Homélie du cardinal André Vingt-Trois – 33e dimanche du temps ordinaire – Fête patronale de Ste-Jeanne de Chantal
Sainte-Jeanne de Chantal – dimanche 16 novembre 2008
Evangile selon Saint Matthieu au chapitre 25, versets 14-30
Homélie du Cardinal André Vingt-Trois
Frères et sœurs, nous approchons de la fin de l’année liturgique. Le cycle de la liturgie évoque à la fois l’histoire de la vie du Christ et celle de la vie des hommes. Aussi, quand nous approchons de son terme, nous sommes invités à méditer sur la fin de l’histoire des hommes qui sera marquée par le retour du Christ.
Si le chapitre vingt-cinquième de l’évangile de saint Matthieu, dont nous entendrons la suite dimanche prochain, nous présente ce temps dernier, ce n’est pas pour nous faire imaginer comment cela se passera, ni pour nous donner des indications sur le moment où cela adviendra. Car ce moment peut arriver n’importe quand, tout comme l’heure de notre mort. Il n’y a pas de prévision possible en ce domaine.
Mais le fait que cette fin soit imprévisible et soudaine, nous invite à vivre dans la vigilance. Et la question à laquelle répond en partie la parabole des talents est de savoir comment le maître nous trouvera quand il reviendra et quand nous nous présenterons devant Lui.
Cet enseignement de Jésus vise en priorité à ceux qui ont reçu une part de la richesse de Dieu : en premier lieu Israël, qui a été dépositaire des commandements de Dieu et de la loi à travers les siècles, mais aussi les hommes et les femmes qui se sont mis à la suite du Christ quand il a fait des miracles et prêché en Palestine.
Elle s’adresse également à nous, puisque par notre entrée dans l’Église et notre participation à la foi, nous avons reçu nous aussi une part de la richesse de Dieu.
Le jugement que nous propose la parabole n’est pas moral, il ne consiste pas à savoir si nous avons fait plus ou moins de bien ou de mal. C’est un jugement sur notre capacité à développer et à faire fructifier ce que nous avons reçu.
Il faut bien le reconnaître, beaucoup de chrétiens, aujourd’hui comme hier, peuvent vivre leur foi comme la possession d’un capital acquis, qui n’a pas besoin de se développer. Leur seul souci serait de protéger ce qu’ils ont reçu et d’éviter que cela ne se disperse. C’est une foi d’épargnant.
Quand on est dans cette disposition, tout ce qui peut arriver, que ce soit les événements de la vie du monde ou ceux de notre propre vie, tout cela est perçu comme un risque de mettre en péril sa foi. L’attitude que le Christ nous invite à faire nôtre dans la parabole n’est pas celle-là. Dieu ne nous a pas confié un trésor pour l’enfouir et le défendre, mais pour le risquer et le faire produire.
La foi que nous avons reçue n’est pas quelque chose que nous pouvons préserver en le mettant à l’abri. C’est une énergie, un trésor et un dynamisme.
Elle ne peut être réelle que si elle est mise en action, confrontée aux réalités de notre vie, et aux réalités du monde. Elle n’existe vraiment que si nous nous appuyons sur elle pour mener une vie droite et témoigner de la richesse que nous avons reçue.
Le bon chrétien n’est pas celui qui peut rendre intact le catéchisme de son enfance. C’est celui qui développe ce qu’il a reçu dans sa jeunesse, le fait fructifier et grandir, le met en jeu, l’expose à d’autres visions du monde, de l’homme et de la vie.
Le jugement que le Christ prononce dans cette parabole peut nous paraître injuste, puisque le maître retire le peu qu’il avait à celui qui avait simplement protégé son bien.
Mais ceci nous fait plutôt comprendre quelque chose de beaucoup plus profond : la protection pure et simple de notre trésor aboutit à sa destruction. Une foi qui n’est pas mise en action, qui dort, et que l’on protège, est une foi qui meurt. Dès lors, il ne faut pas s’étonner alors qu’à un certain moment le fait d’être chrétien ne signifie brusquement plus grand-chose.
En lançant les Assises pour la Mission j’ai simplement voulu inviter les chrétiens de Paris à prendre conscience de cette situation qui est la nôtre.
Nous avons reçu quantité de richesses et de force de toutes sortes de façons : par l’héritage de nos familles, par la présentation, la découverte, et l’intégration de l’Évangile, par la force aussi d’une vie communautaire avec les autres chrétiens. Il ne nous sera pas demandé si nous avons préservé ce que nous avons reçu mais ce que nous en avons fait. Toute cette richesse accumulée pendant des années à quoi nous sert-elle ?
Comment se met-elle en action ? Comment devient-elle une force pour nous et pour les autres ? Au fond, l’appel à la mission c’est l’appel à l’authenticité de la foi.
Une foi qui ne se transmet plus est une foi qui meurt. Et si tant de chrétiens paraissent éloignés de la vie chrétienne, si tant de chrétiens s’écartent de la vie sacramentelle, de l’Église, et tout simplement de la foi, c’est souvent parce que leur foi n’a jamais servi.
Prions donc le Seigneur qu’il ravive en nous cette dynamique de la foi, qu’il nous fasse éprouver la richesse que nous avons reçue, qu’il mette en notre cœur le désir de faire fructifier ce trésor et de le partager. Amen.
+André cardinal Vingt-Trois