Homélie de Mgr André Vingt-Trois - Fête du Saint Sacrement
Cathédrale Notre-Dame de Paris – Samedi 28 mai 2005
Si les chrétiens, au long des siècles, ont appris peu à peu à vénérer le Corps du Christ dans le Saint-Sacrement, c’est comme une sorte de prolongement de cette communion intime où ils puisent leur vie. L’Eucharistie n’est pas d’abord quelque chose que l’on regarde, c’est quelqu’un que l’on accueille. Ce n’est pas d’abord un objet d’adoration, c’est d’abord le lieu d’une communion.
C’est comme une prolongation de cette communion que nous développons et que nous nourrissons en adorant le Christ dans le Saint-Sacrement. Quand nous vénérons l’Hostie consacrée, quand nous nous inclinons devant elle, quand nous présentons devant elle nos prières, nos supplications, nos louanges, nous ne faisons que prolonger la célébration eucharistique. A travers notre présence et notre ouverture, nous donnons à Dieu le temps nécessaire pour pénétrer nos cœurs pour que l’instant de la communion, qui est nécessairement un instant très bref, se diffuse et gagne toutes les parties de notre personne et de notre liberté, pour que le Pain reçu et consommé devienne vraiment dans nos cours progressivement source de vie. Non pas parce que Dieu ne serait pas assez puissant pour agir en un instant, mais parce que nous sommes trop faibles pour accueillir une irruption extraordinaire de Dieu dans notre vie, de manière instantanée. Il nous faut laisser le temps pour notre système humain de se déployer et vibrer comme la terre s’ouvre au soleil, pour que la lumière de l’amour du Christ pénètre en nos cœurs et nous atteigne au plus profond de nous-même et gagne toutes les fibres de notre être. Oui, être participant de l’Eucharistie, c’est d’abord communier, c’est ensuite adorer. Tous les signes humains que nous pouvons manifester pour exprimer cette adoration sont surtout des gestes et des paroles à travers lesquels la position de notre corps, par le chant de notre voix, par l’intensité de notre regard, nous nous laissons pénétrer, transformer par la puissance d’amour du Christ. Dans le discours sur le Pain de vie, les gens demandent à Jésus : « Que nous faut-il faire pour accomplir l’œuvre de Dieu ? » Et Jésus leur répond : « L’œuvre de Dieu, c’est de croire en celui qu’il a envoyé ». Quand vous approchez pour la communion, on vous présente le Corps du Christ, on vous dit : « Le Corps du Christ ». Et on voudrait à l’occasion vous entendre dire “Amen”, et pas simplement quelques balbutiements dont seul le Saint-Esprit peut déchiffrer la partition ! On voudrait que votre corps soit à l’unisson de votre cœur, que vous tendiez votre main de pauvre pour accueillir la nourriture du jour. “Amen”, c’est la profession de foi : « Je crois que c’est le Corps du Christ ». Je vous présente le Corps du Christ et vous répondez : “Je crois”. L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en Celui qu’il a envoyé. Quand vous entrez dans une église, dans un modeste oratoire, et que vous vous inclinez devant le Saint-Sacrement, vous posez un acte de foi. Et même si, à certains moments, le Saint-Sacrement est exposé, c’est-à-dire montré, vous faîtes encore un acte de foi. Parce que qu’est-ce que vous voyez ? Une petite tache blanche. Nous ne sommes pas des païens, nous ne nous inclinons pas devant des idoles, nous nous prosternons devant lui, parce que nous croyons que c’est le Christ. L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en Celui qu’il a envoyé. Chaque fois que vous faîtes un geste, que vous dites une parole pour manifester cet amour et cette vénération du Christ, vous posez un acte de foi, qui est soutenu et porté par l’élément sacramentel de l’Eucharistie, ce pain qui est venu du Ciel, descendu du Ciel. Jésus nous dit : « Je suis descendu du Ciel pour faire non pas ma propre volonté mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Quand je m’incline et que j’adore le Christ présent dans le Saint-Sacrement, je suis transporté avec lui et les Apôtres au jardin de Gethsémani. « Seigneur, si tu veux que cette coupe s’éloigne de moi... Mais non pas ce que je veux mais ce que tu veux. » Il est venu pour faire la volonté du Père. Entrer dans la louange du Christ, c’est ouvrir notre cœur à la volonté du Père, c’est devenir à notre tour, ceux qui font ce que Dieu veut.
+ André Vingt-Trois,
archevêque de Paris