Homélie du cardinal André Vingt-Trois lors des ordinations diaconales 2008

Notre-Dame de Paris – Samedi 4 octobre 2008

Messe d’ordination de 9 diacres permanents

 Jb 42, 1-3.5-6.12-17
 Ps 118, 66.71, 75.91, 125.130
 Lc 10, 17-24

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois

« Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez, heureuses les oreilles qui entendent ce que vous entendez » (Lc 10, 23). Heureux sommes-nous ce soir de voir ce que nous voyons et d’entendre ce que nous entendons. La foi chrétienne qui construit le Corps du Christ en son Église est pour nous une source de joie inépuisable. Vous qui avez vu à l’instant le corps des diacres accompagner en procession le Livre de la Parole de Dieu, vous avez déjà compris une part importante de leur ministère, qui est d’annoncer la bonne nouvelle de l’Évangile de toutes sortes de façons, par leur vie d’abord, par leur parole ensuite, dans la liturgie enfin. Si nous voulons entrer plus profondément dans cette joie de l’Église, nous devons suivre le chemin que Jésus nous indique dans cet évangile que nous venons d’entendre. Il ne s’agit pas d’abord de nous réjouir de ce que nous devenons capables de faire par la force de l’Esprit de Dieu, comme si notre joie était de réussir de bonnes opérations grâce à un surcroit de force qui nous viendrait du Seigneur lui-même. Certes, les soixante-douze n’étaient pas peu fiers d’avoir réussis à dominer quelques esprits mauvais. Il est humain que nous aussi, nous nous réjouissions de temps en temps quand nous réussissons quelque chose dans notre travail pastoral. Mais là n’est pas le premier motif de notre joie. Car ce pouvoir que le Christ donne à son Eglise de dominer les esprits mauvais n’est pas la première cause de sa propre prière et de sa propre jubilation par lesquelles il rend grâce à Dieu. Ce passage est un des rares endroits de l’Évangile, avec le chapitre 17 de l’évangile de saint Jean, où nous avons accès à une parole de Jésus en direction de son Père. Nous nous demandons ce qu’il pouvait lui dire dans sa prière. L’Évangile nous dit qu’il passait des nuits à prier. Nous sommes alors curieux de savoir ce que pouvait être ce tête-à-tête entre le Père et le Fils, comme les apôtres qui lui demandent à un certain moment : « Seigneur apprend-nous à prier ». Et voilà que l’Évangile nous donne accès à cette prière. Jésus exulte de joie dans l’Esprit Saint, et il dit : « Je te bénis Père ». Il le bénit de ce qu’il a révélé les mystères de son amour et de sa miséricorde à l’humanité. Comme saint Paul le dira dans l’épître aux romains : « Ce qui était caché depuis le commencement du monde est devenu manifeste » (Rm 16, 25). Dieu nous a fait connaître qui il est, et par voie de conséquence qui nous sommes et que nous vivons avec lui et en relation avec lui. Voici la première source de joie du Christ dans sa prière : « Béni sois-tu Père ». Cette révélation, Dieu l’offre de préférence aux pauvres et aux petits. Non qu’il voulût brimer les savants et les sages, mais pour que ne subsiste pas le moindre doute sur l’origine de cette grâce. Dieu ne veut pas cacher la vérité aux plus malins - c’est d’ailleurs très difficile -, mais il désire montrer que cette vérité n’est pas le fruit de notre industrie, que c’est un don qu’il nous fait. Connaître qui est le Fils et qui est le Père n’est pas le produit de nos réflexions philosophiques ou théologiques. C’est une révélation de Dieu qui se fait connaître lui-même. C’est ce que Jésus dira à Pierre au moment de la confession de foi de Césarée, « Ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela mais mon Père qui est dans les cieux » (Mt 16, 17). Voilà le cœur de la prière du Christ : je te bénis Père parce que tu as manifesté toi-même qui tu es aux hommes et que tu t’es fait connaître aux plus pauvres et aux plus petits.

