Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Dimanche in Albis et Fête de la Miséricorde Divine
Eglise Saint-Sulpice - Dimanche 11 avril 2010
– Ac 5, 12-16 ; Ps 117 1-4.22-27.29 ; Ap 1, 9-11a.12-13.17-19 ; Jn 20, 19-31
Frères et sœurs,
Heureux sommes-nous, nous qui sommes rassemblés aujourd’hui dans cette église, puisque selon la parole de l’Evangile, nous croyons « sans avoir vu » (Jn 20, 29) ! Nous ne sommes pas dans la situation des disciples qui ont rencontré le Christ Ressuscité. Nous croyons, non pas parce que nous l’avons vu, mais justement parce que nous faisons crédit au témoignage de ceux qui l’ont vu vivant et ressuscité, et qui nous ont transmis ce qu’ils avaient reçu de lui. C’est pourquoi l’Evangile ajoute : « Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas mis par écrit dans ce livre. Mais ceux-là y ont été mis afin que vous croyiez que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu » (Jn 20, 30-31).
Notre foi se construit et se développe sur la parole de l’Evangile. Il est juste qu’une part importante de notre célébration eucharistique soit consacrée à l’écoute de la parole de Dieu. Celle-ci vient construire l’adhésion de notre cœur, et nous prépare à reconnaître vraiment la présence du Christ dans l’Eucharistie, à l’accueillir comme celui qui est vivant, le Messie, celui qui suscite en nous la vie selon les mots de l’Apocalypse : « Je suis le premier et le dernier, je suis le Vivant » (Ap 1, 8). Jésus est le Vivant que nous célébrons semaine après semaine, que nous accueillons dans la foi, qui nous met debout et nous fait vivre.
« La paix soit avec vous » (Jn 20, 19) dit Jésus aux disciples. Nous le savons, c’était une formule de salutation habituelle. Si l’évangile de saint Jean nous la rapporte plusieurs fois, ce n’est pas simplement pour nous raconter que Jésus a salué les apôtres. A travers ces mots de la salutation ordinaire un message plus important est transmis : Jésus donne la paix de Dieu, il apporte à ses disciples la paix acquise par le don de sa vie, et qui est la réconciliation avec Dieu et entre nous. Comme l’écrit saint Paul dans l’Epître aux Romains (5, 7-8), « A peine voudrait-on mourir pour un homme juste. Mais la miséricorde du Père s’est manifestée en ceci que le Christ a donné sa vie pour nous, alors que nous étions encore pécheurs. » L’amour de Dieu est allé jusque-là : nous offrir son Fils pour que nous puissions vivre.
La réconciliation que le Christ nous apporte et la paix qu’il annonce ne sont pas de l’ordre du vœu pieu, comme dans une salutation ordinaire. Il nous fait vraiment le don de la paix de Dieu, paix pour nos cœurs et pour nos âmes et paix entre nous. Ceux qui communient à la paix du Christ ne peuvent plus ensuite vivre entre eux comme s’ils ne l’avaient pas reçue. Juste avant de communier, nous partageons la paix que nous recevons du Christ pour signifier qu’elle transforme notre manière d’être les uns avec les autres pour que nous construisions une communauté fraternelle de paix et d’amour. C’est pourquoi ceux qui prennent prétexte de la vie de l’Église pour se transformer en justiciers et en agresseurs ne sont pas des amis de la paix. Ils ne sont pas les disciples du Christ, mais des disciples de celui qui divise, du Mauvais.
La forme de la réconciliation que le Christ apporte par le don de sa vie se comprend également à la lumière du discours des Actes des Apôtres dans lequel Pierre dit que Jésus est « passé parmi les hommes en faisant le bien » (Ac 10, 38). Jésus est venu pour le bien des hommes, de toute l’humanité, pour que tous les hommes et toutes les femmes de tous les temps puissent accéder à cette paix de Dieu et cette vie en Dieu. Le bien qu’il faisait au milieu des hommes se manifestait par des signes visibles : la guérison des malades, la délivrance des possédés, la résurrection des morts.
Après son départ au jour de l’Ascension, il ne cesse d’apporter ce bien aux hommes. Il a institué le collège des Apôtres pour que ceux-ci portent après lui ce bien qu’il veut faire aux hommes. Ainsi, dans le récit des Actes des Apôtres, nous lisons que « l’on apportait les malades sur les places, qu’on le installait sur des lits et des brancards. Ainsi quand Pierre passerait, il toucherait l’un ou l’autre de son ombre » (Ac 5, 15). Aujourd’hui l’Église est à la fois le bénéficiaire et l’acteur, le témoin et le ministre du bien que Jésus veut faire au monde, de la paix qu’il est venu apporter, et de la vie dont il veut combler les hommes.
A travers le monde, des multitudes d’hommes et de femmes sont malades, dans leur corps, leur cœur ou leur âme. Nous avons appris à soigner les corps et nous savons que les cœurs peuvent être apaisés par l’amour. Par le sang du Christ, nos âmes sont purifiées et plongées dans la vie de Dieu. Avons-nous assez de foi pour croire que notre présence au milieu de ces multitudes peut réconcilier les cœurs brisés et les esprits désespérés, comme Pierre qui les guérissait de son ombre en passant en milieu d’eux ? Avons-nous assez de foi pour croire que nous sommes nous-mêmes plus qu’effleurés par l’ombre de la miséricorde quand nous venons avec confiance et humilité devant Dieu et que nous reconnaissons notre péché ? Avons-nous assez de foi pour croire que quand le prêtre nous donne le pardon du Seigneur, Dieu lui-même apaise notre cœur et fait de nous des artisans de la miséricorde ? Avons-nous assez de foi pour croire que notre manière de vivre et notre témoignage rendu à la miséricorde reçue, font de nous des serviteurs du pardon et de la paix dans un monde où tant d’hommes et de femmes vivent dans l’ignorance, le mépris, l’agressivité et même la haine les uns des autres ?
L’Église a reçu ce ministère dans la mission confiée à Pierre et dans le don que Jésus fait de son Esprit à ses disciples lorsqu’il leur donne le pouvoir de pardonner les péchés. Mais ce don s’étend à tout le corps de l’Église qui est par elle-même signe de miséricorde, de pardon et de paix. Nous le savons, il n’est pas facile d’accepter et de comprendre ce témoignage que l’Eglise rend à la miséricorde. Non qu’il soit tellement extraordinaire mais parce qu’accepter le don de la miséricorde demande de reconnaître que l’on en a besoin. Notre génération est fertile en procureurs et en juges. Beaucoup jugent le monde du haut de leur superbe et se dressent pour condamner leurs frères. Dans l’Evangile, ceux-là ne sont pas des disciples du Seigneur mais des pharisiens. Le chrétien n’est pas appelé à devenir un pharisien ou un procureur de plus qui condamne du haut de sa justice. Il est appelé à donner le signe de l’humilité et de la pauvreté, comme le publicain priait dans le Temple et n’osait même pas lever les yeux vers le Seigneur. Nous ne sommes pas appelés à donner le signe de l’arrogance et de la satisfaction de nous-mêmes, mais le signe de la conversion, de la contrition et de l’humilité du cœur.
Frères et sœurs, pour connaître la joie de la miséricorde et de la réconciliation nous devons nous avancer vers Dieu dans la conscience de notre péché et de notre pauvreté, et lever les mains avec confiance vers l’amour miséricordieux du Père. En ce jour où nous célébrons la fête de la Miséricorde divine, nous demandons au Seigneur qu’il fasse grandir cette juste humilité en nous, qu’il nous donne la vraie conscience de notre pauvreté. Qu’il établisse en nous la joie d’accueillir la miséricorde de Dieu, qu’il fasse déborder cette joie de nos cœurs, pour que notre vie devienne un signe d’espérance en ce monde. Nous ne condamnons le monde, pas plus que le Christ n’a condamné le monde, lui qui n’est pas venu pour le condamner mais pour le sauver. Nous ne jugeons pas le monde, pas plus que le Christ n’a jugé le monde. Par notre simple existence et la joie de nos cœurs, nous sommes le signe que ce monde n’est pas voué à la mort et à la condamnation mais qu’il est appelé au salut, au pardon et à la vie. Nous lui demandons que de plus en plus d’hommes et de femmes comprennent que l’équilibre de leur vie, la sérénité de leur cœur et la joie de leur existence dépendent de cette Miséricorde qu’ils peuvent recevoir et accueillir, pourvu qu’ils acceptent de reconnaître qu’ils en ont besoin. Nous présentons à Dieu cette multitude d’hommes et de femmes malades sur les places, pour que l’ombre de Dieu les couvre et les guérisse.
Amen
+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris