Homélie de Mgr André Vingt-Trois - Messe de l’Œuvre d’Orient
Cathédrale Notre-Dame de Paris - Dimanche 22 mai 2005
Béatitude,
C’est un honneur particulier pour l’Église de Paris et pour son pasteur de vous accueillir dans cette prestigieuse cathédrale et de manifester publiquement notre étroite communion avec les communautés catholiques orientales et notamment de votre Église chaldéenne. La fête patronale de l’Œuvre d’Orient nous en fournit l’occasion et nous lui en sommes reconnaissants, comme nous lui sommes reconnaissants de son action pour le soutien de ces communautés si durement éprouvées.
Béatitude, il n’est malheureusement pas nécessaire de rappeler les souffrances endurées par votre Église au long des récentes années de conflit ouvert avec les violences qui en ont découlé. Nous le savons bien, la lutte armée ne fait pas que de sanglantes victimes du glaive, elle meurtrit aussi les cœurs et exténue les volontés de chercher des solutions politiques aux problèmes collectifs. Le terrorisme ne fait pas que tuer aveuglément des victimes innocentes, il pourrit aussi les âmes en nourrissant l’illusion, trop souvent vérifiée dans nos systèmes d’information, qu’il est une manière efficace de gérer les situations de crise et surtout de faire sentir sa force.
Dans les conflits qui ensanglantent le Moyen-Orient depuis près d’un siècle, nous avons appris que les chrétiens ont trop souvent fait les frais de l’exaspération politique et ont été désignés comme victimes expiatoires de la folie commune. Les massacres systématiques de la période de la première guerre mondiale sont restés tristement célèbres à la mémoire collective sous le titre générique de « génocide des arméniens ». Mais nous devons nous souvenir aussi des victimes des autres Églises chrétiennes emportées par la même hargne à effacer toute trace des chrétiens. Parmi elles, votre Église chaldéenne a compté nombre de martyrs tués en haine de la foi. La récente publication en français du mémoire du P. Jacques Réthoré, Les chrétiens aux bêtes, nous en apporte encore le triste témoignage.
Même si notre pays ne peut que difficilement assurer physiquement la protection des chrétiens en Orient, vous savez que notre cœur reste près du vôtre et que nous voulons faire tout notre possible pour sortir vos épreuves du silence où on les confine et vous apporter tout le soutien que nous pouvons par notre prière et notre aide.
Mais les lectures bibliques que votre sainte liturgie propose à notre méditation nous invitent aussi à faire retour sur nos comportements et à mesurer combien l’appartenance au Christ Seigneur nous incorpore à la catholicité de son corps ressuscité. Les divisions entre les membres de la communauté de Corinthe, contre lesquelles s’élève saint Paul, nous obligent malheureusement à regarder comment les divisions entre les Églises chrétiennes apportent un contre témoignage à la charité répandue en nos cœurs par la foi.
La fidélité de vos communautés à la succession apostolique et leur communion au siège de Pierre leur a valu beaucoup de tracas au long des siècles. Fallait-il le glaive des persécuteurs pour que la foi au Christ dévoile l’unité du Corps dans le même martyre en mêlant le sang des uns et des autres ? Grâce à Dieu, le mouvement œcuménique de la période moderne rapproche lentement mais sûrement ceux qu’une même foi unit.
En évoquant ces divisions, je n’ai garde d’oublier qu’elles ne sont pas seulement le fait des Églises d’Orient. En leur temps, nos Églises d’Occident ont hélas sombré elles aussi dans la division, la compromission avec le pouvoir politique et les déchirements meurtriers.
Le Pape Jean-Paul II nous a souvent exhorté à entrer dans le travail spirituel de la purification de la mémoire et il nous en a donné l’exemple en travaillant sans relâche au rapprochement entre les Églises pour redonner à l’unique Église du Christ la plénitude de sa vitalité par la respiration de ces « deux poumons », comme il aimait à le dire.
La présence chez nous des communautés orientales et leur vitalité spirituelle sont un appel constant et un encouragement à avancer dans le respect des autres traditions chrétiennes et dans la recherche de la pleine communion. Puissions-nous prendre exemple de votre histoire pour progresser nous aussi dans l’unité entre les communautés chrétiennes occidentales encore séparées !
Le repas chez Simon le pharisien, nous donne une illustration des racines de la division par le poison de la superbe. Seuls ceux qui, à l’image de la pécheresse, sont capables de s’humilier devant le Seigneur dans le repentir de leur péché, peuvent grandir dans la communion à l’unique Seigneur et dans la communion avec leurs frères. Là où prédominent le jugement et le mépris, le cœur se ferme et s’isole dans la suffisance. Il devient inapte à accueillir la miséricorde divine et à en vivre dans sa propre communauté.
Béatitude, nous vous sommes très reconnaissants de nous associer à votre liturgie, nous sommes reconnaissants aux fidèles chaldéens qui portent témoignage dans notre ville et notre province d’Ile de France. Nous bénissons Dieu de nous faire vivre ce jour et nous le supplions qu’il protège vos fidèles dans l’épreuve qui leur est actuellement imposée.
+ A. VINGT-TROIS
Archevêque de Paris
Ordinaire des catholiques de rite oriental
22 mai 2005