Cette prière de bénédiction doit devenir la nôtre. Nous devons apprendre nous aussi à rendre grâce à Dieu non pas de ce que nous pouvons faire ici ou là, qui est toujours très utile mais qui s’efface aussi vite que la pluie traverse la terre et que le vent souffle les traces dans le sable. Même si vous vivez cent quarante ans comme Job, et que vous voyez les enfants de vos enfants jusqu’à la quatrième génération, il ne restera finalement pas grand-chose de vos œuvres ! Ce n’est pas de cela que nous nous réjouissons. Ce qui nous rend heureux c’est que Dieu s’est donné à connaître, qu’il se sert de nous, nous appelle et nous envoie pour être témoin de cette révélation. Pour qu’il soit clair que ce ne sont ni les philosophes, ni les savants, ni les grands esprits qui en garantissent l’authenticité, la mission de transmettre cette révélation est confiée à un ministère, le ministère apostolique, auxquels sont associés les prêtres et les diacres. La Parole qui est reçue de la part de Dieu est garantie par un ministère établi et consacré par l’Esprit de Dieu lui-même. Voilà ce qui procure sa joie à l’Église ! Une des premières composantes de votre ministère sera d’être le garant que les fruits produits par l’action de l’Église ne sont pas simplement des réussites humaines conséquences de nos œuvres, mais sont vraiment les fruits de la grâce.
Ce ministère, auquel Dieu vous associe par l’imposition de mes mains, est une source de vie, de joie, de paix et de bonheur pour chacun d’entre vous. A mesure que vous avez progressé vers l’ordination, vous avez accueilli plus profondément la certitude que ce n’était pas votre choix seul, ni même le choix des personnes qui vous avez sollicité ou qui vous avez encouragé à avancer, mais qu’il s’agissait du choix que Dieu a fait de vous. Et c’est pour cela que vous avez pu avancer dans la paix et que peu à peu, à travers votre vie habituelle, dans votre famille, avec vos proches, vos amis, les gens auprès de qui vous travaillez, votre communauté chrétienne, vous avez découvert que cette orientation de votre vie était pour vous une source de bonheur et de paix, et non pas un sujet d’agitation, de division intérieure, de conflit permanent et d’impossibilité à gérer sa vie. Cette ordination est source de joie et de grâce pour vous, pour vos familles, pour votre entourage professionnel, pour le quartier dans lequel vous vivez. Oui, Dieu se manifeste aujourd’hui à travers vous et il vous constitue pour servir le Peuple de Dieu tout entier et l’encourager, le soutenir, le mettre en état de mission. Je ne vous ordonne pas pour que vous soyez au service des caprices des uns ou des autres. Le Christ n’est pas serviteur pour satisfaire les consommateurs, mais bien pour appeler à rendre témoignage à la puissance de Dieu. Vous êtes serviteurs de l’Église non pas pour rendre la vie plus simple à tout le monde, mais pour être avec les prêtres qui vous entourent et les laïcs qui exercent des responsabilités, des stimulants, des agitateurs, des provocateurs pour la mission. Cette mission est d’abord tournée, comme le Christ nous le dit dans l’Évangile, vers les pauvres et les petits. Non seulement ils sont les premiers destinataires de la Bonne Nouvelle, mais ils en sont les premiers témoins. C’est là le deuxième versant de votre ministère : l’attestation de la révélation que vous êtes appelés à produire à travers l’annonce de l’Évangile se manifeste dans le service des pauvres et des plus délaissés qui est prioritaire pour vous et pour l’Église.
Frères et sœurs, tous ensembles nous nous associons à cette joie qui saisit notre Église au moment où se manifeste en elle la révélation du Père et du Fils, au moment où la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres, au moment où notre pauvreté devient le vecteur de la Bonne Nouvelle, au moment où l’Esprit Saint fait de nous des serviteurs de la charité. Amen.

Homélies

Homélies