Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Vigile de Pentecôte, confirmations des adultes

Cathédrale Notre-Dame de Paris - Samedi 22 mai 2010

 Textes Ac 2, 1-11 ; Rm 8, 8-17 ; Jn 14, 14-16 ; 23b-26

Frères et Sœurs,
Chers amis,

Quelle aventure vous a conduits ici ce soir ! Quelle aventure vous a rassemblés des différents quartiers de la ville de Paris dans lesquels vous habitez et des différentes communautés chrétiennes auxquelles vous appartenez et dans lesquelles vous cheminez à la suite du Christ ! Quelle aventure vous a unis, vous qui êtes originaires de tant de pays et de tant de cultures différentes, et vous qui, à l’intérieur d’une même culture, avez des histoires personnelles si différentes ! Depuis le jour de votre naissance, chacune de vos vies est une aventure. C’est un long parcours marqué par le jour de votre baptême, par toutes les années qui se sont écoulées depuis, et par toutes sortes d’évènements qui sont à la fois la particularité de votre histoire personnelle et le secret de votre vie. A travers tout cela, la lumière de l’Esprit Saint a peu à peu frayé son chemin pour atteindre votre cœur et vous confronter dans votre âge adulte à la question de la foi, que les textes que nous venons d’entendre viennent d’évoquer.

Si vous êtes ici pour recevoir la confirmation, c’est en réponse à une parole. Mais qui nous parle, et comment recevons-nous ces paroles ? Chaque jour, nous entendons beaucoup de mots et de phrases. Mais d’où viennent-ils ? La parole du Christ est-elle une parole parmi les autres, un message de plus qui prend son tour dans la file des intervenants, une doctrine qui n’a rien de plus à dire que n’importe quelle sagesse de notre monde ? Ou bien s’agit-il d’une parole singulière ? « La parole que vous entendez n’est pas de moi, - dit Jésus - elle est du Père » (Jn 14, 24), c’est-à-dire de Dieu lui-même. A travers la parole humaine de Jésus, Dieu s’adresse à l’humanité. Tout au long de notre vie, nous avons entendu les paroles de Dieu. Nous les avons glanées comme des pépites les unes après les autres pour constituer notre petit trésor personnel : une phrase d’Evangile, une parole de Jésus, une phrase entendue un jour…

Tout cela vient-il simplement du papier, du livre ? Serions-nous une religion du papier ? Ou alors, cela vient-il du prédicateur, ce qui ferait de nous la secte du prédicateur ? Non, Jésus n’était pas un prédicateur fondateur de secte. Il n’a jamais cherché à fixer ses disciples sur sa personne, mais toujours, il les a tournés vers son Père.

Ainsi, peu à peu, la parole de Dieu a pris corps dans notre vie. A travers les évènements petits et grands, malheureux et heureux de notre vie, dans tout ce qui fait la trame de l’existence de tout homme, vous avez pris conscience que cette parole qui résonnait dans votre cœur n’était pas seulement une parole humaine mais qu’elle venait de Dieu et qu’elle était pour votre bonheur et votre vie.

Une autre question se pose : Dans ces paroles, y-a-t’il un moyen d’identifier ce qui vient de Dieu et ce qui ne vient pas de Dieu ? Avons-nous un filtre, ou plutôt une lumière particulière qui nous permettrait de discerner à coup sûr ? Dans les Evangiles, nous voyons que les disciples peuvent passer à côté de ce que Jésus veut leur dire, alors qu’ils sont toute la journée avec lui et l’entendent parler. A plus forte raison, comment pouvons-nous être sûrs que ces mots sont bien la parole de Dieu à nous adressée, alors que nous ne saisissons la Bible et l’Evangile que par bribes ? Le Christ nous dit : « L’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout. Et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. » (Jn 14, 26). Cette lumière particulière, cette capacité de reconnaitre la parole du Père, n’est pas un sixième sens que nous aurions et que les autres n’auraient pas. Le don de la présence en nous de l’Esprit de Dieu lui-même ouvre notre esprit, notre cœur, notre intelligence et notre volonté pour nous permettre de reconnaitre ce que Dieu veut nous dire et inséparablement de l’annoncer, comme nous le voyons dans le récit de la Pentecôte. L’Esprit qui descend sur les Apôtres leur fait se souvenir de tout ce que Jésus leur avait dit. Leurs yeux s’ouvrent et ils comprennent ce qui s’est passé, pourrait-on dire. Jusque-là ils ont vécu les évènements un peu à l’aveugle, bouleversés, trimbalés du procès au Golgotha et du Golgotha au tombeau. Mais tout cela leur était resté encore un peu mystérieux. Lorsque l’Esprit vient sur eux, ils se souviennent de tout ce que Jésus leur avait dit de ce qui allait se passer. Ils comprennent qu’il est vraiment le Fils de Dieu.

