Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - 2ème dimanche de Carême

Cathédrale Notre-Dame de Paris - Dimanche 28 février 2010

 Gn 15, 5-12.17-18 ; Ps 26, 1.7-9.13-14 ; Ph 3, 17 – 4, 1 ; Lc 9, 28-36

Frères et sœurs,

Pierre, Jacques et Jean, les trois apôtres que Jésus entraîne sur la montagne pour y contempler sa gloire, seront aussi présents auprès de Jésus à Gethsémani pour le voir souffrir l’épreuve suprême de sa vie, le don qu’il fait par amour en s’en remettant à la volonté du Père. Sur la montagne de la transfiguration l’humanité du Christ est illuminée de la gloire du Père. A Gethsémani elle sera comme détruite, amoindrie, réduite à l’angoisse qui le saisira.

Dans les évangiles, la transfiguration se produit alors que Jésus vient d’annoncer les événements qui se produiront à Jérusalem : son arrestation, son procès, sa passion, sa mise à mort et de sa résurrection. Cette courte vision de la gloire de Jésus donnera peut-être aux disciples d’affronter la déchéance de Jésus lorsqu’ils en seront les témoins. Nous savons que cet espoir pédagogique du Christ a été inégalement satisfait. Il a fallu attendre non seulement la mort et la résurrection mais encore la Pentecôte pour que l’Esprit Saint donne vraiment aux apôtres de comprendre le sens des événements qu’ils avaient vécu avec Jésus.

Cet épisode est une lumière et une indication dans notre cheminement vers la Pâque. C’est pourquoi nous l’entendons dans la liturgie de ce deuxième dimanche de Carême. A mesure que nous avancerons vers la célébration des jours Saints, nous allons être entraînés à partager avec le Christ les accusations qui seront portées contre lui, les souffrances qu’on lui infligera, la mort qu’il subira. Comment vivrons-nous ces instants particulièrement intenses ? Seront-ils pour nous le signe de l’échec et de l’écroulement du rêve que Jésus rétablirait le royaume d’Israël, comme pour les deux disciples d’Emmaüs ? Ou bien par la puissance de l’Esprit et à la lumière de la Transfiguration dont nous l’Evangile nous rend en quelque sorte témoins, apprendrons-nous à discerner dans les événements de la Passion ce qui ne se voit pas, à saisir que derrière la souffrance, l’humiliation et l’écrasement de Jésus dans la mort, la puissance de Dieu est à l’œuvre ? Seul le regard de la foi permet de saisir qu’en Jésus s’accomplit vraiment l’Alliance qui a été conclue entre Dieu et Abraham, et que Dieu est fidèle au moment où son serviteur est livré aux hommes et semble soumis à l’impuissance de l’homme.

Cette lumière et cette prophétie qui nous sont données pour la suite des événements, nous sont aussi, du moins faut-il l’espérer, un éclairage pour notre vie présente. Par le baptême nous devenons enfants de Dieu et nous sommes associés par le Christ à la communion qu’il vit avec son Père et l’Esprit-Saint. Cette dignité de Fils de Dieu nous la vivons à travers le déroulement de notre existence humaine. « Citoyens des cieux » comme Paul l’écrit aux Philippiens (Ph 3, 20), nous n’en demeurons pas moins citoyens de la terre. Citoyens des cieux, nous le sommes par notre vocation, par la grâce que nous avons reçue, par l’espérance qui nous habite. Mais avant que cette vocation ne soit accomplie et que cette espérance ne soit pleinement réalisée, nous vivons cette dignité dans la condition humaine, dans nos corps, dans notre chair, et dans les souffrances inévitables de toute existence humaine.

Les disciples ont connu Jésus de Nazareth dans son humanité, ils l’ont accompagné au long des chemins, avec lui ils ont mangé, ils ont parlé, ils ont pu le toucher comme le dit la première épître de Jean. Si le Christ, Dieu fait homme, laisse apparaître un instant à la Transfiguration ce qu’il est réellement, complètement et parfaitement, c’est aussi pour nous montrer ce que nous sommes en train de devenir. Nous aussi, nous serons plongés dans la gloire du Père, nous serons illuminés par la lumière du Ressuscité. Chacune des journées que nous vivons et chaque moment de notre vie, quel que soit son poids de douleur ou de souffrance, sont habités mystérieusement par la manifestation de la puissance de Dieu.

Ainsi, quand nous cheminons avec le Christ vers Jérusalem, vers sa mort et sa résurrection nous n’avançons pas vers l’épuisement final ou vers l’échec de notre vie, nous marchons vers l’accomplissement de la vocation que Dieu nous a donnée.

Frères et sœurs, vivre notre Carême à la lumière de la Parole de Dieu comme je vous y invitais la semaine dernière, c’est accueillir la force de cet événement où la gloire de Dieu se manifeste dans l’humanité du Christ, c’est recevoir la Parole qui désigne Jésus dans la nuée : « Il est mon fils, celui que j’ai choisi, écoutez-le » (Lc 9, 35). Dès lors je ne verrai pas ma vie avec fatalisme comme un empilement sans ordre des joies et des peines, des succès et des échecs, mais avec l’espérance ferme que quoiqu’il puisse survenir ce soir, demain, dans la semaine qui vient, et quels que soient les malheurs que traverse notre l’humanité, je suis invité « à tenir bon », comme le dit saint Paul (Ph 4, 1), c’est-à-dire non pas à résister par mes propres forces, mais à m’abandonner à la puissance de Dieu qui seule donne sens à cette réalité. La puissance de Dieu me permet de tenir debout dans l’adversité, de vivre jour après jour de la vie nouvelle des enfants de Dieu reçue au jour de mon baptême.

Frères et sœurs, avançons avec confiance vers le rendez-vous que le Christ nous donne, après le rendez-vous du Golgotha, c’est celui de la gloire du Père. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois

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