Homélie de Mgr André Vingt-Trois – 20 mai 2007
Cathédrale Notre-Dame de Paris - dimanche 20 mai 2007
Frères et Soeurs, le Christ Jésus de Nazareth, mort et ressuscité, est apparu à plusieurs reprises à ses apôtres et à ceux qui les accompagnaient. Eux qui l’avaient vu crucifié, ils l’ont revu vivant. Mais voici que par son Ascension il les quitte comme il le leur avait annoncé :"Je suis encore avec vous pour un peu de temps". A partir du moment où il est retourné auprès du Père, il n’y a plus d’expérience sensible de la présence de Jésus de Nazareth. Il n’y a plus de corps à voir, de voix à entendre, de regard à croiser. Il n’y a plus que le souvenir de sa présence. Comment vont-ils affronter cette disparition ? Comment vont-ils vivre le vide qui s’est creusé au milieu d’eux, comment vont-ils pouvoir demeurer fidèles à celui qui tenait tant de place parmi eux et qui a disparu ?
C’est la question à laquelle ils ont été confrontés et que la liturgie nous invite à recevoir et à affronter pendant ces jours qui suivent l’Ascension. Mais, vous le savez, ces événements lorsqu’ils sont survenus étaient la réalisation d’une annonce que le Christ avait faite bien longtemps à l’avance et jusqu’à son dernier repas qu’il a pris avec ses apôtres. Dans le discours qu’il leur a adressé alors, celui que nous appelons habituellement le discours après la Cène, et dans l’ultime prière que nous rapporte l’évangile selon Jean, Jésus déjà leur avait dit ce qui allait arriver ; il leur avait annoncé qu’il les quitterait et il leur avait promis le don de l’Esprit-Saint.
Comment va-t-on reconnaître la puissance du Ressuscité à travers le corps de ses disciples ? Quel sera le signe qui permettra de comprendre que bien qu’il soit dorénavant absent, il continue cependant d’être au milieu d’eux, de les conduire et de les assister ? Comment les hommes et les femmes qui les entourent et qui les regardent vivre vont-ils pouvoir découvrir qu’une force particulière les habite et transforme leur vie ? La prière du Christ que nous venons d’entendre nous donne la clef des réponses à cette question : c’est par l’unité parfaite qui doit exister entre ceux qui marchent à la suite du Christ que va être manifestée la véritable identité de Jésus."Qu’ils soient un en nous", dit le Christ à son Père,"qu’ils soient un en nous eux aussi pour que le monde croit que tu m’as envoyé".
Nous sommes ainsi invités à méditer le sens de la communion ecclésiale. S’agit-il simplement d’une sorte de code de bonnes moeurs entre gens d’une même religion ? Il serait tout de même étrange, pourrait-on penser que nous ne soyons pas capables de trouver les moyens de vivre fraternellement, comme il est étonnant que des gens d’une même famille ne soient pas capables de vivre d’un même amour. Mais l’expérience nous l’apprend : les familles se déchirent comme les chrétiens sont capables de s’entredéchirer, nous en avons malheureusement donné la preuve au cours des siècles par les séparations qui ont traversé notre Eglise entre l’Orient et l’Occident, puis en Occident entre les Réformés et les Catholiques. Plus encore, à l’intérieur de chacune de nos Eglises l’Esprit de la division continue son oeuvre, montant les uns contre les autres, alimentant un regard de jugement sur nos frères, nous faisant condamner hâtivement ceux qui ne pensent pas comme nous, ceux qui ont d’autres habitudes, ceux qui ont d’autres sensibilités, ceux qui ont d’autres requêtes.
Il ne suffira pas d’exhorter les chrétiens à l’unité pour que ces ferments de division disparaissent. La communion entre les chrétiens n’est pas le fruit d’une sorte d’effort que nous aurions à faire pour être plus tolérants les uns envers les autres. La communion entre les chrétiens, telle que le Christ nous l’a décrite et telle qu’il demande au Père de la réaliser, n’est pas autre chose que la communion qui existe entre le Père et le Fils. De même que le Père et le Fils ne font qu’un, nous sommes invités nous aussi à ne faire qu’un, et à ne faire qu’un dans le Christ, avec Lui. De même que l’unité qui rassemble le Père et le Fils, communication du Père au Fils et du Fils au Père, est la personne même du Saint-Esprit, de même notre communion entre nous et avec le Christ dépend du don de cet Esprit. Lui seul est capable de transformer nos coeurs et de transformer nos méfiances, nos résistances, nos rivalités pour que nous progressions réellement dans la communion.
A chaque époque de son histoire, l’Eglise a été confrontée à ce ferment de division qui vise à faire éclater le corps du Christ. A chaque époque de son histoire, elle n’a pu surmonter ce ferment de division que dans une soumission plus complète au don de l’Esprit, à l’amour qui vient de Dieu lui-même, celui que l’on nomme la charité, à la volonté du Christ que nous ne fassions plus qu’un et que l’unité entre nous devienne un signe pour le monde. L’unité à laquelle nous sommes invités à participer dépasse les particularismes de culture, de race, de tempérament, de génération, de richesse, de pauvreté ; elle n’est pas une union tactique, elle est profondément l’union que le Christ accomplit par sa propre présence et par le don qu’il nous fait de son Esprit. C’est pourquoi l’Eglise repose principalement, sacramentellement, sur cet acte de communion unique auquel nous sommes conviés dimanche après dimanche. En participant à l’eucharistie de l’Eglise, nous entrons dans la communion du Père et du Fils, nous recevons la plénitude de cette communion et nous sommes conduits par delà nos particularités à ne former qu’un seul corps.
Certes, une fois sortis de l’église, chacun et chacune d’entre nous a sa vie, ses préoccupations, ses responsabilités, ses charges, ses faiblesses aussi et ses péchés. Mais quand nous sommes rassemblés dans le signe eucharistique du Corps du Christ, tout cela est repris dans l’amour qui unit le Père et le Fils et dans l’amour que le Fils veut vivre avec ses disciples quand il demande au Père que nous ne fassions qu’un avec Lui comme Lui il ne fait qu’un avec le Père.
Frères et soeurs, au moment où le Seigneur nous rassemble pour vivre ce sacrement eucharistique, nous devons d’abord rendre grâce : ce grand sacrement nous permet de surmonter ce qu’il y a de réserve, de crainte, de méfiance et parfois de haine en nos coeurs afin que nous devenions capables de nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés. Ainsi nous pouvons devenir ainsi des témoins de l’amour du Père pour les hommes :"Le monde ne t’a pas connu mais moi je t’ai connu… Je leur ai fait connaître ton nom et je le ferai connaître encore pour qu’ils aient en eux l’amour dont tu m’as aimé et que moi aussi je sois en eux". Que le Christ aujourd’hui soit en nous pour faire connaître au monde le nom du Père. Que le Christ soit en nous pour que nous donnions le signe de l’unité qui vient de Dieu lui-même. Amen.
+ André Vingt-Trois
Archevêque de Paris