Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe des Nations - Pentecôte-Année C
Notre-Dame de la Croix de Ménilmontant - Dimanche 23 mai 2010
– Ac 2, 1-11 ; Ps 103 ; Rm 8, 8-17 ; Jn 14, 15-16.23-26
Aujourd’hui, c’est un peu Jérusalem à Ménilmontant ! Comme toutes les provinces de l’Empire Romain (c’était tout le monde connu à l’époque) étaient représentées à Jérusalem le jour de la Pentecôte, les cinq continents de la terre sont représentés parmi nous ce matin.
A l’occasion des fêtes de la Pentecôte, des gens étaient venus de toutes les régions du monde méditerranéen pour célébrer Dieu dans son Temple. Aujourd’hui le monde connu s’étend beaucoup plus loin qu’au temps de Jésus. Il comprend la planète toute entière. Cependant, ce n’est pas la fête de la Pentecôte qui vous a conduits à Paris, mais les événements du monde et le déroulement de chacune de vos existences. C’est la vie qui nous a rassemblés. Nous n’avons pas tous choisi d’être ici et de vivre à Paris sur la Butte de Ménilmontant. Pourtant nous y sommes. A travers les pays et les nations de la Terre dont nous sommes originaires, nous formons un modèle réduit du monde.
Dans la lecture des actes des apôtres, nous avons entendu comment l’Esprit-Saint répandu sur les Apôtres à la Pentecôte a permis à chacun de ceux qui les entendaient de les comprendre dans sa propre langue. Comment cela a-t-il pu se produire ? Les Actes des Apôtres ne veulent pas nous donner d’explication là-dessus. Mais ils nous font comprendre le sens de ce qui se joue lorsque chacun, d’où qu’il vienne, comprend ce que dit Pierre dans son araméen de Galilée : ce qui empêche les hommes et les femmes de se comprendre d’une culture à une autre, la différence des langues, des mots et des manières de penser, tout ce qui fait obstacle à la communication et à la communion entre les hommes ; tout cela peut être surmonté. Ce qui en rend les hommes capables, ce n’est pas une capacité soudaine d’être polyglotte, mais l’Esprit de Dieu qui leur donne de comprendre par l’intelligence du cœur et de rencontrer ceux et celles que Dieu place sur leur chemin. L’Esprit ne nous fait pas parler la même langue, mais à travers la diversité des langues et des cultures, il nous permet de nous reconnaître comme les membres d’une même famille.
Que nous venions de France, d’Afrique, d’Asie, d’Océanie, d’Amérique ou d’un autre pays d’Europe, jamais nous n’aurions imaginé avoir une famille aussi disparate, avec des membres aussi divers que celle que nous formons ce matin. D’ailleurs, rien ne nous force à nous reconnaître comme les membres d’une même famille, nous qui sommes différents par la couleur de notre peau, par la culture que nous avons reçue, par les mots que nous employons, ou par nos manières de voir. Rien ne nous oblige à nous reconnaître comme des frères et des sœurs. Et dans la vie de notre société, nous le savons bien, il ne suffit pas que nous ayons des bons sentiments pour surmonter effectivement les différences qui divisent.
La puissance de l’Esprit nous rend d’abord capables d’accepter que nous ne soyons pas tous pareils, que les uns et les autres soient différents. Plus, l’Esprit nous donne de supporter ces différences, et plus encore d’accueillir ces différences comme une richesse et comme une chance qui nous est donnée. Certes, cela nous fait du bien de temps en temps de nous retrouver entre gens de la même culture, des mêmes mots, des mêmes langues. Mais plutôt que de vivre les uns à côté des autres, en nous ignorant et en ayant chacun notre lieu propre pour se retrouver entre-soi, l’Esprit du Christ nous rassemble dans l’Église pour que nous formions un seul corps et qu’à travers la diversité des membres de ce peuple nous construisions une communion plus forte et plus riche.
