Homélie de Mgr André Vingt-Trois – Fête de la dédicace de la cathédrale
Notre-Dame de Paris – Vendredi 16 juin 2006
« Cette beauté architecturale qui est comme une sorte d’évocation pauvre de la magnificence de la Jérusalem céleste, est en même temps une représentation symbolique de la beauté de l’Église du Christ en son présent, c’est-à-dire en son peuple. »
– Jn 10, 22-30
Frères et sœurs, quand nous utilisons les mots et les concepts de notre langage humain pour parler de Dieu, nous savons bien qu’ils sont inappropriés, et que la manière dont les choses se réalisent en Dieu dépasse de toutes sortes de façons la manière dont elles se réalisent chez nous.
Ainsi, si nous voulons parler de la beauté de Dieu : nous savons bien que la beauté de Dieu dépasse infiniment tout ce que nous pouvons imaginer comme beauté humaine, mais nous savons aussi que, si nous voulons nous approcher un petit peu, si peu que ce soit, de ce que Dieu est, il faut bien que nous partions de ce que nous sommes et de ce que nous connaissons. Si nous essayons de comprendre que Dieu est beau, il faut que nous partions de notre expérience de la beauté, de notre conception de l’esthétique, et que peu à peu nous essayions d’imaginer que quelque chose de ce que nous connaissons est réalisé en Dieu.
Tout à l’heure, nous avons entendu dans le Livre de l’Apocalypse, la description de la Jérusalem céleste. L’auteur de l’Apocalypse utilise toutes sortes d’éléments qui expriment la beauté, la splendeur, la gloire, la richesse, la force. Tout cela, qui sera réalisé dans la Jérusalem céleste, s’applique à notre Eglise mais d’une façon très différente. Et pourtant, si nous pouvons espérer dans la cité sainte qui sera manifestée à la fin des temps, nous ne pouvons le faire qu’en nous appuyant sur l’Eglise que nous connaissons, que nous voyons, que nos mains peuvent toucher. C’est ainsi que je comprends que les chrétiens, à travers les âges ou les espaces et les cultures, ont voulu que les monuments dans lesquels ils se rassemblaient évoquent un peu la beauté de la Jérusalem céleste. Ils n’étaient dupes ni de leurs talents, ni de leurs travaux au point de croire qu’ils reproduisaient la Jérusalem céleste, mais si nous pouvons laisser notre imagination cheminer vers cet accomplissement de l’histoire des hommes, c’est en nous appuyant sur la beauté des monuments qui nous ont été légués et dans lesquels l’architecture elle-même est comme le langage d’un chemin mystique vers Dieu.
Ainsi, les colonnes apostoliques qui étaient évoquées dans le Livre de l’Apocalypse sont-elles figurées dans nos églises par les croix de leur consécration et de leur dédicace qui sont aujourd’hui éclairées comme vous le voyez de part et d’autre de la nef, où chaque croix est accompagnée d’un cierge allumé.
Ainsi, nos ancêtres, en construisant des monuments dont nous pouvons bien dire que celui que nous occupons aujourd’hui est l’un des plus beaux, traçaient selon ce qu’ils imaginaient un chemin de communion avec Dieu. Cette beauté architecturale qui est comme une sorte d’évocation pauvre de la magnificence de la Jérusalem céleste, est en même temps une représentation symbolique de la beauté de l’Eglise du Christ en son présent, c’est-à-dire en son peuple. Car ce qui est constitutif de l’Église, ce ne sont pas les bâtiments, mais c’est le peuple de Dieu Les bâtiments ont à la fois un usage fonctionnel : ils abritent notre rassemblement, et une mission symbolique : ils expriment quelque chose de la réalité de la vie du peuple de Dieu. J’ai déjà évoqué les douze fondements qui sont l’héritage des douze tribus et qui sont attribués aux douze apôtres. Ils manifestent à la fois la continuité de l’alliance et la nature apostolique de l’Eglise. Nous avons entendu évoquer la pierre angulaire, pierre de fondement : l’Église comme n’importe quel bâtiment s’appuie sur une pierre de fondement et cette pierre de fondement, c’est le Christ qui est le fondement de son Eglise. Mais encore, nous le savons, un bâtiment n’est pas simplement un empilement plus ou moins assuré de pierres sur une pierre angulaire ou sur une pierre de fondement. Compte tenu des innovations architecturales qui ont été mises en oeuvre dans la période de construction de notre cathédrale, nous pouvons dire qu’elle représente l’élaboration d’une architecture qui ne repose pas simplement sur les fondements ou sur les piliers, mais qui s’assemble par le jeu des voûtes en un ensemble dont chacun des éléments s’appuie sur les autres moyennant la fonction particulière de la clef de voûte qui est le point de convergence des forces et la cause de la stabilité du bâtiment.
Ainsi en va-t-il de notre Eglise. Elle se construit sur sa pierre angulaire qui est le Christ, elle se bâtit grâce aux pierres vivantes que sont les chrétiens, non pas simplement comme un empilement disparate, mais comme une élaboration architecturale dont l’harmonie et la cohésion dépendent de la connexion étroite avec la clef de voûte qui est encore le Christ.
Ainsi comprenons-nous mieux que, dans l’architecture de nos églises, le centre soit le Christ, soit figuré sur le crucifix, soit présent dans la réserve eucharistique, soit symboliquement évoqué par l’autel. Le Christ est le centre de l’Eglise, comme le Christ en est l’âme et la vie, il donne vie à toutes les pierres du bâtiment. Cette place centrale du Christ dans nos églises est symbolique de la place centrale du Christ dans notre Eglise, dans le corps ecclésial, dans le peuple de Dieu rassemblé en Lui. Elle est aussi symbolique de ce qui est le ressort profond de la vie ecclésiale, c’est-à-dire la mission pastorale du Christ telle qu’il l’a accomplie en livrant sa vie comme il le fait pour nous dans l’eucharistie, mais aussi la mission pastorale telle qu’il l’a communiquée sacramentellement dans son Eglise en instituant ses apôtres et leurs collaborateurs.
Ainsi nous sommes conduits peu à peu, non seulement à rêver de la Jérusalem céleste à partir des merveilleuses églises que nous occupons, mais à nous réjouir de la vitalité du corps ecclésial dont les églises qu’il habite ne sont qu’une représentation symbolique et évocatrice.
Frères et sœurs, en cette fête de la Dédicace, nous rendons grâce à Dieu qui nous a confié ce symbole, non pour en faire un musée international, mais pour en faire le lieu d’expression de la vitalité de notre Eglise diocésaine, symbole de sa communion profonde et de l’action de grâce que nous voulons rendre à Dieu en faisant dans le Christ l’offrande de nous-mêmes et en construisant notre communion autour du ministère apostolique. Amen.
+ André Vingt-Trois
Archevêque de Paris