Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Centenaire du FRAT, 2e dimanche de Carême AnnéeA
Cathédrale Notre-Dame de Paris - dimanche 17 février 2008
En 2008, le Fraternel (FRAT) fête ses 100 ans. Le Cardinal André Vingt-Trois a présidé une Messe d’Action de grâce le dimanche 17 février à Notre Dame de Paris entouré par les membres des équipes d’animation, les personnes ayant fait partie de diverses commissions au long de ces nombreuses années et de nombreux groupes de jeunes.
Textes de la Parole de Dieu : Gn 12, 1-4a : Ps 32 ; 2 Tm 1 8b-10 ; Mt 17, 1-9
Chers amis,
les disciples ont vécu avec Jésus, ils ont marché avec Lui, ils l’ont vu faire des miracles, ils ont entendu son enseignement et même, quand il leur a demandé ce qu’ils disaient de lui, Pierre a répondu : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Et pourtant, il n’est pas sûr qu’ils aient compris. Les disciples n’étaient pas malhonnêtes, ils ne jouaient pas le double jeu, ils étaient sincères et ils voulaient vraiment être avec le Christ et le suivre. Ils espéraient vraiment qu’il serait le Messie, celui qui rétablirait le Royaume d’Israël et manifesterait la puissance de Dieu parmi les hommes. Mais ils ne savaient pas très bien comment Jésus allait être le Messie. Lorsqu’il leur avait annoncé qu’il devait monter à Jérusalem pour être condamné et mis à mort avant de ressusciter, ils avaient entendu les mots, mais les paroles avaient-elles atteint leur cœur ?
Jésus sait ce qui l’attend et, donc, ce qui les attend eux aussi. Pour les préparer à l’épreuve vers laquelle ils s’avancent, il manifeste devant eux qui il est. Pas simplement un homme extraordinaire, pas simplement l’héritier des prophètes, pas simplement celui qui se trouve entre Moïse et Elie. Il est le Fils bien-aimé du Père. Nous, nous entendons sans que cette affirmation provoque grand-chose : nous l’avons entendu tant de fois Nous avons tellement l’habitude de dire que Dieu est notre Père et de le prier comme tel qu’entendre dire qu’un homme est le Fils bien-aimé du Père, celui qu’il a choisi, cela ne nous surprend pas énormément. Essayez d’imaginer ce que cela pouvait représenter pour Pierre, Jacques et Jean, élevés dans la fidélité au judaïsme avec la conviction qu’on ne peut pas voir Dieu sans mourir ! Voilà que Dieu lui-même dit : « Celui que vous voyez maintenant, c’est mon Fils ».
Vous comprenez pourquoi ils ont été saisis de crainte. Vous comprenez pourquoi certains autour de nous ont du mal à accepter que nous puissions appeler Dieu Père et prétendre que nous sommes ses enfants. Vous comprenez pourquoi certains nous accusent d’être des idolâtres, des gens qui croient qu’un homme peut être dieu. C’est cela que nous croyons, en effet : nous croyons que Jésus de Nazareth, fils de Marie, est le Fils de Dieu, Dieu lui-même, avec l’Esprit. Nous croyons que le Dieu unique et invisible, celui qui est la source, l’origine, de tout ce que nous connaissons, se manifeste à travers la personne de Jésus de Nazareth, qu’il intervient dans l’histoire des hommes comme il est intervenu dans l’histoire d’Abraham en l’appelant à quitter son pays pour aller vers la Terre Promise, comme il est intervenu dans l’histoire d’Israël tout au long des siècles, comme il intervient à travers son Fils pour l’humanité entière et comme il continue d’intervenir pour les hommes aujourd’hui par la puissance de son Esprit.
Celui que personne n’a jamais vu, que personne n’a jamais rencontré, s’est donné à voir et à entendre : « Celui-ci est mon Fils bien aimé, écoutez-le ». Être chrétien, ce n’est pas croire des choses bizarres et extraordinaires ; c’est reconnaître que Dieu a voulu se faire proche des hommes. C’est reconnaître que Dieu a voulu se couler dans l’histoire humaine. C’est reconnaître que Dieu veut attirer l’humanité vers Lui, non pas de l’extérieur et par contrainte, mais de l’intérieur, en venant partager notre condition humaine et en habitant nos cœurs par la puissance de son Esprit. Être chrétien, c’est croire que, dans chacune et dans chacun des êtres de ce monde que nous voyons, que nous rencontrons, avec qui nous parlons, que nous aimons ou que nous n’aimons pas, il y a invisiblement la présence du Dieu vivant.
