Homélie de Mgr André Vingt-Trois - Messe Chrismale 2006
Mercredi 12 avril 2006 - Cathédrale Notre-Dame de Paris
1. L’aujourd’hui du salut.
Au moment où nous allons entrer dans la célébration solennelle de la Pâque et où nous allons suivre le chemin du Christ dans sa Passion, sa mort et sa résurrection, notre Messe Chrismale annuelle nous invite à nous remettre en face du Christ Seigneur, « l’alpha et l’oméga, Celui qui est qui était et qui vient, le Tout-Puissant. »
Notre foi chrétienne découle tout entière de la grâce par laquelle Dieu nous fait connaître le témoignage apostolique sur Jésus de Nazareth, sa vie, sa prédication, les signes de salut qu’il a accomplis, l’offrande de sa vie par obéissance à sa mission reçue du Père et par amour de l’humanité et enfin sa résurrection d’entre les morts.
Oui, elle est grande la grâce de la prédication apostolique que nous devons à l’Église, elle est la source de notre joie et notre force en ce monde-ci. Elle est la lumière de notre vie. Elle est notre espérance. Elle est la cause de notre persévérance et de notre constance à travers les événements de l’histoire des hommes.
La promesse annoncée par le prophète Isaïe est accomplie dans la mission de Jésus : « Cette parole de l’Écriture, que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit. » Cet aujourd’hui, c’est l’aujourd’hui de la synagogue de Nazareth au début de la vie publique de Jésus. Ce sera aussi l’aujourd’hui de Jérusalem quand l’heure en sera venue. Ce sera enfin l’aujourd’hui de la Pentecôte quand l’Esprit-Saint sera répandu sur les disciples et animera l’Église du Christ.
Tout cela, nous sommes prêts à y croire, mais pas à le croire. On y croit comme on croit à une belle histoire. Mais notre foi n’est pas simple adhésion à la belle histoire survenue il y a deux mille ans. Elle est confiance et certitude que cet aujourd’hui de l’accomplissement est le jour que nous vivons. C’est maintenant. C’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit.
2. Les signes de notre temps.
Cette manifestation de la puissance de Dieu dans le tissu de nos existences appelle de chacun de nous un acte de foi quotidien. Notre environnement social et culturel allie inséparablement tous les fruits de la puissance technologique et de la prospérité financière au développement de nouvelles précarités et à la montée des incertitudes sur l’avenir. Ce mélange des espoirs de prospérité et des inquiétudes pour demain génère une anxiété dont la jeunesse est la première victime, parce que la plus concernée par l’avenir.
Cette anxiété conduit à des secousses collectives qui remettent profondément en cause la confiance nécessaire dans les institutions démocratiques de notre pays. Cette anxiété se cristallise sur des sujets emblématiques dont le contenu, vite occulté, laisse la place à l’expression des angoisses exacerbée par une médiatisation spectaculaire. Le débat démocratique et l’engagement dans les scrutins électoraux semblent remplacés par les pressions de la rue, voire la violence morale ou physique.
Citoyens et chrétiens, comment pourrions-nous prendre notre parti de cet appauvrissement de la vie collective et du débat authentique dans notre pays ? La foi, l’espérance et la charité chrétiennes peuvent-elles rester muettes devant ce qui arrive ? Permettez-moi de rappeler comment, ici même, le 3 décembre dernier, j’ai invité les catholiques parisiens à prendre leur place dans les tâches de la cité en les pressant d’être présents et actifs dans tous les domaines de la vie sociale.
Les chrétiens ne peuvent pas se contenter d’être une simple force d’appoint pour les causes généreuses. Ils doivent aussi défendre une authentique conception de l’homme qui respecte la liberté de décision et d’expression de tous. Ils doivent participer aux efforts communs pour plus d’équité et de justice dans notre société. Leur sens de la catholicité les invite à ne pas borner leur horizon aux seuls enjeux hexagonaux. Il les incite aussi à rappeler notre responsabilité universelle dans le partage des biens. Ils rappellent que la véritable sécurité de l’homme n’est pas dans son niveau de vie, moins encore dans ses profits financiers, mais dans le respect de la dignité de chaque être humain. Qu’ils soient jeunes ou vieux, français ou étrangers, tous ont le droit de vivre honnêtement, et ce droit ne peut être respecté que par une civilisation du partage, pas par celle des privilèges.
