Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Messe des Étudiants d’Ile de France
Cathédrale Notre-Dame de Paris - mardi 18 novembre 2008
– Ac 28, 11.31 ; Ps 97 (98) ; Mt 14, 22-33
Homélie du Cardinal André Vingt-Trois
Chers amis,
le passage du Livre des Actes des Apôtres que nous avons entendu, évoque discrètement la dernière étape de la vie de Paul lorsqu’il arrive à Rome comme prisonnier.
Paul est citoyen romain, et il a demandé à être déféré au jugement de l’empereur. On le conduit donc à Rome.
En attendant le jugement, il est autorisé à rester dans un logement qu’il a loué et où chacun peut venir le visiter et recevoir sa parole. Vous avez sans doute remarqué la conclusion de ce passage, « Il annonçait le règne de Dieu et il enseignait ce qui concerne le Christ avec une assurance totale et sans rencontrer aucun obstacle ».
Aujourd’hui, dans deux circonstances très différentes, j’ai rencontré deux personnes d’une quarantaine d’années et engagées dans une vie professionnelle.
Toutes les deux faisaient part de la difficulté qu’elles avaient, non seulement à annoncer le règne de Dieu ou à enseigner ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ, mais même simplement à se déclarer chrétiennes.
Elles rencontraient apparemment des obstacles, et en tous cas elles n’avaient pas une assurance totale.
Ce contraste entre l’assurance totale de l’apôtre Paul prisonnier décrit par les Actes des apôtres et les inquiétudes de ces deux chrétiennes immergées par leur vie professionnelle dans un milieu complètement séculier, me semble évocateur de ce que nous connaissons tous d’une façon ou d’une autre.
Quand je dis tous, je veux parler de toutes celles et de tous ceux qui essayent tout simplement d’être chrétiens et de vivre fidèlement la Parole du Christ dans un univers qui n’a pas été conçu pour respecter les commandements de Dieu et les orientations données par le Christ dans l’Évangile.
D’un côté, nous sommes habités par une certaine assurance. D’abord, nous savons qu’il ne s’agit pas simplement d’une question d’opinion dans laquelle on dirait : « Moi je pense cela, toi tu penses cela. Nous sommes en régime de liberté et de tolérance donc chacun peut penser ce qu’il veut… »
Car la vérité ne peut pas être à la fois blanche et noire. Et si nous pensons différemment d’un autre, il faut bien que, au moins pour nous-mêmes, dans notre esprit, nous tranchions.
De plus, nous avons le sentiment que notre parole n’est pas seulement notre opinion, mais qu’elle porte ce que Dieu veut révéler aux hommes.
L’annonce du règne de Dieu, c’est le témoignage de ce que Dieu désire réaliser avec les hommes à travers le temps et l’espace.
Le désir d’amour de Dieu embrasse et veut atteindre aujourd’hui encore, tous les garçons, les filles, les hommes et les femmes avec lesquels nous vivons.
Mais en même temps que nous sommes habités par cette certitude et cette assurance, nous sommes traversés par la crainte et l’inquiétude à cause de notre faiblesse. _ Comme nous le voyons dans l’évangile qui vient d’être lu, le plus difficile dans la mission de témoins de la foi, n’est pas de sauter de la barque – tout le monde peut le faire - mais de tenir sur les eaux. Il est facile d’être habité par un sentiment généreux qui nous fait dire : « Moi aussi je vais faire quelque chose ».
Mais comment tenir au moment où le vent se lève, où l’on s’aperçoit que l’on s’appuie sur un sol qui n’est pas solide mais liquide, où l’on réalise que les choses ne vont peut-être pas se passer comme prévu ? _ Et l’Évangile nous dit : « Il eut peur » : Pierre eut peur, et comme il commençait à enfoncer, il cria : « Seigneur, sauve-moi ».
Être appelé à devenir témoin du Christ, ne revient pas à faire des choses extraordinaires que les autres ne seraient pas capables de faire, ni à réussir le tour formidable de marcher sur les eaux.
Être appelé à devenir témoin du Christ, c’est vivre de la foi et croire que c’est le Christ lui-même qui nous fait tenir debout, et pas notre habileté ou un sortilège. Jésus lui dit : « Viens ».
Et sur cette parole Pierre descend de la barque et marche sur les eaux.
Chaque jour nous marchons sur les eaux, nous sommes attirés ou poussés par la Parole du Christ, si nous voulons bien l’écouter et la méditer dans la prière.
Chaque jour elle nous entraîne à aller vers les autres et à partager le trésor que nous avons reçu. Mais chaque jour aussi, nous sentons le vent qui se lève, nos genoux qui fléchissent et nos pieds qui s’enfoncent.
Et la vraie question est de savoir ce que l’on fait alors : crier « c’est un fantôme » et regagner la barque ou la terre ferme vite fait, ou bien se tourner vers Jésus et l’appeler : « Seigneur sauve-moi ? »
Essayer de vivre en chrétien, tenter de partager la joie d’être chrétien avec ceux et celles qui nous entourent, c’est s’engager dans cette épreuve de la foi.
Par nous-mêmes nous ne pouvons pas marcher sur les eaux ni braver la tempête. Par nous-mêmes nous ne pouvons que nous enfoncer. Mais au moment où nous éprouvons cette faiblesse, nous prenons conscience que la vie chrétienne n’est pas simplement un programme humaine de générosité, mais qu’elle requiert un acte de foi : « Seigneur sauve-moi ! »
« Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba, alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui et lui dirent : ‘Vraiment tu es le Fils de Dieu’ ».
Si nous reconnaissons en Jésus le Fils de Dieu, ce n’est pas simplement parce qu’il est capable de nous faire marcher sur les eaux, mais parce qu’il peut susciter la foi en nos cœur, parce qu’il nous entraîne à surmonter nos faiblesses, nos craintes, nos timidités et notre respect humain ; parce qu’il nous pousse pour que vraiment nous l’annoncions.
Les temps que nous vivons sont des temps propices parce que chacun d’entre-nous, sans avoir à faire le moindre effort, ni la moindre recherche, est chaque jour au contact d’hommes et de femmes qui attendent l’espérance.
Chaque jour nous rencontrons des personnes qui ignorent que Dieu les aime, que cet amour de Dieu peut transformer leur vie, que le Christ n’est pas un fantôme mais quelqu’un de bien réel qui peut les faire marcher non seulement sur l’eau, mais encore tout au long de leur vie. _ Pour nous, nous le savons, nous en vivons ou essayons d’en vivre. Mais qu’en faisons-nous paraître ?
Qu’en proposons-nous à découvrir ? Sans même parler d’annoncer ou de provoquer, que laissons-nous voir de ce que l’amour de Dieu produit en nous ?
Devant ces deux géants de la foi que sont Paul et Pierre, je vous propose simplement qu’avec beaucoup de disponibilité nous nous remettions devant le Seigneur et que nous reprenions dans notre cœur la parole de Pierre : « Seigneur, si c’est bien toi ordonne-moi de venir vers toi sur l’eau », et alors nous irons vers lui en allant vers nos frères.
Qu’il augmente en nous la foi, car nous avons peu de foi. Qu’il fasse croître en nous la confiance, car nous manquons d’assurance. Qu’il fasse grandir en nous la joie pour que notre présence soit un signe.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris