Homélie de Mgr André Vingt-Trois – 1er dimanche de Carême 2007 - année C

Cathédrale Notre-Dame de Paris - dimanche 25 février 2007

Evangile selon saint Luc au chapitre 4, versets 1-13

Frères et soeurs,
la liturgie de ce premier dimanche de Carême nous propose chaque année de méditer sur les quarante jours passés par Jésus au désert. Ces jours constituent un prototype du temps qui s’ouvre devant nous pour nous préparer à la célébration de la Pâque. De même que Jésus a été au désert pendant quarante jours pour affronter l’épreuve, de même nous sommes invités à entrer dans un chemin de conversion pendant quarante jours. Si donc nous voulons bien prêter quelque attention à la manière dont l’Evangile nous rapporte cet épisode de la vie du Christ, nous y découvrons de quoi éclairer notre propre expérience de la conversion.

L’Evangile nous parle d’un temps d’épreuve : "Jésus est mis à l’épreuve par le démon ". Nous devons surtout remarquer qu’à ce temps d’épreuve, Jésus est conduit par l’Esprit, l’Esprit-Saint dont il fut rempli au moment de son baptême. Nous ne devons pas considérer ce temps d’épreuve comme un accident, comme un signe particulier de faiblesse, comme l’indice que quelque chose ne fonctionnerait pas bien dans le scénario que l’Evangile est en train de mettre en place. Jésus ne rencontre pas l’épreuve parce que les choses ne se passent pas bien ; il va au désert en vue d’y être mis à l’épreuve et il y est conduit par l’Esprit-Saint. Nous devons donc comprendre que le baptême du Christ, au moment où il est rempli de l’Esprit-Saint, ouvre devant lui un temps d’épreuve.

Quelle est la nature de cette épreuve ? L’Evangile nous dit qu’il est tenté par le Démon. Quel est le contenu de cette tentation ? Nous l’entendons à travers le récit de l’évangile selon saint Luc. L’épreuve porte sur le titre qui lui a été donné au moment de son baptême : "Tu es mon Fils, mon bien-aimé ". La tentation consiste à lui dire : Si tu es le Fils de Dieu, - comme on vient de l’entendre au moment du baptême -, si tu es le Fils de Dieu, alors tu peux ordonner à cette pierre de devenir du pain ; si tu acceptes de te prosterner devant moi, je te donne la possession du monde ; si tu es le Fils de Dieu, jette-toi du haut du Temple. L’épreuve à laquelle le Christ est soumis est la conséquence directe de son baptême et du titre du Fils de Dieu qu’il y a reçu.

Nous comprenons en entendant ce récit comment cette épreuve vécue par le Christ est pour nous une introduction à un élément constitutif de notre vie chrétienne : nous aussi, baptisés dans l’Esprit-Saint, nous sommes devenus enfants de Dieu. Et c’est sur cette qualité d’enfant de Dieu que va porter l’épreuve qui est dès l’instant une épreuve de la foi.

Nous pouvons utiliser le don de Dieu, qui fait de nous ses enfants, pour exercer à notre bénéfice la puissance qu’il a mise en nous. Nous pouvons détourner le don qui nous est fait lorsque nous devenons fils de Dieu et renier le Père qui est la source de cette filiation. C’est pourquoi, nous le voyons, la réponse de Jésus aux tentations du Démon consiste à reprendre la parole de Dieu lui-même : "Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre. Il est écrit : Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c’est lui seul que tu adoreras. Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu ".

L’épreuve de la foi, c’est de nous donner l’impression que nous pouvons vivre en faisant l’impasse sur la présence de Dieu, sur sa parole et sur l’appel qu’il nous adresse. C’est pourquoi la même liturgie nous introduit à ce temps d’épreuve en nous rappelant l’histoire du peuple d’Israël en Egypte. Elle nous rappelle comment ce peuple trouve sa délivrance par le cri qu’il pousse vers le Seigneur : "Nous avons crié vers le Seigneur, le Dieu de nos pères, il a entendu notre voix, il a vu que nous étions pauvres, ils nous a fait sortir d’Egypte ". Voilà le Dieu auquel nous croyons : celui qui entend la prière de son peuple, celui qui répond à sa supplication, celui qui le mène vers le chemin du salut ; ou, pour reprendre la formule de l’Epître aux Romains de saint Paul : "Tous ceux qui invoqueront le nom du Seigneur seront sauvés ".

Dans ce premier temps du chemin que nous sommes invités à parcourir en vue de renouveler notre profession de foi baptismale, une question nous est posée : de qui attendons-nous le salut ? Sommes-nous vraiment convaincus que Dieu lui-même sauve l’humanité ? Sommes-nous vraiment convaincus que nous ne pouvons pas nous substituer à la puissance de Dieu pour mener l’homme au bonheur et à la vie ? Ou bien croyons-nous que, parce que Dieu nous a donné quelques moyens, nous pouvons, par nos propres forces, nourrir l’humanité qui a faim ? Ou pire encore, utiliser les biens qu’il nous a donnés pour notre propre satisfaction ? Que nous pouvons entrer dans un projet de domination sur le monde puisqu’il nous a faits, par sa création, gérants de cet univers ? Ou bien encore, braver les risques de l’existence en comptant sur Dieu pour nous sauver ?

Voilà la première question de notre Carême : croyons-nous que c’est par Dieu lui-même que nous allons à la vie ? Croyons-nous que c’est par sa Parole que nous pouvons surmonter l’épreuve de la foi ? Vivons-nous vraiment cette épreuve de la foi ? Le temps du Carême n’est pas seulement ni d’abord un temps de pénitence basé sur des privations. C’est, d’abord et avant tout, un temps d’épreuve de la foi. Croyons-nous en Dieu le Père Tout-Puissant ? Prions donc le Seigneur que, pendant cette semaine qui ouvre le temps du Carême, nous soyons à l’écoute de cette parole qui est dans nos coeurs et sur nos lèvres ; que nous n’allions pas chercher de toute part dans le monde les moyens de nous sauver alors qu’ils sont en nous parce que Dieu est venu visiter son peuple, parce que l’Esprit-Saint est venu habiter nos coeurs, parce que la foi a été répandue dans nos âmes.

C’est par Lui que nous pouvons surmonter cette épreuve de la foi. C’est en Lui que nous mettons notre espérance, à Lui que nous adressons notre cri : "Nous avons crié le Seigneur, le Dieu de nos pères, Il nous a conduit dans ce lieu, Il nous a donné ce pays ruisselant de lait et de miel ". Amen.

+ André Vingt-Trois
Archevêque de Paris

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