Homélie de Mgr André Vingt-Trois - Assomption de la Vierge Marie 2006
Lourdes - 15 août 2006
Homélie prononcée lors du Pèlerinage national à Lourdes
Frères et Soeurs,
1. La fragilité humaine.
Le dragon décrit par le livre de l’Apocalypse, apparaît pour semer la mort et pour "dévorer l’enfant dès sa naissance. " Mais le même livre de l’Apocalypse nous dit que le dragon, le Satan, ne sortira pas vainqueur de son combat avec les anges de Dieu. A travers le langage imagé des visions de l’Apocalypse, c’est le combat contre le Christ et son Eglise, le combat perpétuel entre la vie et la mort qui est symboliquement évoqué. Ce combat est toujours d’actualité, même si notre culture essaie de l’évacuer en se donnant l’illusion de pouvoir vaincre la mort, ou, en tout cas, en s’efforçant de la cacher.
Chacun sait que la lutte est perpétuelle entre les forces de destruction de l’humanité et l’appel à la vie. Chacun sait que les risques et l’espérance de la vie doivent sans cesse lutter contre une culture de la mort. Chacun sait que l’existence humaine, quels que soient les progrès accomplis et les remèdes inventés, est toujours marquée par la fragilité : "Qui peut ajouter une seule coudée à la longueur de sa vie ? " (Mt 6, 27).
A cette fragilité radicale et commune à tous les êtres humains s’ajoutent encore les soucis et les peines que nous connaissons tous : soucis de la santé, soucis du travail, soucis des familles brisées, soucis des enfants à accompagner dans leur croissance vers l’âge adulte, soucis des personnes âgées, etc. Il faut aussi penser au malaise ressenti qui s’exprime par les crises morales et le "mal être " et fait la fortune des fabricants de neuroleptiques. Tout cela est présent et pèse sur nos coeurs et nos pensées. Comment s’étonner alors de voir tant de nos contemporains reculer devant l’aventure de la vie ?
Certains baissent les bras et se laissent aller au fatalisme : il n’y a rien à faire, je ne peux rien faire que souffrir et douter de tout : cynisme devant les malheurs du monde, doute devant les possibilités de "changer quelque chose. " D’autres, plus radicaux, décident de quitter la partie et se suicident. D’autres renoncent à transmettre cette vie qu’ils ont reçue et dénient la possibilité d’un avenir pour eux-mêmes et pour la société. Peu à peu les crèches sont remplacées par des maisons de retraite !
Comment les chrétiens vivent-ils dans cet environnement ? Sont-ils très différents des autres ? Leur foi leur donne-t-elle des ressources pour faire face à cette existence ? Les voyons-nous grossir les rangs de ceux qui se lamentent sur les malheurs des temps ? Notre présence à Lourdes aujourd’hui est-elle une source d’espérance ou une fuite de quelques instants dans un univers irréel ?
2. La victoire !
Notre dévotion à l’Assomption de Notre-Dame et la célébration solennelle que nous en faisons aujourd’hui devraient nous aider à répondre, ou à commencer de répondre, à ces questions. Quelle est la foi de l’Eglise telle que Pie XII l’a définie en 1950 ? Nous croyons que la Vierge Marie, par un privilège particulier, est pleinement glorifiée en Dieu, corps et âme. Cela veut dire que la victoire sur le dragon de l’Apocalypse est accomplie pour elle et qu’elle a rejoint la place que "Dieu lui a préparée. "
Peut-être vous demandez-vous en quoi cette affirmation de la foi peut changer quelque chose à nos préoccupations quotidiennes ? Est-ce que cela change quelque chose pour nous que la Vierge Marie soit glorifiée dans la plénitude de sa personne ? Nous voulons bien nous réjouir et rendre grâce pour ce qui lui est arrivé, mais nous avons du mal à voir en quoi cela nous aide.
Pour répondre à cette question, nous devons avoir présent à l’esprit ce que saint Paul nous disait à l’instant de la résurrection du Christ : "Le Christ est ressuscité d’entre les morts, pour être parmi les morts le premier ressuscité. " Nous arrivons à admettre que Jésus soit ressuscité, -encore que beaucoup de chrétiens disent ne pas croire à la résurrection-, mais nous assortissons cette croyance d’une restriction mentale. Oui, le Christ est ressuscité, mais nous attribuons sa résurrection au fait qu’il était le Fils de Dieu, et nous sous-entendons : "pas vraiment comme nous. "
Mais avec l’Assomption de Marie, nous sommes confrontés à une réalité différente : Marie n’est pas Dieu ; elle est une fille d’Israël, de la même espèce que nous, une femme parmi les femmes de la terre. Si elle, qui est une femme de notre espèce, est glorifiée, alors la glorification n’est pas réservée à Jésus : elle nous concerne tous. Tous nous sommes appelés à être glorifiés comme elle, jusque dans notre corps.
