Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe Chrismale 2008

Cathédrale Notre-Dame de Paris - mecredi 19 mars 2008

Évangile selon saint Luc au chapitre 4, versets 16-21

Frères et sœurs,

« cette parole de l’Ecriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit » car chaque jour de l’histoire des hommes est le présent du jour de Dieu comme chaque année de l’histoire de l’humanité est une année de grâce de la part du Seigneur. Pour chacune et chacun d’entre nous l’année que nous venons de vivre est une année de grâce, et le jour que nous vivons est le jour où la Parole s’accomplit pour nous et pour notre Église toute entière. Cette année comme les années précédentes et comme les suivantes autant que Dieu voudra nous en donner, sera une année de grâce et de bienfaits, une année où la puissance de Dieu délivrera l’humanité comme il la délivre aujourd’hui, comme il applique aujourd’hui à cette humanité la puissance de l’amour manifestée en son Fils consacré pour offrir sa vie en rançon pour la multitude.

La force de notre espérance, le ressort de notre courage, notre motivation pour entreprendre encore à nouveau, une nouvelle fois, une nouvelle année, une nouvelle journée, un nouveau chemin, cette force n’est pas dans nos rêves, dans nos utopies ; elle est dans le Seigneur ressuscité, le Christ Vivant qui répand son Esprit sur l’Église. La force qui nous anime, elle ne vient pas des motivations de pouvoir ou de richesse ou de domination ; elle est dans la douceur du serviteur qui est venu pour se mettre aux genoux de ses disciples comme nous le rappellerons demain. La force qui nous anime, elle est au milieu de nous, Esprit de Dieu vivant en nos cœurs, Esprit de Dieu vivant en son Église.

Elle est au milieu de nous, sacramentellement présente dans l’Eucharistie que nous célébrons. Elle est au milieu de nous par ces huiles que je vais bénir et consacrer, ces huiles qui vont accompagner le peuple chrétien tout au long de sa marche : les catéchumènes dont l’huile bénie sera la force pour affronter le combat de la foi, comme nous avons tous, nous aussi encore, à affronter ce combat de la foi ; les malades qui seront réconfortés et assurés dans leur endurance à assumer la souffrance qu’ils ne peuvent éviter, pour qu’ils reçoivent la guérison si Dieu veut qu’ils soient guéris, pour qu’ils témoignent devant le monde qu’il y a plus que la mort et que mourir dans la dignité, ce n’est pas choisir sa mort, c’est l’assumer quand elle vient et comme elle vient.
Elle est présente, cette force, par la puissance du Saint Chrême avec lequel seront consacrés les nouveaux baptisés, non seulement les plus de 250 adultes qui seront baptisés à travers la ville de Paris au cours de la Vigile pascale, non seulement les 150 jeunes que j’ai appelés et qui seront baptisés au cours du temps pascal, mais encore tous les enfants qui seront baptisés au cours de l’année dans chacune de nos paroisses, promesse de la vitalité de l’Église aujourd’hui et demain. Saint Chrême par lequel seront consacrés par centaines aussi les confirmés, eux qui font le choix de ratifier leur baptême et d’accueillir la confirmation par Dieu du don qu’il leur a fait. Saint Chrême par lequel seront consacrés les prêtres au cours de l’ordination du mois de juin qui vient, et les évêques, si Dieu veut que nous en ayons. Saint Chrême par lequel nous bénissons encore et consacrons les autels sur lesquels nous offrons le sacrifice du Christ, les églises qui sont plus qu’un bâtiment commode, qui sont un signe sacré de la vitalité du peuple de Dieu.

Cette force qui est au milieu de nous dans ces urnes illuminées, c’est la force du Christ lui-même qui va se diffuser dans le corps de son Église, comme la bonne odeur de ces huiles que, je l’espère, vous pouvez, comme je le fais moi-même, pressentir déjà, bonne odeur qui arrive jusqu’à mon nez mais peut être pas jusqu’aux vôtres, bonne odeur du Christ qui va se diffuser sur l’Église comme elle se diffuse maintenant sur notre assemblée.

Peuple de Dieu : réunis par l’amour du Christ, nous sommes un peuple vivant, nous ne sommes pas un peuple endeuillé qui gèrerait misérablement les restes d’une splendeur passée ; nous sommes un peuple de l’avenir. Etre un peuple de l’avenir, ce n’est pas submerger le monde par le nombre, c’est dynamiser le monde par la qualité. L’Alliance faite par Dieu avec Israël, « le plus petit de tous les peuples », la promesse du Christ à ses disciples d’en faire le sel de la terre ou le levain dans la pâte, nous montrent bien que la puissance de Dieu, comme saint Paul le dit en plusieurs endroits, se manifeste de préférence à travers notre faiblesse. Mais certainement pas par notre découragement ! Nous sommes pauvres mais nous sommes riches aussi : riches de la vitalité de notre Église, de cette puissance de Dieu à l’œuvre au milieu de nous, telle que nous la voyons sacramentellement, telle que nous la croyons sans la voir quand elle traverse le cœur de nos contemporains plus ou moins visiblement attachés à l’Église, telle que nous l’espérons pour tous les hommes de notre temps.

C’est la mission de notre Église d’être témoin de cette force de Dieu. C’est la mission de notre Église de nourrir la sérénité de ses membres par la confiance donnée à la Parole de Dieu. C’est la force de notre Église de nourrir la communion qui nous unit tous, prêtres, diacres, religieux, religieuses, laïcs et évêques en un corps unique en communion avec le serviteur des serviteurs de Dieu, le successeur de Pierre, dont nous attendons avec joie la venue parmi nous. C’est la force de notre Église que, malgré nos différences, nos différentes cultures, nos différentes approches, nos différentes sensibilités, nos différentes générations, nos différentes conceptions du monde, nous soyons capables d’être réunis par l’amour. Car l’amour est plus fort que tout. L’amour est plus que ce que nous pensons, l’amour est plus que ce que nous croyons, l’amour est plus que ce que nous disons : l’amour saisit nos cœurs pour faire de nous ce peuple vivant aujourd’hui.

Cette force qui nous habite, nous la recevons avec reconnaissance et émotion. Nous l’accueillons comme une promesse de vie pour notre Église mais nous savons, au moment même où nous la recevons, qu’elle nous échappera si nous en faisons notre bien particulier et si nous décidons de la garder pour nous. Car l’eau vive qui coule du cœur du Christ pour abreuver ceux qui ont la foi et qui veulent connaître la communion avec lui, ne demeure une eau vive que pour autant qu’elle suscite en eux aussi des fleuves de vie. On ne reçoit pas l’eau vive pour la mettre en bouteille, on ne reçoit pas la Lumière pour la mettre sous le boisseau, on ne reçoit pas la Parole pour la cacher dans un livre. On reçoit la Parole pour l’annoncer, on reçoit la Lumière pour éclairer le monde, on reçoit l’eau vive pour la répandre autant que nous pouvons.

Cette responsabilité missionnaire de notre Église, nous y travaillons depuis vingt siècles (nous n’étions pas là mais il y en avait d’autres), depuis 20 ans, depuis 10 ans, - on peut prendre les échéances que l’on veut : c’est le même Esprit qui œuvre pour la même mission. Nous le savons, dans notre diocèse de Paris, il y a eu une force, une énergie missionnaire qui s’est dégagée tout au long de ces années, tout au long de ces décennies. Cette force missionnaire est encore à l’œuvre aujourd’hui. Il y a bientôt trois ans, ici même, j’ai invité les responsables des paroisses à reprendre à nouveau la formulation des objectifs missionnaires de leur communauté en leur proposant 4 champs prioritaires d’investissement. Les visites pastorales qui avaient été prévues ont été faites, - il arrive que ce que l’on prévoit s’accomplisse -, elles sont bientôt terminées. Elles ont permis de recueillir un nombre considérable de signes et de témoignages de la vitalité de nos communautés. Mais la visite pastorale n’est pas faite seulement pour que l’archevêque ait l’air un peu moins ignorant de ce qui se passe quand il se promène dans le diocèse ! C’est fait pour construire une communion. On ne construit pas une communion simplement en posant les uns à côté des autres les petits pots d’une pharmacie. On construit une communion en brassant une pâte où sont mêlés tous ensemble les éléments qui la composent. Ce travail, nous allons le faire au cours de l’année scolaire qui vient par une action que nous avons préparée et que je propose au diocèse : « les Assises diocésaines pour la mission ».

