Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Profession solennelle de Sœur Edith de l’Eucharistie

Carmel de Montmartre - Samedi 15 mai 2010

 Is 61,9-11 ; Ps 39 ; Col 3, 12-17 ; Jn 16, 23-28

A travers l’évangile de saint Jean que nous venons d’entendre, le Seigneur nous invite à comprendre un peu mieux ce que prier signifie. La prière est simultanément ce qui nous remet tout entier dans l’amour du Père, lui qui nous aime et qui sait ce dont nous avons besoin, et ce qui met en œuvre la communion entre l’homme et Dieu, entre chacune et chacun d’entre-nous et le Père du Ciel, par la médiation de Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme.

Ainsi, notre prière n’est pas simplement une sorte de méditation ou de concentration sur nous-mêmes, une manière de nous isoler de l’environnement et de toutes les perturbations qu’il peut provoquer. La prière chrétienne n’est pas un moyen de nous couper des autres, ou d’échapper à l’humanité. Elle est le lieu de la rencontre de l’humanité avec Dieu, pas simplement la confrontation avec une idée de Dieu ou une pensée sur Dieu, mais bien l’accès à la personne de Dieu telle qu’elle s’est manifestée en Jésus-Christ. Jésus, qui est à la fois vrai Dieu et vrai Homme, nous entraîne dans sa relation au Père. Il rend possible notre propre relation à Dieu et nous fait découvrir comment celle-ci transforme notre rapport avec le monde et avec nos frères. En Jésus, l’acte d’adoration le plus muet et la prière aussi érémitique et solitaire qu’elle puisse être ne peuvent être dissociés de l’acte d’adoration de l’Église toute entière, qui porte en lui-même mystérieusement l’offrande à venir du monde au milieu duquel elle est immergée. Ainsi, quand nous demandons quelque chose dans le Christ, nous ne sommes pas des êtres concentrés sur leur spiritualité individuelle, mais nous sommes saisis par l’Esprit pour rassembler dans l’amour de notre cœur, l’humanité tout entière que nous présentons à Dieu.

C’est pourquoi, cette vocation d’orant - la mission de quelqu’un qui passe sa vie dans la prière et l’adoration - ne se vit que par une communion plus étroite avec l’Église. Cet appel à ne faire plus qu’un avec le Christ dans la rencontre du Père, nous invite aussi à ne faire plus qu’un avec nos frères. Dans sa vocation de supplication, de louange et de sacrifice, la communauté du Carmel unit dans une même famille chacune de celles qui répondent à cet appel du Christ.

Sœur Edith, le chemin que vous avez parcouru jusqu’à cette communauté, les années au long desquelles vous avez accueilli l’appel de Dieu et commencé à lui répondre dès votre enfance et au cœur de votre famille, vous ont permis à la fois de vous ouvrir à l’amour du Christ et de vous impliquer dans la vie de la communauté humaine et de l’Église. Vous avez été invitée, comme saint Paul nous le disait tout à l’heure, à « revêtir votre cœur de tendresse et de bonté, d’humilité, de douceur et de patience » (Col 3, 12). Vous avez appris à vous supporter mutuellement avec ceux qui vous entouraient et à pardonner. Vous avez compris jour après jour comment l’amour de nos frères appelle de notre part l’offrande de notre vie. Aujourd’hui, en répondant à l’appel du Christ par le don de toute votre existence, vous posez un acte qui intéresse toute l’Église et toute l’humanité, parce qu’il nous donne un signe de l’Alliance inaltérable entre Dieu et les hommes.

En vous donnant pour toujours dans la communauté du Carmel, vous permettez que tout ce chemin que vous avez parcouru jusqu’à aujourd’hui s’épanouisse et porte du fruit. Aujourd’hui, vous êtes choisie par Dieu pour entrer dans la famille du Carmel et plus particulièrement dans cette communauté du Carmel de Montmartre. A présent, vous savez que c’est ici, dans cette famille et cette communauté, que vous aurez à vivre « l’amour qui fait l’unité dans la perfection » (Col 3, 14), que vous pourrez « laisser la paix du Christ régner dans votre cœur » (Col 3, 15) pour que vraiment cette petite communauté forme un seul corps dans le Christ. Peut-être, est-il facile de nous représenter le Corps du Christ dans toute son extension à travers la multitude de l’Église ? Mais le réalisme de votre vocation vous appelle à constituer ce Corps avec la poignée de sœurs qu’il vous donne, et auxquelles il vous donne. Et puisque le Christ habite dans cette famille, dans toute sa richesse, c’est avec vos sœurs que vous connaîtrez la paix, le pardon, la joie de l’action de grâce. Cette communauté du Carmel n’est pas une sorte d’oasis d’où seraient exclus les bruits et les tensions du monde. Elle est un petit laboratoire où les bruits et les tensions du monde se font écho avec les bruits et les tensions de la famille, et avec les bruits et les tensions de chacun de vos cœurs. La paix du Christ qui doit rassembler toute l’humanité, doit d’abord unir toutes vos capacités d’amour. Elle doit unifier toutes les forces de la sagesse et du pardon dans votre communauté. Ainsi, dans ce petit laboratoire, vous témoignerez par l’expérience que la puissance de l’amour peut rassembler des personnes différentes pourvu qu’elles acceptent de se donner sans retour et de rester fidèles au don initial. C’est ce don définitif qui marque et qui exprime la confiance que vous faites au Christ vivant aujourd’hui. Cette offrande sans retour exprime l’amour sans reprise que Dieu nous a manifesté dans le Christ.

« Vivez donc dans l’action de grâce » comme nous dit saint Paul : « que la Parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse ; instruisez-vous et reprenez-vous les uns les autres avec une vraie sagesse. Tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que cela soit toujours au nom du Seigneur Jésus-Christ, en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père » (Col 3, 15-17). Que le Seigneur donne à chacune d’entre vous, et tout particulièrement à vous Sœur Edith, la joie de réaliser ce que saint Paul nous propose comme chemin de vie. Qu’il donne à chacune et à toute la communauté, la grâce de manifester la puissance de l’amour. Que le signe que vous donnez aide tous les chrétiens à progresser dans la foi et dans la charité. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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