Homélie de Mgr André Vingt-Trois
Notre-Dame du Bon Conseil – Dimanche 12 mars 2006
Évangile selon Saint Marc chap. 9, versets 2-10.
Tandis que nous avançons en ces quarante jours et que nos amis catéchumènes approchent de leur baptême qui sera célébré lors de la Vigile de Pâques, la liturgie nous propose en ce deuxième dimanche de Carême le récit de la transfiguration du Christ. C’est évidemment parce que cet événement a un sens particulier dans le cheminement que les apôtres doivent vivre avec Jésus, pour monter à Jérusalem, affronter sa mort et découvrir sa résurrection.
Dans l’évangile selon saint Marc que nous venons d’entendre, l’événement de la transfiguration est destiné à donner plus encore d’autorité à la parole du Christ. Car, après la transfiguration, il va annoncer aux disciples le chemin dans lequel il s’engage, dans lequel il les appelle à le suivre et, comme cette annonce sera difficile à entendre et plus difficile encore à comprendre, il concède une parole. Il ne s’agit pas d’une parole humaine banale, d’un pronostic incertain. Il s’agit d’une parole qui vient de Dieu lui-même, et c’est pourquoi la transfiguration, reprenant la manifestation des premiers jour au moment du baptême de Jésus, est pour les trois, Pierre, Jacques et Jean, qui ont été les seuls à accompagner le Christ sur la montagne, l’occasion d’entendre la Parole que nous avons entendue : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ».
Comment cette parole venue de la nuée, c’est-à-dire de Dieu lui-même, comment cette parole est-elle confirmée aux yeux et aux oreilles des trois disciples qui ont accompagné Jésus sur la montagne ? Elle est confirmée par ce qu’ils voient de leurs yeux, ce qui constitue la transfiguration : Jésus de Nazareth qu’ils connaissent bien, qu’ils accompagnent tous les jours, avec qui ils ont mangé, avec qui ils ont parlé, qu’ils ont touché de leurs mains, qu’ils connaissent donc bien comme un homme comme eux, pris dans le peuple d’Israël, - bien sûr, l’évangile de saint Marc nous a fait découvrir peu à peu que cet homme pris parmi les hommes enseigne avec autorité, d’une façon nouvelle, différente de celle qu’ils entendent habituellement, bien sûr il a fait des signes extraordinaires, mais enfin il est fait comme nous, de la même pâte que nous -, cet homme qu’ils connaissent, brusquement, change d’apparence à leurs yeux.
Ce qu’ils voient maintenant, ce n’est plus seulement son corps qui est le même que le nôtre, sa tête, ses yeux, ses mains, c’est au contraire une grande blancheur à nulle autre pareil, une blancheur comme on n’en connaît pas, - et si on ne la connaît pas, c’est parce que c’est une blancheur qui vient d’ailleurs, qui n’est pas une blancheur humaine -, ce sont ces vêtements extraordinaires qui l’entourent d’une sorte de halo de lumière. Les yeux humains des apôtres ne voient plus seulement Jésus de Nazareth, mais dans la personne de Jésus de Nazareth, ils voient un personnage mystérieux, inconnu, d’une blancheur qu’ils ne connaissent pas, et pour les aider à comprendre qui est ce personnage mystérieux d’une blancheur qu’ils ne connaissent pas, ils voient près de lui et Moïse et Élie. Moïse, c’est-à-dire le fondateur, celui qui a entraîné Israël dans la libération d’Egypte, et Élie, le Père de tous les prophètes. Alors ils comprennent que celui qu’ils ont devant les yeux n’est pas un homme comme les autres, et pour confirmer cette impression qu’ils ont, ils sont couverts par la nuée et la voix qui vient du ciel leur dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ».
La transfiguration, c’est dans la vie de Jésus, dans sa vie humaine, dans son corps humain, dans sa personne humaine, c’est l’apparition et la manifestation de son identité de Fils bien-aimé du Père, ce que les yeux ne voient pas habituellement, dans la vie de tous les jours. Quand ils vont redescendre de la montagne, il n’y aura plus d’habits d’une blancheur comme on en n’a jamais vu, il aura des habits ordinaires de tous les jours ; il n’y aura plus une voix qui descend du ciel, il y aura la voix habituelle de Jésus. Mais, eux, les trois qui ont été sur la montagne avec lui, ils savent qu’à travers le corps actuel de Jésus de Nazareth, à travers les vêtements habituels de Jésus de Nazareth, à travers la voix ordinaire de Jésus de Nazareth, c’est le Fils bien-aimé et unique du Père qui est à l’œuvre parmi les hommes.
