Homélie de Mgr André Vingt-Trois – Installation du père Pascal Gollnisch, comme curé
Saint-François de Sales – dimanche 9 octobre 2005
La parabole que Jésus raconte et qui vient d’être proclamée devant nous a, cela ne vous aura pas échappé, une portée eschatologique : elle vise le terme de l’histoire, l’aboutissement de toutes choses dans le Royaume. Mais cette parabole éclaire aussi profondément le sens de notre présence ici ce matin.
Nous avançons vers la Table des noces que Dieu veut réaliser avec l’humanité. Nous le savons, nos rassemblements du dimanche sont une évocation à la fois particulière et locale de l’Eglise universelle. Chaque fois que nous sommes rassemblés dans le Seigneur c’est une partie de l’Eglise qui est rendue visible. À travers cette partie de l’Eglise nous manifestons notre appartenance au peuple de Dieu tout entier.
Mais cette réalisation particulière de l’Eglise, dimanche après dimanche, n’est qu’une annonce, une figure prophétique du rassemblement de l’humanité auquel Dieu veut parvenir et que Jésus nous rappelle quand il dit que la multitude est appelée. Cette dimension universelle de l’alliance de Dieu avec les hommes définissait déjà la vocation d’Israël comme peuple élu : il était l’élu de Dieu par l’alliance en vue d’associer les nations à cette même alliance, et le Christ, en envoyant ses disciples porter la bonne nouvelle à toutes les nations du monde donne une dimension nouvelle et définitive à cette perspective universelle.
Chaque fois que nous célébrons l’eucharistie, nous posons un acte d’espérance, car il est une annonce et une attente de l’accueil que nous devons réaliser pour ceux qui, pour toutes sortes de raisons, n’ont pas encore rejoint l’unique troupeau, l’unique famille, l’unique festin des noces. Ces hommes et ces femmes nous font défaut, - peut-être chez vous où je vois une assemblée si nombreuse, le sentiment qu’il nous manque quelqu’un n’est-il pas très sensible. Alors, je vous en prie, faites un effort, ne pensez pas à la dimension physique de votre église, au fait qu’elle est pleine, mais réalisez ce que ce petit noyau représente par rapport à l’immense quartier dans lequel vous êtes inscrits.
Que sommes-nous ? Le levain dans la pâte, une graine de moutarde, la plus petite des graines ? Que représentons-nous comme force de persuasion, comme force de contagion, comme force d’espérance par rapport aux 35000 personnes de ce quartier ?
Lorsque nous venons dans cette église, nous ne venons d’abord pour satisfaire à une obligation, même si nous le faisons aussi. Nous ne venons pas d’abord y chercher des choses qui nous intéressent, attirés par la qualité des prédicateurs qui sont tous plus intéressants les uns que les autres, par la richesse des lectures que nous entendons, par la beauté des chants qui nous séduisent, ni plus simplement pour profiter d’un moment de réconfort et de calme dans une vie agitée. Tout cela peut se trouver dans n’importe quelle station service spirituelle et l’Église catholique n’est pas une station spirituelle, elle n’a pas des concessionnaires dans tous les quartiers pour que vous puissiez faire le plein au moment où cela vous arrange.
L’Église a une mission : annoncer la bonne nouvelle à l’humanité entière ; elle a un devoir : orienter le cœur et le regard des hommes vers Dieu, et lui rendre grâce. C’est pour accomplir cette mission et ce devoir qu’elle se réunit. C’est pour chanter la gloire de Dieu que nous sommes rassemblés dimanche après dimanche, c’est pour envoyer les membres de notre communauté à la rencontre des hommes et des femmes au milieu desquels ils vivent comme des témoins de l’espérance de la foi.