La foi ne nous dit rien sur la mort de Marie. Il est loisible de croire qu’elle est morte comme tout un chacun ou, comme certains le pensent, qu’elle n’a pas connu la mort, mais la foi nous dit que par delà la fin de sa vie elle est glorifiée en Dieu. En elle, comme en Jésus, la mort n’a pas eu le dernier mot. La mort a été vaincue.
Quelle espérance pour l’humanité ! La chape de plomb qui pèse sur toute existence humaine et dont nous sentons les effets dans nos corps comme dans nos esprits est brisée à jamais. Dans aucune vie humaine la mort ne saurait vaincre la puissance de l’amour miséricordieux de Dieu. La terre n’est pas enclose dans la fatalité des blessures et des déterminismes, les cieux se sont déchirés pour annoncer la bonne nouvelle d’un avenir pour l’humanité.
3. Vivre de l’espérance.
Si nous entendons le chant d’action de grâce de la Vierge Marie, nous savons que Dieu "déploie la force de son bras, Il disperse les superbes, Il élève les humbles,. Il comble de biens les affamés,. Il se souvient de son amour. " Comment nous laisser accabler par les misères des temps, alors que nous croyons une telle promesse ?
Si nous vénérons la Vierge Marie glorifiée, ce n’est pas seulement pour nous réjouir du bien que Dieu lui fait, c’est aussi pour porter un nouveau regard sur notre existence humaine. "Ne vivez pas comme ceux qui n’ont pas d’espérance ! " nous dit saint Paul. Essayons de comprendre comment vivre dans l’espérance.
Ils vivent dans l’espérance, les jeunes qui imaginent leur avenir autrement que comme une course effrénée à l’argent et au pouvoir et qui souhaitent être généreux. Heureux sont-ils si les adultes ne détruisent pas leur idéal ! Malheureux sommes-nous si nous leur communiquons nos frayeurs et notre rapacité !
Ils vivent dans l’espérance, les hommes et les femmes qui unissent leur vie en s’engageant dans le mariage pour s’aimer toujours et donner la vie à des enfants du bonheur. Heureux sont-ils si on ne les raille pas de croire à l’amour ! Malheureux sommes-nous si nous spéculons sur les crises et les risques de la fidélité !
Ils vivent dans l’espérance, les hommes qui répondent à l’appel du Christ pour devenir les prêtres et les diacres de son Eglise. Heureux sont-ils de collaborer à la tâche de notre unique Pasteur ! Malheureux sommes-nous si nous n’estimons pas leur ministère !
Ils vivent dans l’espérance, celles et ceux qui s’engagent pour améliorer la vie de notre société et travailler à la sécurité et au bien-être de leurs contemporains. Heureux sont-ils s’ils ne se laissent pas griser par le pouvoir et le goût de l’argent ! Malheureux sommes-nous si nous doutons que quiconque puisse faire quelque chose d’utile !
Ils vivent dans l’espérance, tous ceux qui se donnent aux soins des malades, des handicapés et des vieillards pour leur donner confiance dans la valeur de leur existence. Heureux sont-ils s’ils progressent dans le respect de l’humanité ! Malheureux sommes-nous si nous renonçons à la dignité des souffrants et si nous les abandonnons à la mort solitaire quand nous ne la hâtons pas !
Ils vivent dans l’espérance, tous ceux qui sont écrasés par les bombes et les violences de la guerre, spécialement au Moyen-Orient en ce jours de souffrance et de deuil, et qui ne s’abandonnent pas à la vengeance et à loi de la mort donnée, vie pour vie, mort pour mort. Heureux sont-ils s’ils parviennent à renverser la logique absurde de la haine ! Malheureux somme-nous si nous ne faisons pas tout ce qui dépend de nous pour faire taire les armes immédiatement !
Vous vivez dans l’espérance, vous tous qui faites face, jour après jour, aux contraintes de votre vie et qui ne baissez pas les bras. Heureux êtes-vous si vous gardez le courage de combattre matin après matin pour que la vie mérite d’être vécue, pour vous, pour les vôtres et pour tous les hommes de la terre ! Heureux êtes-vous si vous vous voyez, vous aussi, comme d’humbles serviteurs du Seigneur : "Tous les âges vous diront bienheureux ! " Aujourd’hui encore la mère du Seigneur vient jusqu’à vous, comme elle est venue jadis jusqu’à Elisabeth. Elle vous tend la main et elle vous dit : confiance, pour toi aussi Dieu a préparé une place.
Amen !
+André Vingt-Trois
Archevêque de Paris