Cela veut dire que tous ceux qui vont suivre le Christ et qui vont plonger avec lui dans la mort et la résurrection, ceux qui vont être baptisés et qui vont revêtir au moment de leur baptême une robe blanche immaculée comme on n’en porte pas tous les jours, eh bien, ils vont être revêtus d’un vêtement nouveau qui est une créature nouvelle du miracle rituel du baptême. Ceux qui vont être baptisés dans le Christ, vont évidemment continuer à vivre leur vie. Évidemment le lundi après Pâques, ils seront dans leur famille, et dans leur travail et dans leurs relations, et on ne verra rien de changé. Ils seront les mêmes. Mais eux, et nous avec eux, parce que nous aurons été témoins de leur baptême, nous savons qu’à travers leur existence quotidienne, ce qu’ils font tous les jours, quelque chose est en train de se manifester, que les yeux ne voient pas, mais qui est la puissance de Dieu à l’œuvre à travers leur existence.
Ce sont toujours les mêmes personnes, mais ils ne sont plus seuls à vivre ; ce sont toujours les mêmes corps, les mêmes vêtements, la même voix, mais le corps, les vêtements et la voix expriment quelque chose de neuf. Ils expriment l’existence des enfants de Dieu. Baptisés dans le Christ, confirmés dans le Christ, communiant à la vie du Christ ressuscité, nous ne sommes plus simplement des hommes et des femmes ordinaires, nous sommes des enfants de Dieu dont la qualité transparaît, non pas à travers des signes extraordinaires, mais à travers des signes que nous donnons par notre manière de vivre jour après jour.
Voilà comment la transfiguration du Christ nous fait avancer sur notre chemin, comme ce mystère nous aide à mieux comprendre ce qui se passe dans le baptême. Il se passe une transformation de nous-mêmes : nous sommes toujours les mêmes et pourtant nous sommes devenus des créatures nouvelles. Nous sommes toujours soumis aux contraintes de l’existence humaine, à la faim, la soif, à la fatigue, aux tracas de chaque jour, mais pourtant nous sommes habités d’une force qui dépasse toutes les nôtres. Nous finirons tous par mourir, comme tout le monde, et pourtant nous participons déjà de la vie du Ressuscité, et la mort a été vaincue comme saint Paul nous l’a rappelé tout à l’heure.
Alors, si nous participons à la victoire du Christ sur la mort, si nous participons de la force du Christ répandue en nos cours par l’Esprit Saint, si nous recevons la parole du Christ et si nous l’écoutons comme Dieu nous y invite lui-même, si nous mettons cette parole en pratique, alors nous menons une vie nouvelle, nous sommes les annonciateurs, les prophètes, les témoins, que chaque personne humaine dans sa liberté est capable de vivre en s’appuyant sur l’amour de Dieu. Nous apportons la preuve que, malgré nos faiblesses, malgré nos défauts, malgré même nos fautes, nous pouvons être des artisans de paix, des bâtisseurs d’amour, des hommes et des femmes qui travaillent à faire apparaître un monde nouveau à travers le monde dans lequel nous vivons. Nous sommes des bâtisseurs d’un monde nouveau, nous sommes des constructeurs d’un monde selon le cœur de Dieu, nous sommes les témoins de la résurrection à travers ce monde.
Eh ! Nous sommes comme les apôtres : nous entendons cette parole qui annonce la Résurrection du Christ mais, comme eux, nous nous demandons ce que peut bien pouvoir dire « être ressuscité ». Car on ne comprend pas d’un seul coup ce que veut dire la Résurrection ; on le découvre peu à peu en marchant avec le Christ, en participant aux événements qui vont se dérouler pendant la Semaine Sainte, en célébrant la Résurrection dans la vigile pascale, et en accueillant le feu de l’Esprit à la Pentecôte. Alors, peu à peu, nos yeux s’ouvrent, notre intelligence accueille le sens des événements et notre cour s’unit à la volonté de Dieu pour que la vie du Christ soit répandue à profusion.
La démarche missionnaire dans laquelle vous êtes engagés dans votre paroisse doit aider à ce que toute la communauté paroissiale manifeste la transfiguration du monde à travers le témoignage de nos existences. Elle doit aider à ce que davantage d’hommes et de femmes entendent la parole de Dieu qui leur dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ». Elle doit permettre d’annoncer l’amour de Jésus-Christ, le don qu’il fait de sa vie, la présence qu’il nous assure dans les sacrements. Elle doit être une métamorphose de l’histoire humaine, pour que chacun découvre que, quels que soient les événements, les péripéties de sa vie, il peut lui aussi voir surgir la vie divine à travers l’existence humaine.
Rendons grâce à Dieu qui nous rend témoins de cette transfiguration de l’histoire des hommes, de cette transfiguration de notre propre histoire à travers la transfiguration du Christ qui annonce sa victoire sur la mort et le chemin d’espérance dans lequel il veut nous entraîner.
Amen.
+ André Vingt-Trois,
archevêque de Paris