De même que le Père se manifeste dans le Fils à travers la splendeur de la blancheur qui l’entoure, de même il se manifeste dans notre vie, non pas à travers des signes extraordinaires mais à travers des hommes et des femmes qu’il met sur notre route, qui sont des images de Dieu, créés à l’image de Dieu pour être un signe visible de l’amour de Dieu sur la terre. Si nous croyons cela, alors nous croyons que chacun d’entre nous, chacune d’entre nous, vous et moi, nous sommes l’image de Dieu, nous participons de la manière dont Dieu veut se rendre visible dans l’histoire des hommes. Nous croyons que la manière dont nous vivons, chacun d’entre nous, en écoutant et en mettant en pratique la parole du Christ, rend cette présence de Dieu visible et palpable. Ou alors, si nous n’écoutons pas la parole du Christ, si nous ne l’entendons pas ou si, l’ayant entendue, nous ne la mettons pas en pratique, alors nous participons à l’effacement de la présence de Dieu dans le monde.
La foi n’est pas une loterie, la foi n’est pas un jeu de hasard. La foi est un acte humain, de l’intelligence de l’homme, de l’esprit humain, qui voit à travers les signes que Dieu donne, - et nous faisons partie de ces signes -, qui voit l’amour de Dieu venir au-devant de l’humanité. Si nous sommes défaillants, si nous ne laissons pas passer cet amour à travers notre manière de vivre, le manque de foi, nous savons à qui il faut l’attribuer. Car si les hommes ne voient pas l’invisible, c’est parce que nous ne laissons pas voir l’invisible. C’est parce que nous enfermons l’invisible ou que nous l’excluons de notre vie, ne donnant à voir que la façade.
Vous qui avez participé au rassemblement des jeunes à Lourdes ou à Jambville, vous savez qu’il y a quelque chose à voir : l’Église. Elle n’est pas une abstraction, elle n’est pas un rêve ni un nuage. Elle est un peuple, le peuple que Dieu réunit comme nous sommes réunis ce soir, comme chaque dimanche dans les églises les chrétiens se réunissent pour célébrer la fête du Seigneur. L’Église, c’est un peuple que Dieu rassemble, de manière habituelle ou de manière extraordinaire comme nous le faisons au Frat. En tout cas c’est un peuple qui se voit, qui se connaît, qui se reconnaît. Dieu n’est pas absent de notre monde, Dieu n’est pas à une adresse inconnue, Dieu est présent agissant, et sacramentellement visible à travers le peuple qu’il s’est choisi et qu’il anime par la puissance et la force de son Esprit.
C’est une aventure formidable pour nous, d’avoir eu la chance d’être appelés à participer à ce peuple, d’avoir eu la chance de connaître la force qui se dégage de ce peuple réuni, d’avoir eu la chance d’être portés par ce peuple pour aller plus loin que nous ne pourrions aller tout seuls, d’avoir eu la chance d’être soutenus quand nous avions envie de fléchir, d’être encouragés quand nous voulions abandonner la marche, d’être accueillis quand nous avions envie de nous détourner… Oui, la grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles et, maintenant elle est devenue visible à nos yeux !
Chers amis, nous rendons grâce au Seigneur pour la joie qu’il nous a donnée.
Nous rendons grâce au Seigneur pour la grâce que le Christ Jésus a donnée à tant de jeunes depuis 100 ans. Nous rendons grâce au Seigneur pour les fruits de cette grâce du Christ. Nous rendons grâce au Seigneur pour les hommes et les femmes qui ont été accompagnés dans leur découverte de la foi et qui sont aujourd’hui témoins de l’Évangile dans leur famille, dans leur travail, dans leurs relations. Nous rendons grâce pour les hommes et les femmes qui ont été appelés à tout quitter pour le service de l’Évangile, qui sont devenus les prêtres, les diacres, les religieux, les religieuses de cette Église. Nous rendons grâce pour cette multitude d’hommes et de femmes qui, génération après génération, ont été appelés l’un après l’autre, celles et ceux qui sont venus au Frat : Dieu rassemble son peuple par des hommes et des femmes qu’il envoie appeler d’autres hommes et d’autres femmes.
Nous rendons grâce pour les jeunes d’aujourd’hui qui entendent la parole du Christ, qui essayent de la mettre en pratique et qui croient que l’amour de Dieu est plus fort que toutes les difficultés de la vie. Nous rendons grâce pour ces jeunes qui rendent visible la jeunesse de l’Évangile dans notre monde. Nous rendons grâce pour celles et ceux qui n’ont pas encore entendu cet appel du Christ, pour celles et ceux qui vont devenir les messagers. ? « Venez et voyez » dit le Christ dans l’Évangile. Nous aussi, nous devons dire aux autres : « Viens et vois », car il y a quelque chose à voir. Viens et demeure avec nous, au moins quelques temps. Viens et goûte à la joie de la fête.
Chers amis, que Dieu fasse fructifier tout ce qu’il a répandu à travers ces cent années de Frat. Que Dieu fasse fructifier la parole reçue du Christ. Qu’il fasse fructifier la joie de notre communion.
Amen.