e de connaître Celui qui nous l’indique.
Dans notre foi chrétienne nous recevons la promesse du Christ : « Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi.
Dans la maison de mon Père beaucoup peuvent trouver leur demeure, je pars vous préparer une place » (Jn 14, 1-2). La mort du Christ sur la croix n’est pas l’affirmation de la victoire de la mort sur la vie, mais l’affirmation de la victoire de l’amour sur la mort. Car la vie du Christ offerte devient source de vie : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6). Si peu que nous connaissions les paroles et l’histoire de Jésus, nous devons retrouver au fond de nous-mêmes cette promesse : « personne ne va vers le Père sans passer par moi ». Par le don que le Christ fait de sa vie, il met fin à l’emprise de la mort et ouvre un chemin de vie pour tous ceux qui veulent bien se tourner vers Lui et le suivre.
Alors l’effroi, le chagrin, l’incompréhension, et le scandale qui peuvent nous saisir devant la mort doivent se transformer en une question : que faisons-nous de notre vie ? Car si le Christ est vraiment le chemin, la vérité et la vie qu’il prétend être, nous ne pouvons partager cette vie qu’en vivant ce chemin qu’il nous indique par les enseignements de l’Evangile. Nous ne pourrons pas affronter sereinement la mort si au long de notre vie nous n’essayons pas nous aussi de nous mettre quelque peu au service de nos frères par amour.
Vous le savez, ce service prend des formes très différentes selon l’histoire et la vocation de chacun. Philippe Seguin a assumé dans sa personnalité si riche cet appel à servir les autres. Il l’a fait dans son parcours politique, comme dans son parcours de grand commis de l’Etat. Il nous a montré que tout un chacun peut être toujours ouvert aux besoins de ses semblables.
Aujourd’hui, avec confiance, nous le remettons à la miséricorde de Dieu. Et nous prions le Seigneur pour qu’il éclaire nos cœurs et nos libertés pour que nous aussi, chacun dans le chemin qui est le nôtre, nous soyons capables d’entendre les appels qui nous sont adressés et d’y répondre en nous mettant au service de nos semblables. Amen.
+André cardinal Vingt-Trois