Tout à l’heure quand vous quitterez cette cathédrale, on vous remettra un tract. Un beau tract, mais enfin un tract, où vous aurez tous les renseignements utiles. L’intention est simple : à travers les visites pastorales, nous avons sélectionné une douzaine de thèmes qui nous sont apparus récurrents, des thèmes qui ont donné lieu à des actions dans toutes sortes de secteurs de Paris.
Nous voudrions que, sur chacun de ces 12 thèmes, nous ayons tous ensemble un temps de travail pour permettre une relecture commune, un discernement de ce qui s’est passé afin de voir s’il est possible et souhaitable, et de quelle manière, de reprendre ces actions en d’autres lieux.
En quatre samedis après-midi entre le mois de novembre et le mois de mars, vous serez conviés à participer à une de ces rencontres qui vont être préparées maintenant, d’ici la rentrée de septembre, par des cellules d’animation. Au terme de ce travail, si Dieu veut qu’il produise du fruit, je serai en mesure de promulguer des orientations diocésaines qui proviendront non pas simplement de ce que j’ai envie de faire mais de ce qui existe et peut constituer des points d’appuis pour une action ultérieure.

Cela veut dire que le diocèse de Paris ne va pas fermer ses portes : il a un avenir devant lui. Pour cet avenir, nous devons aider chaque communauté chrétienne à être mieux sensibilisée à la pastorale de la jeunesse et à l’annonce de l’Évangile aux jeunes générations. Il n’y aura pas d’avenir si on ne dit rien aux jeunes ; sans doute leur dit-on beaucoup de choses, mais il y a encore du travail à faire. Il n’y aura pas d’avenir si nous n’avons pas un corps diaconal et sacerdotal fort et vivant. Savez-vous qu’aujourd’hui, à quelques unités près, pour 400 prêtres de plein exercice dans le diocèse de Paris, nous en avons 100 qui sont en service à l’extérieur du diocèse : 25% des prêtres en activité sont actuellement en mission dans d’autres diocèses ou dans des tâches diverses, pour le service de l’Église. J’en suis heureux, j’en rends grâce à Dieu, - j’espère que les autres évêques aussi en rendent grâce à Dieu, mais je n’en doute pas. Seulement, pour que nous puissions vivre ce partage sereinement et dans la joie, il faut que des membres nouveaux entrent dans le corps. On ne peut pas vivre cette communion dans la responsabilité de la mission de l’Église si nous ne sommes pas tous mobilisés pour l’appel au sacerdoce et au diaconat.

Voilà, frères et sœurs ce que je voulais vous dire ce soir. Je pourrais certainement vous dire encore beaucoup d’autres choses mais, vous savez, les sermons les plus courts sont les mieux appréciés. C’est, en tout cas, ce que l’on m’a toujours appris et c’est ce que je constate quelquefois. Je vous dis simplement, encore une fois, notre joie d’être ensemble ce soir pour cet acte fondateur de la vie sacramentelle de notre Église, pour cette entrée dans le triduum pascal par laquelle nous mesurons avec gravité l’importance des événements que nous allons vivre sans que, cependant, cette gravité soit entachée de tristesse comme si nous n’étions pas déjà habités par la joie de la Résurrection.

Je voudrais pour terminer que nous portions tout particulièrement dans notre prière les prêtres et les diacres que l’âge ou la maladie empêchent de participer à notre célébration, ou du moins d’être physiquement présents ici. J’espère qu’ils nous suivent sur KTO avec une foule d’autres gens. Je voudrais aussi que nous portions dans la prière une multitude d’hommes et de femmes que nous ne connaissons pas, dont nous ne connaissons pas les visages, dont il m’arrive parfois de rencontrer certains au cours de mes voyages en France et à l’étranger. Ils me disent : « Monseigneur, nous sommes les fidèles de votre diocèse. Je réponds : Comment est-ce possible ailleurs en France, ou à Istanbul, à New York ? - Nous sommes souvent avec vous sur KTO ». Alors ce soir, à ces téléspectateurs qui communient si souvent spirituellement à notre prière, j’envoie un salut très spécial et très affectueux et je vous souhaite à tous une bonne et sainte fête de Pâques.

+André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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