Il ne m’appartient pas de définir les moyens politiques de parvenir à ce but, mais j’ai la responsabilité de rappeler à tous que l’enjeu de notre vie collective est d’abord le sens de l’homme et le respect de sa dignité. Pour nous, ce sens de l’homme est indissociable de notre foi en Dieu, le Créateur de tout être humain.
3. La consécration chrétienne.
Les huiles saintes que je vais maintenant consacrer sont le signe sacramentel que ce combat pour l’homme est d’abord une lutte de l’amour contre la haine, la rancour et la violence. Baptisés, confirmés et ordonnés, malades et catéchumènes, elles nous conforment au Christ qui a sauvé le monde, non en écrasant l’adversaire mais en annonçant inlassablement la Bonne Nouvelle de la libération des hommes par la grâce d’une année de bienfaits. Sa mort et sa résurrection ont eu plus d’effet pour changer le monde que toutes les légions de César et que tous les groupes de zélotes. Il nous a montré que le seul levier qui bouscule l’univers, c’est l’amour. Nous le croyons : c’est l’amour de Jésus en qui nous est manifesté et donné l’amour du Père qui ouvre pour nous les cieux et nous rend capables d’agir pour que notre terre porte déjà les fruits du Royaume.
Chers frères prêtres, c’est au nom de cet amour que vous avez été consacrés et que vous avez accepté de faire l’offrande de votre vie tout entière. C’est au service de cet amour que vous vous dépensez sans compter dans les tâches quotidiennes de votre ministère. C’est l’espérance de cet amour que vous essayez de communiquer à vos communautés semaine après semaine. Au moment où nous allons renouveler les promesses de notre ordination, permettez à votre archevêque de vous dire à nouveau toute son affection.
Tout au long de cette année, je vous ai rencontrés de toutes sortes de manières. Chaque fois j’ai rendu grâce pour le dévouement et la constance avec lesquels vous assumez votre mission. Je voudrais que nous ayons une pensée particulière pour nos frères malades ou infirmes. Qu’ils sachent qu’ils restent présents à notre cour. Nous sommes aussi en étroite communion avec les prêtres restés à Lourdes pour accompagner les jeunes du Frat.
Je suis heureux de prier ce soir avec les séminaristes du diocèse de Paris qui sont au milieu de nous. Je vous invite déjà à venir nombreux à l’ordination sacerdotale qui sera célébrée ici même le samedi 24 juin à 9 heures. C’est l’un de nos grands rendez-vous diocésains annuels avec notre Messe Chrismale. Au moment où ils vont être consacrés dans leur ministère sacerdotal, les nouveaux prêtres ont besoin de sentir votre présence et votre prière.
Aux diacres permanents, je veux dire aussi mon amitié et ma reconnaissance pour le don qu’ils ont accepté de faire pour le service de l’Évangile et je veux remercier leurs épouses et leurs familles de leur collaboration.
Aux religieuses et aux religieux, ainsi qu’à vous tous, frères et Soeurs dans la foi, je dis ma confiance en la grâce de Dieu agissant en vous et l’espérance de notre Église devant votre résolution à vivre dans la suite du Christ.
Permettez-moi encore d’évoquer avec vous deux grands motifs d’action de grâce et d’espérance. Dimanche dernier, j’ai célébré la fête des Rameaux avec les jeunes du Frat, 11.000 pèlerins de la province d’Ile-de-France. Comment n’être pas plein de joie devant ces lycéens qui ont pris quatre jours sur leurs vacances pour se rencontrer, réfléchir et prier ?
Enfin je confie à votre prière de ces Jours Saints plus de 100 adolescents qui se préparent au baptême et les 341 catéchumènes adultes qui vont recevoir les sacrements de l’initiation chrétienne au cours de la Vigile Pascale. Les supérieures des communautés contemplatives du diocèse me rendront tout à l’heure les livres grâce auxquels elles ont prié pour chacun d’eux pendant ce carême et je leur remettrai un autre livre pour qu’elles prient en vue des ordinations sacerdotales.
S’il en était encore besoin, ces ordinands et ces catéchumènes nous rappellent tous qu’elle est féconde aujourd’hui la Parole de Dieu et que Dieu continue d’accomplir ses merveilles en notre temps.
+ André Vingt-Trois
Archevêque de Paris