Ainsi notre participation à l’eucharistie est d’abord la réponse à une invitation. Nous ne décidons pas que nous avons besoin de l’eucharistie, Dieu décide de nous inviter à participer aux festins des noces, Dieu ouvre pour nous les portes du banquet, Dieu envoie ses serviteurs aux carrefours des chemins pour y appeler ceux qui n’ont pas été d’abord invités, pour remplacer ceux d’entre nous qui sont défaillants, pour remplacer ceux d’entre nous qui ont autre chose à faire de plus intéressant le dimanche matin, pour remplacer ceux d’entre nous qui n’entrent pas dans cette logique de l’amour universel de Dieu. Il faut bien trouver des membres, alors Dieu envoie ses serviteurs partout pour prendre tout ce qui vient. C’est pourquoi l’Église comporte une bande de pécheurs comme nous : nous avons été ramassés par hasard aux carrefours.
Cela ne nous autorise pas à rester indéfiniment des pécheurs indécrottables, mais cela veut dire que notre point de départ c’est la volonté de Dieu de rassembler l’humanité en son corps, c’est la volonté de Dieu de faire un peuple unique à partir des nations éparpillées à travers la terre, c’est la volonté de Dieu d’aller appeler les hommes les uns après les autres pour les aider à entrer dans la joie du festin de son Royaume.
Notre participation à l’eucharistie vient avant tout de la mission qui est la nôtre : être témoins de la volonté du Père et prophètes de la réponse des hommes. A travers notre pauvre réponse nous attestons que nous avons été appelés, invités, peut-être poussés, pour venir à la table du Royaume et nous annonçons que d’autres hommes et d’autres femmes nous suivrons. C’est pourquoi nos rassemblements doivent être une fête, pas simplement parce que l’on est content de se retrouver, pas seulement parce que c’est dimanche et qu’on est heureux de ne pas travailler, mais parce que nous sommes entrés dans une dynamique d’accomplissement pour l’histoire des hommes. Nos chants et notre joie doivent traduire cette conviction de l’accomplissement de l’histoire de l’humanité.
En installant un nouveau curé chez vous, j’ai conscience de faire un acte grave parce que de ma mémoire, la paroisse St François de Sales est une de celles qui usent le moins de curés. Dans ma brève carrière de vicaire général, je n’en ai connu que trois : Mgr Piéplu, Robert Jorens, Bernard Goudey. Trois en vingt ans, ce n’est pas beaucoup. J’ai mesuré que nous étions en train de vivre un moment historique, le quatrième en vingt ans !
Surtout, installer un curé, c’est prendre l’occasion de nous rappeler la mission de la communauté chrétienne : annoncer l’Évangile comme le Père Gollnisch vient de le faire, présider à la profession de foi comme nous allons le faire, exercer la mission de sanctification du peuple chrétien par l’organisation, l’animation des liturgies communes et des célébrations familiales, et enfin, exercer la responsabilité finale sur une portion du peuple de Dieu que je lui confie et pour laquelle il aura à prendre les décisions nécessaires. Ce sont les trois grandes missions du ministère apostolique telles que le Concile Vatican II les a formulées : la charge d’enseigner, de sanctifier, et de gouverner le peuple chrétien. Telle est la mission qui m’incombe comme archevêque, c’est la mission que je partage avec les prêtres que je nomme curés des paroisses. C’est pourquoi leur prise de fonction donne lieu à cette célébration qui fait ressortir ces trois grandes composantes de la mission de l’Eglise.
Je vous souhaite donc que, avec le Père Pascal Gollnisch, les prêtres et diacres qui l’entourent, l’équipe pastorale qui est constituée et qu’il constituera à l’avenir, votre paroisse si riche de toutes sortes de façons par le nombre, par la qualité des ses membres, par le dynamisme de ses différentes activités, porte toujours à l’esprit et au cœur la question lancinante de ceux qui n’ont pas été invités au banquet, de ceux qui ont été invités et qui se sont dérobés, de ceux qui sont entrés mais qui ne sont pas prêts . Nous tous, ayons le souci d’ouvrir, au nom de la miséricorde de Dieu, les portes du banquet ; qu’avec la grâce du Seigneur nous soyons capables d’accueillir ceux qui aujourd’hui nous manquent non pas comme des gêneurs mais comme des frères.
Amen.
+ André Vingt-Trois,
archevêque de Paris