Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe en communion avec l’Église d’Haïti
Cathédrale Notre-Dame de Paris - Samedi 16 janvier 2010
Messe en communion avec l’Église d’Haïti, pour les victimes du tremblement de terre en Haïti survenu le 12 janvier 2010, pour toutes les personnes blessées ou éprouvées par cette catastrophe majeure, pour leurs familles, leurs proches et toute la communauté des Haïtiens qui vivent en France.
Mot d’ouverture du Cardinal André Vingt-Trois
Frères et sœurs,
Nous sommes rassemblés ce soir en mémoire des victimes du tremblement de terre qui a frappé Haïti cette semaine. Nous célébrons cette messe en communion avec ceux qui ont échappé à la mort et qui connaissent des conditions de vie particulièrement difficiles en ces jours, et en communion avec tous les Haïtiens résidant en France, en Ile-de-France et à Paris. Beaucoup d’entre eux sont présents dans cette cathédrale pour exprimer leur chagrin et leur douleur, mais aussi leur espérance et leur confiance. Oui, nous essayons de mettre notre espoir dans le Seigneur, car nous sommes sûrs de sa Parole. Nous savons qu’Il n’abandonne pas ses enfants.
Je remercie Mesdames et Messieurs les représentants des autorités publiques qui ont bien voulu se joindre à notre prière. Ils manifestent ainsi que la part que la France prend à la souffrance d’Haïti trouve aussi son expression dans ce temps de prière partagée.
Nous nous tournons avec confiance vers le Seigneur et nous lui demandons qu’Il nous pardonne nos péchés.
Homélie du Cardinal André Vingt-Trois
Is 62, 1-5 ; Ps 22 ; Cor 12, 4-11 ; Jn 2, 1-12
Frères et sœurs,
Avec vous tous ici rassemblés, avec Mgr le Nonce apostolique que je remercie de sa présence, avec les évêques qui m’entourent et les prêtres qui nous accompagnent, j’ai souhaité que nous célébrions cette Eucharistie pour que nous puissions nous soutenir les uns les autres dans la foi. Car notre foi est mise à rude épreuve par ce désastre horrible qui a frappé Port-au-Prince et Haïti, semant la mort et la désolation, détruisant et anéantissant les biens de tant de personnes, coupant des familles, des amis et des proches les uns des autres et les ensevelissant dans la mort ! Comment les survivants qui ont à faire face à cette situation pourront-ils reprendre pieds dans l’existence !?
Et tout cela est survenu en ces semaines où l’Église célèbre la Nativité et la manifestation du Christ. Après nous avoir conduits à adorer Jésus dans la crèche de Bethléem, après nous avoir rendu témoins de sa manifestation aux Nations dans son Épiphanie et de sa désignation comme le Fils bien-aimé du Père dans son baptême, la liturgie propose aujourd’hui à notre méditation le premier signe accompli par Jésus aux Noces de Cana. Dans l’évangile de Jean, cet épisode est le signe de l’Alliance des noces éternelles entre Dieu et l’humanité que Jésus vient accomplir.
Mais comment pouvons-nous accueillir cette manifestation de Dieu dans sa puissance et sa miséricorde, au moment où les éléments frappent de façon aveugle et jettent la mort dans votre peuple ? Ce n’est pas une question anodine. Cette interrogation habite chacun de nos cœurs. Tout Haïtien, toute personne qui croit en Dieu et qui essaye de vivre de cette foi ne peut pas ne pas être touchée au cœur par le malheur qui détruit et par la malédiction qui touche votre pays. Tous s’interrogent : « Où es-tu Seigneur ? Que fais-tu Seigneur ? »
Le Christ a accepté l’invitation aux noces, il est venu participer à cette fête familiale très simple. Mais il n’est pas seulement avec les hommes aux moments où tout va bien. Toute sa vie publique, son enseignement et ses miracles montrent que le Fils de Dieu s’est fait proche des pauvres, des malades et des pécheurs. Le Christ n’est pas venu pour vivre une vie tranquille, mais pour apporter l’espérance à ceux qui étaient dans la désolation. « Pour les habitants du pays de la mort une lumière a resplendi » (Is 9, 1). Et il a partagé notre condition, non seulement dans les joies et les peines quotidiennes ou à travers les tâches de sa mission et la fatigue des jours, mais par dessus tout, dans l’offrande qu’il fait de sa vie pour le salut des hommes. Le Christ qui change l’eau en vin à Cana est aussi celui qui livrera son corps sur la croix, et dont le cœur transpercé laissera couler de l’eau et du sang, que la tradition chrétienne reconnaît comme la source de la vie nouvelle.