Souvent, ceux qui nous entourent sont sensibles à la menace, aux risques et à l’étrangeté que représentent les différences. Mais nous apprenons de l’Esprit du Christ à accueillir la richesse, l’amitié et la familiarité qui peuvent exister entre nous. C’est un signe que nous sommes invités à donner dans notre monde. Nous nous demandons souvent ce que nous pouvons faire pour améliorer les choses là où nous vivons. Nous pouvons donner ce signe que les différences entre les hommes et les femmes ne sont pas des fossés insurmontables mais que tous sont capables de s’écouter, de s’entendre, de s’estimer et de s’aimer. Nous devons être témoins de ce qu’aucun groupe ethnique, aucune culture ou aucune race ne peut se mettre à part comme si elle se suffisait à elle-même, mais que nous avons tous besoin les uns des autres pour atteindre la grandeur de l’humanité, la plénitude du Corps du Christ.
Voilà une richesse que nous vivons dans notre Église, avec nos limites et nos faiblesses. Je ne suis pas naïf et je sais bien que cela ne se réalise pas d’un coup de baguette magique. Tous les jours, il nous faut surmonter nos préventions, nos préjugés et nos difficultés pour aller au-devant de l’autre. Mais comme baptisés, nous savons que c’est le but vers lequel nous marchons, que c’est dans ce sens-là que nous voulons avancer. Le corps de notre Église grandit lorsque nous accueillons ceux qui se présentent en leur reconnaissant une place au milieu de nous et lorsque nous recevons effectivement les richesses qu’ils apportent, pour les mettre en commun avec celles de ceux qui viennent d’autres pays et d’autres cultures.
L’Ecriture nous indique un fruit du don de l’Esprit : surmonter la peur. Vous savez que les disciples étaient enfermés et barricadés par peur des juifs. Ils n’osaient pas aller à leur rencontre. Par le don de l’Esprit, ils sont conduits à ouvrir leur porte et leurs cœurs. Ils ne cherchent plus à se cacher, à se protéger ou à se barricader. Au contraire, ils sortent au devant de ces hommes et de ces femmes qui étaient présents à Jérusalem pour leur annoncer la bonne nouvelle de la résurrection du Christ. Ils étaient enfermés dans la peur, l’Esprit-Saint les a délivré de la peur et en a fait des témoins de la Bonne Nouvelle.
Aujourd’hui, beaucoup de chrétiens vivent avec la peur. Ils ont peur de ne pas être compris, peur de ne pas être respectés, peur d’être critiqués, peur qu’on leur impose des manières de vivre qui ne correspondent pas à l’Evangile. Ils sont parfois tentés de se retirer de ce monde, de se mettre à l’abri, de se retrouver entre-soi et de construire une petite société supposée être selon l’Evangile, séparée du reste de la société, des ses agressions et de ses dangers. L’Esprit du Christ ne nous conduit pas à cette attitude de peuple assiégé, enfermé et barricadé. Il nous donne au contraire d’être un peuple ouvert et au contact de tous ceux qui l’entourent. L’Esprit-Saint ne fait pas de nous des esclaves habités par la crainte. Il fait de nous des enfants de Dieu qui savent que dans la rencontre avec les autres, dans la confrontation – même parfois conflictuelle - avec d’autres manières de vivre, nous ne sommes pas perdus, ni vaincus d’avance, ou obligés de nous conformer au mode de vie du monde qui nous entoure. L’Esprit nous invite plutôt à témoigner d’une autre manière de comprendre la vie, d’une autre manière de mettre en œuvre le respect et l’amour mutuel, le pardon et la miséricorde sans nous résigner au mode de vie du monde et sans non plus nous en retirer. Etre des témoins de la foi au milieu des hommes est au-delà de nos propres forces. Seule la puissance de l’Esprit nous donne la possibilité de le vivre.
En ce jour de la Pentecôte, nous rendons grâce au Seigneur qui renouvelle en nous le don de son Esprit, et qui nous rend à nouveau capables d’être témoins de la foi au milieu du monde. A partir de toutes les nations dont nous sommes issus, l’Esprit nous donne d’ouvrir nos cœurs pour former une vraie famille, la famille de Dieu. Amen.
+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris