Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – Centième anniversaire de la paroisse St Joseph des Epinettes – 4ème dim. de Carême

St Joseph des Epinettes (Paris XVII) - Dimanche 14 mars 2010

Jos 5, 10-12 ; Ps 33, 2-7 ; 2 Co 5, 17-21 ; Lc 15, 1-3.11-32

Frères et Sœurs,

« Le monde ancien s’en est allée » (2 Co 5, 17) nous dit saint Paul. Mais quel est ce « monde nouveau qui est déjà né » (Ib.) qu’il nous annonce ? Ce quartier où nous nous trouvons n’était-il pas il y a un siècle comme un nouveau monde, pour la vieille ville de Paris ? Ces quartiers neufs qui se développaient étaient certes le symbole d’un nouvel âge de la société, celui de la production économique et des progrès humains, mais également celui de la misère. Nous le savons, le monde moderne qui s’est construit là et qui continue de se développer autour de nous n’est pas exactement un monde nouveau et un monde de bonheur. Et la nostalgie de l’ancien temps, qui s’exprime et se commercialise autour de nous, nous le confirme sans cesse.

Quand les chrétiens du début du XXème siècle ont décidé de construire une église dans ce quartier neuf, qu’avaient-ils l’intention d’apporter de nouveau, alors même que pour certains, ils représentaient plutôt un univers en train de disparaître ? Et de même, aujourd’hui, que représentent quelques centaines de chrétiens dans ce quartier habité par 34 000 habitants ? Sommes-nous les porteurs et les pionniers d’une nouveauté et d’une espérance pour les hommes et les femmes de notre temps, ou les derniers représentants d’un système épuisé qui n’a plus droit de cité ?

Il me semble que la miséricorde du Père telle qu’elle apparaît dans la parabole que nous venons d’entendre est cette nouveauté et ce trésor qui nous conduit d’abord à nous rassembler autour du Christ dimanche après dimanche, et à partir de là, que nous devons essayer de partager avec ceux qui nous entourent. En effet, notre société a fait de la dénonciation des fautes un mode de relation habituelle. Chacun est soi-disant libre de faire ce qu’il veut, mais en même temps, on ne lui passe rien. Mais Dieu ne veut pas que nous vivions dans de tels rapports, qui produisent et nourrissent de la culpabilité et l’accusation. Le Père qui pardonne et accueille son fils prodigue est à l’opposé de cette logique d’accusation du coupable. Il veut réconcilier le coupable mais a besoin pour cela que le coupable se repente. Car pour que le Père serre son fils dans ses bras et organise une fête pour son retour, encore faut-il que celui-ci ait pris conscience de sa misère, qu’il se soit mis en route pour dire à son Père : « je ne suis plus digne d’être appelé ton fils » (Lc 15, 21), et qu’il soit revenu ! Celui qui est pris en tenaille entre l’accusation et la dénégation de sa faute ne peut trouver les chemins du repentir et de la miséricorde.

Voilà ce que nous pouvons apporter de neuf en ce monde : le progrès de l’humanité passe par la reconnaissance honnête de ce qui est bien et ce qui est mal, et par la mise en pratique de notre capacité à pardonner. Tel que Jésus nous le manifeste à travers la figure du Père de la parabole, Dieu est Celui qui a mis en œuvre à travers les siècles ce que l’on pourrait appeler une stratégie de la réconciliation et du salut. Il a voulu ramener les hommes à son amour, et il a pour cela payé le prix fort en envoyant son Fils unique, pour que les hommes redécouvrent la profondeur de sa miséricorde. C’est pourquoi saint Paul affirme avec force : « Nous sommes les ambassadeurs du Christ. Par nous, c’est Dieu lui-même qui en fait vous adresse un appel. Au nom du Christ nous vous le demandons : ‘laissez-vous réconcilier avec Dieu’ » (2 Co 5, 20). Accueillons cet appel et laissons nous entraîner par Dieu dans le chemin de la réconciliation, de la miséricorde et du pardon. Reconnaissons humblement comme le fils de la parabole : « Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, je ne mérite plus d’être appelé ton fils » (Lc 15, 18-19). Osons redire cette phrase en toute sincérité. Si je mesure à quel point mon éloignement de Dieu peut creuser en moi la misère et la tristesse et me conduit réellement à perdre ma vie, je pourrai alors me lever et aller vers mon Père, déjà heureux de m’approcher de Lui et de le supplier qu’il me pardonne. Je serai comme le fils prodigue, emporté par la joie du Père qui organise le festin pour le retour de celui « qui était mort et qui est revenu à la vie » (Lc 15, 32).

C’est d’abord entre-nous, dans nos relations entre chrétiens, que nous devons donner ce signe de la miséricorde et du pardon. L’Église, communauté rassemblée dans le Christ, n’est pas un tribunal où chacun cherche à accuser les autres. C’est un Peuple de pécheurs, mais aussi un Peuple de pardonnés, de rachetés. Pécheurs réconciliés, nous sommes invités à vivre dans la fraternité, c’est-à-dire à accueillir celles et ceux que Dieu nous donne aujourd’hui pour voisins, pour compagnons, pour frères et pour sœurs. Si, comme nous le demandons chaque dimanche, nous vivons cette relation de miséricorde et de paix entre nous, alors nous apportons une nouveauté visible pour la société dans laquelle nous vivons. Nous manifestons que les relations entre les hommes et les femmes de ce monde ne sont pas nécessairement des relations d’agressions, d’accusations et de condamnations, mais qu’elles peuvent devenir des relations de pardon, d’amour et de paix. Nous croyons que l’amour est plus fort que la haine, que la vie est plus forte que la mort, que la fraternité est plus forte que l’isolement, que le partage est plus fort que la misère. C’est pourquoi nous sommes témoins d’une espérance nouvelle.

Frères et sœurs, en rendant grâce pour le témoignage qui a été rendu en ce lieu et dans ce quartier par des générations de chrétiens nous nous réjouissons que Dieu continue d’appeler des hommes et des femmes pour être témoins de son amour aujourd’hui, ici et maintenant. Et nous lui demandons qu’Il mette en nos cœurs la joie de la miséricorde et le désir de la partager. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois

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