Homélie de Mgr André Vingt-Trois – Messe pour le 175e anniversaire des apparitions de la Vierge
Chapelle de Notre-Dame de la Médaille Miraculeuse – samedi 26 novembre 2005
Mot d’entrée de Mgr Vingt-Trois
Sainte Catherine Labouré doit sourire de nous voir : s’il y a quelqu’un à qui les apparitions de la Vierge n’a pas fait perdre son sens, c’est bien elle ; s’il y a quelqu’un qui a voulu rester discrète sur ce qui s’était passé entre Marie et elle, c’est elle encore.
Mais la grâce de Dieu ne dépend pas de ce que nous souhaitons et de ce que nous faisons. Elle nous est donnée selon la manière dont Dieu veut nous la donner. Le message que nous a transmis Catherine Labouré, l’invocation qu’elle nous a donnée de supplier Marie pour qu’elle intercède pour nous : « Ô Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous », nous aident à entrer dans la célébration de l’Eucharistie : demandons à la Vierge de nous soutenir dans notre démarche de pénitent pour que nous recevions le pardon et la miséricorde de Dieu. En silence, prions.
Homélie de Mgr Vingt-Trois
Frères et Sœurs,
Combien de millions de personnes ont défilé dans cette chapelle depuis 175 ans ! Quel poids d’espérance dans la souffrance, quelles démarches de réconciliation dans le péché, quels sourires devant l’image de la Vierge ont habité les cœurs, sans que personne ne puisse ni voir, ni compter, ni savoir. De même, ce soir, tous autant que nous sommes, ici réunis, nous portons notre poids de souffrance et d’espérance, notre péché et notre désir d’être réconciliés, notre sourire devant le don de la grâce de Dieu. Peut-être un jour faudra-t-il chercher à comprendre, si cela est utile, pourquoi en quelques dizaines d’années au XIXe siècle la Vierge Marie est apparue en tant de lieux, en France très spécialement, dont les plus connues sont évidemment Lourdes, La Salette, et ici la rue du Bac.
Quel besoin y avait-il ? De quoi les hommes qui nous ont précédés avaient-ils besoin d’être convaincus ? Était-ce d’être convaincus de la miséricorde de Dieu ? Avaient-ils besoin d’un signe inhabituel pour croire que l’œuvre du salut voulue par le Père, accomplie dans le Fils, est une ouvre pour aujourd’hui ? Elle était une ouvre pour leur temps, il y a près de deux siècles, elle est une ouvre pour notre temps.
Comment aussi ne pas être impressionnés par le fait que ces apparitions se sont toutes déroulées auprès de personnes humbles, pauvres, sans notoriété, sans crédit, sans possibilité humaine de convaincre de ce qu’elles avaient vu, sans même qu’elles en ait l’intention, vous connaissez la phrase si souvent reprise de Bernadette au curé de Lourdes : « La dame m’a envoyée vous le dire, elle ne m’a pas envoyée vous convaincre ». Vous savez que Catherine Labouré jusqu’à la fin de sa vie, qui sera longue encore après les apparitions, gardera un secret total, au point de refuser de répondre à la procédure engagée pour la reconnaissance des apparitions. La Vierge lui avait demandé de se taire, elle s’est tue.
Le plus grand mystère n’est pas que la Vierge soit apparue à Catherine Labouré ou à Bernadette Soubirou ou aux enfants de La Salette. Le plus grand mystère est que cet événement, sans publicité, sans notoriété, sans signe extraordinaire, ait pu être connu et attirer tant de foules au long des années. Quelle puissance fallait-il à ce message pour qu’il atteigne le cœur des hommes ! Quelle espérance habitait ces cœurs pour qu’ils soient tellement disposés à se mettre en route pour aller en pèlerinage là où la Vierge était apparue ? Quelle espérance ce soir vous a conduits ici, en ce lieu, en ce temps de jubilé ? Que voulez-vous dire à la Vierge Marie dans le secret de votre cœur ? Quelle blessure de votre vie voulez-vous placer dans sa main ? Quelle personne que vous aimez voulez-vous confier à son amour ? Quel projet que vous mûrissez voulez-vous remettre à son intercession ? Nous ne le saurons jamais, mais dans la foi, rassemblés par l’apparition de la Vierge Marie nous formons le corps ecclésial qui porte chacun de ces membres sans avoir besoin de savoir pourquoi, ni comment chacun est là, dans la simple assurance qu’il est venu là avec confiance et avec espérance.
Chacune et chacun d’entre vous qui êtes venus ce soir, vous êtes rassemblés par la Vierge pour ne faire plus qu’un dans le Corps du Christ. Vous êtes unis dans son regard d’amour, pour être offerts avec son Fils dans l’Eucharistie. Vous êtes rassemblés pour recevoir le signe de la tendresse de Dieu : la Vierge, conçue sans péché, prie pour nous qui avons recours à elle.
« Ô Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous ».
Que nous dit-elle ce soir ? Ce qu’elle disait aux noces de Cana. Elle intercède auprès de son Fils, elle attire son attention. Pensez-vous que Jésus avait besoin qu’on lui tire la manche pour s’apercevoir que quelque chose n’allait pas ? Pensez-vous que Jésus a besoin qu’on le secoue pour qu’il s’aperçoive que quelque chose ne va pas dans votre vie ? Pensez-vous qu’il a besoin de sentinelles pour l’alerter ? Comme si Marie, aux noces de Cana, avait besoin de lui dire : « Écoute, il faut faire quelque chose ». Comprenons pourquoi il dit : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue ». Ce n’est évidemment pas pour rabrouer sa Mère. C’est pour nous aider à comprendre quelque chose : ce n’est pas nous qui décidons de ce que Jésus doit faire. Pas plus Marie que nous. Nous n’avons pas à dire : « Le moment est venu, secoue-toi et fais quelque chose ». Pourtant, Marie ne se laisse pas démonter : apparemment, sa prière n’est pas reçue. Elle dit aux serviteurs : « Faites tout ce qu’il vous dira ». Voilà le message de la Vierge à Cana : la foi par delà les signes. Le signe évident c’est que Jésus lui dit : « Mon heure n’est pas encore venue », ce n’est pas le moment. Et pourtant, elle croit.
À nous aussi il arrive de prier, de prier, et d’avoir l’impression que le moment n’est pas encore venu, que Jésus ne veut pas s’occuper de nos affaires. Que ce n’est pas son heure, que ce n’est pas sa volonté, que ce n’est pas son chemin. Alors, nous sommes tentés de courir à droite, à gauche, vers un gourou, vers une cartomancienne, vers des gens qui font des signes extraordinaires et qui disent des paroles extraordinaires, et qui vous promettent le bonheur pour demain,. contre un chèque. Regardez Marie à Cana : elle ne se tourne pas vers quelqu’un d’autre, elle ne dit pas : « Eh bien ! Si cela ne marche pas avec lui, je vais essayer ailleurs ». Elle continue de croire en Lui parce qu’elle sait que c’est Lui, et lui seul : « Faites tout ce qu’il vous dira ». J’entends ce message de la Vierge Marie. Il faut s’accrocher à lui, il ne faut pas détourner la tête, il ne faut pas détourner les yeux, il faut se tenir à lui. Même si on ne voit rien, même s’il ne se passe rien, même si on n’entend rien. Il faut le tenir et se dire : « Je dois faire ce qu’il dit, « Faites tout ce qu’il vous dira ».
Vous avez envie de répliquer : « Il ne m’a rien dit à moi ! » ? Vous allez à la messe le dimanche, vous avez une Bible chez vous ? Vous entendez la parole du Christ, vous savez ce qu’Il a dit, vous connaissez au moins quelques-unes unes de ses paroles par cœur : « Aimez vous les uns les autres comme je vous ai aimés », « Faites du bien à ceux qui vous font du mal », « Pardonnez et vous serez pardonnés », « Lève toi et marche », « Tes péchés sont pardonnés », et combien d’autres paroles. Ces paroles-là, nous devons les entendre. Et nous devons les faire : « Celui qui m’aime gardera ma parole, mon Père l’aimera et nous viendrons chez lui et nous ferons chez lui notre demeure ». Voilà le chemin que la Vierge Marie nous indique : faire tout ce qu’Il nous dit.
Si nous faisons tout ce qu’Il nous dit, nous nous apercevons que quelque chose change. Même si nous ne comprenons pas très bien. Les serviteurs à Cana ne comprennent pas très bien pourquoi Il leur dit de remplir ces urnes avec de l’eau. « Remplissez d’eau ces cuves » : ce sont de grandes cuves pour les ablutions. Que va-t-il faire avec toute cette eau, ils ne comprennent pas. Mais Marie a dit « Faites tout ce qu’Il vous dira » alors ils le font. Et Jésus change l’eau en vin, c’est le premier signe. À partir de là, nous dit saint Jean, ses disciples crurent en lui. Parce que ces serviteurs ont fait, sans comprendre, ce qu’Il leur a dit.
Nous aussi, de temps en temps, dans notre vie, nous devons de faire des choses sans comprendre, parce qu’Il nous le demande. Nous ne savons pas bien comment Il conduit le monde, nous savons que Lui ne nous lâchera pas. Nous savons que le combat entre le dragon et la femme dure jusqu’à la fin des temps. Nous sommes dans ce combat. Si nous voulons en sortir vivants, si nous voulons avoir des ailes pour aller au désert comme la Femme, accrochons-nous à Jésus, ne nous trompons pas, ne nous mettons pas au service du dragon. Veillons à rester au service du Fils de la Femme apparue couronnée d’étoiles.
Frères et Sœurs, ce soir, nous sommes pleins de joie et de reconnaissance pour ce lieu, pour Catherine Labouré, pour les visites de la Vierge, pour les paroles qu’elle a laissées, si discrètes, si réduites : quelques apparitions, quelques phrases répétées, les mêmes. Voilà les signes, les vrais signes, auxquels on reconnaît la puissance de Dieu. Nous sommes pleins de joie parce qu’à travers les apparitions de la Vierge, c’est la gloire du Fils qui se manifeste, c’est notre foi qui est suscitée, alimentée, renforcée. Même si notre vie n’est pas facile tous les jours, quand nous repartons d’ici, nous savons que nous ne sommes pas seuls, nous savons que la Vierge nous a mis la main dans la main du Christ et qu’il ne faut pas la lâcher.
Alors prions pour que tant de forces, tant de grâce, tant de bonheur, portent du fruit à travers chacune de nos vies.
Amen
+ André Vingt-Trois,
archevêque de Paris