Celui qui a changé en vin nouveau l’eau des anciennes urnes destinées au rite de purification des juifs, va donner une dimension nouvelle à l’existence humaine. Le Christ ne vient pas pour nous faire échapper aux malheurs, aux maladies, aux accidents et à la mort. Il connaîtra lui-même les malheurs et la mort, il côtoiera les malades. Mais l’offrande qu’il fait de sa vie ouvre un chemin par delà la mort par lequel nous discernons comment ce qui semblait être une victoire de la mort peut devenir source de vie. Les péripéties de nos existences, les malheurs qui nous frappent et la mort qui nous rattrape tous à un moment ou à un autre, peuvent devenir le lieu où nous est adressée une parole d’amour et d’espérance, mais aussi une occasion de nous interroger sur ce que nous faisons de notre vie.
Le malheur qui frappe ceux qui sont en Haïti vous atteint cruellement, vous qui êtes si loin des vôtres, vous qui ne savez pas encore ce que sont devenus vos proches et qui êtes rongés par l’inquiétude. Dans cette période difficile entre toutes, il est beau que vous donniez le témoignage de votre foi. Il est beau que vous soyez affermis dans la foi, même de manière fragile et timide, pour vous tourner vers le Seigneur avec confiance. Il est beau que vous vous remettiez à l’amour maternel de Notre-Dame, que vous aimez invoquer sous le nom de Notre-Dame du Perpétuel Secours. Il est beau que vous receviez de sa bouche les paroles qu’elle a dites aux serviteurs des noces, « Faites tout ce qu’il vous dira » (Jn 2, 5).
Aujourd’hui, au cœur de votre douleur, à travers les larmes que vous pouvez verser, l’inquiétude qui vous habite et l’incertitude de l’avenir, une flamme continue de briller pour vous. C’est la flamme de l’espérance. Non, « votre terre ne sera pas désertée, elle sera nommée d’un nouveau, le nom de l’épouse » (Is 62, 4). Dieu fait alliance avec les hommes de tous les pays, de toutes les races et de tous les temps. Dieu fait alliance avec les hommes et les femmes d’Haïti. Il a scellé son alliance avec ceux qui croient en Lui, et Il la propose à ceux qui ne croient pas encore en Lui. Dieu n’abandonnera pas ce peuple qu’il aime. Il le soutient et le soutiendra. Vous le savez, nous le savons, les années qui viennent seront des années difficiles pour les Haïtiens. Il faudra reconstruire les bâtiments bien-sûr, mais il faudra aussi travailler à cette reconstruction beaucoup plus profonde des existences brisées, des cœurs détruits, des amours interrompues et traversées par la mort… Vous devez être convaincus que Haïti peut être relevée, que la vie des Haïtiens est un témoignage pour l’avenir et que votre foi vous permet de surmonter cette épreuve gigantesque et d’engager vos enfants et les enfants de vos enfants, vers l’espérance et non pas dans le malheur et la résignation.
Frères et sœurs Haïtiens, ce soir nous avons voulu prier avec vous. Cet acte de foi commune est aussi le signe que nous, français, nous sommes interrogés par ce qui vous arrive. Ce drame nous provoque et nous appelle à revoir notre manière de vivre, à peser l’espérance qui nous habite, et à partager ce défi avec vous pour que Haïti ait un avenir. Vous l’avez entendu sur les ondes et à la télévision, beaucoup se sont mobilisés pour apporter un peu d’aide, si peu que ce soit. Beaucoup sont sensibilisés et prêts à un acte de générosité pour partager avec vous ce malheur. Puisse le Seigneur permettre que cette communion dans la souffrance ne soit pas seulement l’emballement d’un instant sous l’effet de la publicité qui est faite à ce drame ! Puisse cet élan se prolonger longtemps après que la période de crise aura été surmontée ! Puissions-nous tous ne pas vous oublier et continuer d’être proches de vous pour vous apporter l’aide nécessaire ! Nous nous y engageons. Pendant le carême qui vient, je demanderai aux chrétiens de Paris d’offrir une partie de leur offrande pour la reconstruction des églises et des maisons d’Haïti, parce que rebâtir une maison est le signe de ce que les vies aussi peuvent être reconstruites et pourront donner tous leurs fruits.
Frères et sœurs, dans la foi, nous nous tournons vers Dieu. Comme nous l’avons chanté tout à l’heure, nous pouvons dire : « Je mets mon espoir dans le Seigneur, je suis sûr de sa parole ». Amen.
+André cardinal Vingt-Trois