Homélie de Mgr André Vingt-Trois – 5e dimanche de Carême 2007
Notre-Dame du Perpétuel Secours - Dimanche 25 mars 2007
Aucun être humain ne peut être réduit au mal qu’il fait. Dans chacun, il y a la possibilité de vivre mieux, de vivre selon la loi de Dieu. C’est pourquoi Jésus lui dit : « Je ne te condamne pas », et ajoute aussi : « Va, et désormais ne pèche plus ».
Evangile selon saint Jean au chapitre 8, versets 1-11
Frères et Soeurs,
Quel est le monde nouveau que Dieu est en train de préparer pour les hommes et qu’il a commencé déjà à faire surgir ? Quel est ce but vers lequel saint Paul nous invite à courir en oubliant tout ce qui est en arrière ? Quelle est la nouveauté que le Christ apporte parmi les hommes ? N’est-il qu’un rabbin de plus que les scribes et les pharisiens veulent enfermer dans l’interprétation de la Loi ? Comment cette scène où l’on fait comparaître devant lui cette femme adultère fait-elle apparaître ce que Dieu suscite de neuf en ce monde ? Comment fait-elle apparaître le monde nouveau qui germe déjà et que nous devrions voir ?
L’interprétation de la Loi à laquelle les scribes et les pharisiens se réfèrent voudrait que les hommes soient eux-mêmes juges et exécutants de la sentence. Ils invitent Jésus à prendre position sur cette manière de faire. Ils voudraient qu’il se prononce, qu’il dise la culpabilité de cette femme et qu’il provoque son exécution. Nous pouvons trouver cette approche très actuelle. Mais avant de la juger, peut-être avons-nous intérêt à regarder un peu plus attentivement comment nous procédons dans notre société. Comment la chasse aux coupables, la volonté de multiplier les lois qui définissent les responsabilités, le désir que les sentences de la justice, non seulement disent le droit mais satisfassent le besoin de vengeance ; la volonté à chaque événement malheureux, à chaque accident, à chaque désastre, de pouvoir désigner le responsable ou les responsables ; le plaisir de voir ceux qui sont confondus ; tout cela ne fait pas de notre société un modèle de justice mais plutôt un modèle de vengeance.
Comment Jésus sort-il de ce piège ? Comment oblige-t-il ces hommes à faire retour sur eux-mêmes ? Il utilise la Loi elle-même, telle qu’elle est. Car, selon la Loi, celui qui jette la première pierre assume lui-même la responsabilité de la condamnation. Jésus invite donc ceux qui l’entourent à chercher s’il en est un qui soit prêt à assumer cette responsabilité parce qu’il serait juste. Or il n’y a pas de juste parmi les hommes, sauf à se situer dans une attitude pharisienne selon laquelle on considère que nous sommes bons et que les autres sont mauvais. Il n’y a pas de juste parmi les hommes qui puisse jeter le premier la pierre et assumer la condamnation de ses frères et soeurs. Il est un seul juste parmi les hommes, un seul sans péché, innocent et pur, Jésus de Nazareth, et il ne sera pas, lui, celui qui jettera le premier la pierre.
Si nous réfléchissons à nos désirs de justice, qu’il serait plus juste d’appeler une soif de vengeance, si nous réfléchissons à notre frénésie de dévoiler les malversations et les coupables, si nous réfléchissons à notre satisfaction de voir des hommes et des femmes montrés en spectacle, désignés à la vindicte de tous, alors nous devons comprendre qu’elle s’adresse à nous, la parole du Christ : "Que celui qui est sans péché jette le premier la pierre ". Nous aussi, comme les plus anciens, sans doute parce qu’ils étaient les plus sages, nous devons commencer à nous retirer les uns après les autres et laisser la femme pécheresse seule devant le Christ.
Lui qui est sans péché, Lui qui dispose du jugement de Dieu, que va-t-il dire à cette femme ? "Moi non plus, je ne te condamne pas ". Voilà la nouveauté, voilà le monde vraiment nouveau que Dieu fait germer sous nos yeux, voilà le but vers lequel nous sommes amenés à courir ! Non plus la condamnation de l’humanité, mais sa rédemption, son salut, la réconciliation proposée et offerte, la possibilité de donner une nouvelle vie, d’espérance. Aucun être humain ne peut être réduit au mal qu’il fait. Dans chacun, il y a la possibilité de vivre mieux, de vivre selon la loi de Dieu. C’est pourquoi Jésus lui dit : "Je ne te condamne pas ", et ajoute aussi : "Va, et désormais ne pèche plus ". Cette femme, théoriquement condamnée à mort est relevée, non pas pour ignorer le mal qu’elle a pu faire, mais pour lui donner l’espérance qu’elle pourra mieux, non pas pour continuer son adultère mais pour l’appeler à une vie juste.
C’est ce regard que Jésus pose sur nous. C’est à nous qu’il dit aujourd’hui : "Je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus ". C’est la vie nouvelle à laquelle il nous appelle : que nous devenions des saints. Non parce que nous n’aurions jamais fait le mal, mais parce qu’il est plus grand que le mal que nous faisons ; parce que la personne du Christ, - saint Paul nous le rappelait dans l’épître aux Philippiens -, est le centre, le sommet, de toute existence ; parce qu’il est capable de nous arracher à notre passé, de rouvrir devant nous un chemin d’espérance et de joie. Accueillons donc cette parole de miséricorde, cet appel à la sainteté : "Va, et désormais ne pèche plus ".
+ André Vingt-Trois
Archevêque de Paris