C’est un peu la question de foi à laquelle vous vous êtes confrontés dans votre âge adulte, et à laquelle vous avez essayé de répondre en vous préparant à recevoir la Confirmation. Chacun selon votre histoire, vous avez compris que si vous ne receviez pas les dons de l’Esprit Saint, il manquait quelque chose à votre vie chrétienne, à votre intelligence de la parole de Dieu et à votre capacité de la mettre en pratique. Vous avez saisi que la vie chrétienne n’est pas une performance humaine à laquelle on parviendrait avec suffisamment d’entrainement, mais qu’elle est une grâce, un don que Dieu nous fait. Nous la recevons par l’Esprit-Saint, le don que Dieu fait de lui-même. C’est pourquoi vous vous êtes mis en route pour recevoir ce don de l’Esprit Saint.

Je voudrais que nous retenions encore deux paroles de cet évangile.

Nous recevons un Esprit de vie, un Esprit qui fait de nous réellement des enfants de Dieu. « L’Esprit que nous avons reçu ne fait pas de nous des esclaves, des gens qui ont encore peur –dit saint Paul - C’est un Esprit qui fait de vous des fils » (Rm 8, 14-15). Nous nous demandons parfois à quoi l’on peut reconnaître un chrétien, si c’est à des choses extraordinaires qu’il ferait ou à une forme de vie particulière. Il me semble qu’un chrétien se reconnait réellement à ce qu’il vit dans la confiance d’un enfant remis à l’amour de son Père. Qu’ils s’agissent des fléaux naturels, économiques ou accidentels, les évènements de l’histoire du monde, et plus modestement de notre temps, sont suffisamment menaçants pour nous inquiéter et nous faire réellement peur. Ils peuvent nous conduire à nous barricader, à nous défendre et à nous accrocher à ce que nous avons. Or, l’Esprit que nous avons reçu ne fait pas de nous des esclaves, mais des hommes libres. Par l’Esprit, l’amour qui remplit notre cœur chasse la crainte. Cela ne veut pas dire que nous ne souffrons pas et que nous ne subissons pas les conséquences des drames du monde comme les autres. Mais nous vivons ces évènements dans la confiance de l’amour que Dieu nous a manifesté. Nous savons qu’Il n’abandonne jamais ceux qu’Il a choisis. Nous sommes sûrs qu’Il ne revient jamais sur les dons qu’il a faits. Nous croyons qu’il nous accompagne continuellement tout au long de notre vie. « Et si Dieu est avec nous – dit Saint Paul – qui sera contre nous !? » (Rm 8, 31). Si le Christ a vaincu la mort qui pourra le mettre en échec !? Et si nous sommes associés à la mort du Christ, nous sommes associés à sa résurrection, et avec lui nous pouvons vaincre la crainte et la peur.

Et c’est là la deuxième chose que je voulais souligner. L’Esprit qui vient reposer sur les Apôtres transforme chacun de ces hommes. Ils étaient apeurés, claquemurés dans leur abri et enfermés dans cette pièce par peur de ce qui se passait au dehors. Et voici qu’ils ouvrent la porte et les fenêtres. Et Pierre paraît aux yeux de tous ceux qui étaient en pèlerinage à Jérusalem. Il se met à leur parler et ils le comprennent. L’Esprit nous donne de nous comprendre par delà la différence des langues. Il nous permet de saisir le message de Dieu. On dit parfois - et nous pourrions finir par le croire - que les chrétiens vivent dans la crainte du monde qui les entoure comme si déjà d’avance, celui-ci les avait vaincus et écrasés. Comme s’ils n’avaient pas reçu l’Esprit de Dieu, on dit qu’ils s’enferment, se protègent, dressent des barrières et creusent des fossés pour empêcher que l’on puisse les atteindre. Mais nous savons bien que les projectiles se rient des barrières et des fossés ! L’Esprit du Christ ne nous invite pas à nous retirer pour nous protéger. Il nous porte à témoigner de ce que nous avons reçu.

C’est cet Esprit de témoignage que vous recevez ce soir et qui fait de vous des témoins de la Bonne Nouvelle pour ceux qui vous entourent, vos proches, vos collègues, vos voisins, vos amis. Vous n’allez pas devenir des prédicateurs impénitents pour rebattre les oreilles de votre entourage avec des histoires de sacristie ! L’Esprit de Dieu vous donnera plutôt de montrer à travers votre manière de vivre qu’il y a en vous une force qui dépasse nos forces humaines et qui vous donne la sérénité, l’endurance, la paix, la joie, l’amour.

A chacun et à chacune d’entre vous, je souhaite que ce don de l’Esprit Saint ouvre une nouvelle étape dans votre vie. Et je demande à Dieu que celles et à ceux qui vont communier pour la première fois ce soir aient la joie de partager le repas du Seigneur. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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