Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe des étudiants d’Île-de-France 2009
Notre-Dame de Paris - mardi 17 novembre 2009
– 2M 6, 18-31 – Ps 3, 2-7 – Lc 19, 1-10
Chers amis,
Les lectures que nous venons d’entendre nous aident à répondre à deux questions pour éclairer notre situation de chrétien aujourd’hui en ce monde.
La première est une question assez commune : comment être fidèle à Dieu dans un univers dominé par des hommes qui ne croient pas en lui ? C’est la question à laquelle les juifs étaient confrontés au moment où Antiochus Epiphane occupait Jérusalem et voulait leur imposer de renoncer à la loi reçue de Dieu et à l’Alliance conclue avec Lui, pour les rallier à sa propre religion.
Le livre des Martyrs d’Israël nous dit que beaucoup se laissèrent séduire. L’histoire du vieux sage Eléazar que nous avons entendue précise le contenu de cette séduction : « Tu n’as qu’à faire semblant. Personne ne te demande d’adhérer avec conviction. On te demande simplement de faire les gestes extérieurs, même si par ailleurs tu peux continuer à croire tout ce que tu veux ».
Mais peut-on être fidèle à Dieu en faisant semblant de ne pas lui être fidèle ? Peut-on être fidèle à la Parole que nous recevons, en faisant les gestes contraires, pour éviter l’embarras du conflit avec l’entourage ? Chacune et chacun d’entre-nous est confronté quotidiennement à cette question.
Allons-nous nous comporter comme tout le monde pour sauver la concorde, pour éviter les conflits ou pour ne pas nous distinguer, même si dans le secret de notre cœur nous pensons qu’il faudrait faire autrement ? Pouvons-nous revêtir l’uniforme de l’incroyance en gardant notre croyance au cœur ? Pouvons-nous vivre la foi en Dieu sans que rien n’y paraisse ?
Vous avez entendu la réponse du vieil Eléazar : « A quoi bon être arrivé à cet âge avancé si c’était pour survivre au prix d’une trahison et donner à la jeunesse de notre peuple un exemple aussi malsain ? ». Eléazar a conscience de la grandeur de l’appel qu’il a reçu et de l’importance du témoignage qu’il doit porter au milieu des hommes.
La deuxième question qui éclaire notre condition chrétienne aujourd’hui est de savoir pour qui le Christ est venu. Tout le monde a son idée là-dessus. Mais voilà que Zachée ouvre une porte, si je puis dire, en montant dans un arbre.
Il veut voir Jésus, mais il ne fait partie ni du groupe des disciples qui suivent Jésus, ni de ceux qui s’approchent près de lui. De plus, sa petite taille ne lui permet pas de surmonter le rideau de ceux qui lui voilent le passage.
Enfin, son statut de collecteur d’impôt et de publicain ne lui attire pas les sympathies qui permettraient de le présenter au Maître comme un ami bienveillant, comme avait pu l’être par exemple le centurion de Capharnaüm dont on disait à Jésus qu’il avait fait beaucoup de bien pour la synagogue (Lc 7,5). Zachée, lui, n’a pas beaucoup aidé la synagogue et il a surtout pressuré le peuple pour toucher les impôts. Il n’est réellement pas bien vu. C’est pourquoi il grimpe dans son arbre pour essayer de voir Jésus.
Zachée est l’image de toutes ces personnes qui ont envie de savoir ou de voir quelque chose de Jésus et de le connaître un peu mieux. Nous-mêmes, tout croyants que nous sommes, nous nous demandons comment nous pourrons le mieux voir et l’entendre. Et nous montons nos échafaudages pour essayer d’arriver à la bonne hauteur.
Nous gravissons modestement notre chemin, pour aller vers le Christ : les uns prennent un peu d’Écriture Sainte, les autres un peu de solidarité, les autres un peu de solitude dans un monastère, les autres une expérience de groupe de prière. Nous plaçons nos petits cubes les uns sur les autres en nous disant que si nous montons dessus, nous devrions arriver quand même à voir quelque chose ou à rencontrer quelqu’un.
Et que se passe-t-il ? Jésus lui-même se tourne vers Zachée et lui dit « Aujourd’hui il faut que je vienne chez toi » (Lc 19, 5). Ce n’est pas le sycomore qui a produit la rencontre entre Jésus et Zachée, c’est Jésus lui-même qui se fait proche de Zachée.
Ce n’est pas en montant dans l’arbre que Zachée rencontre le Christ, c’est en ouvrant sa maison pour que le Christ puisse y entrer. Ce n’est pas grâce à nos échafaudages que nous établissons la communication, mais par l’initiative de Jésus. Ce dialogue très court entre Jésus et Zachée, nous renvoie à l’ensemble de l’évangile de saint Luc tout entier construit autour de cette réalité de Dieu qui se fait proche de l’homme en la personne du Christ.
De plus, lorsque Jésus vient et s’approche, son initiative va susciter la vraie conversion de Zachée. Son échafaudage dans le sycomore n’était pas encore une conversion. C’était une tentative. Mais lorsque Zachée s’écrit : « Maintenant je vais donner la moitié de ce que j’ai aux pauvres » (Lc 19, 8), il est entré dans une vraie conversion.
Aujourd’hui encore, Jésus voit nos efforts pour aller à sa rencontre. Il voit comment nous essayons de construire quelque chose. Mais aujourd’hui encore, c’est lui qui vient à nous et qui nous dit : « je vais demeurer chez toi aujourd’hui ».
Cette initiative du Christ qui vient à notre rencontre est le détonateur d’un vrai changement dans notre vie : nous pouvons réparer quelque chose de ce que nous avons détruit, comme Zachée qui décide de rendre ce qu’il avait pris ; nous décidons de mener une vie nouvelle, non parce que nous aurions le sentiment d’être devenus de meilleurs témoins que les autres, mais parce qu’en se faisant proche de nous le Christ montre « qu’il est venu chercher et sauver ce qui était perdu » Lc 19, 10. Il n’est pas venu pour les justes mais pour les pécheurs. C’est là notre joie et notre espérance.
Le Christ vient là où il n’est pas attendu. Il descend dans chacune de nos vies, et nous rejoint y compris dans nos infidélités, nos craintes et peut-être aussi dans notre tentation de faire semblant de ne pas le connaître, comme Pierre qui au moment de la Passion dira : « Je ne suis pas de ceux qui était avec lui » (Lc 22, 59).
Et pourtant, aujourd’hui, c’est bien chez nous qu’il veut demeurer. Et ceci nous remplit de joie et d’espérance : en dépit de notre faiblesse et de notre petite taille, sans juger non plus nos efforts pour arriver à faire quelque chose, son regard se porte sur nous et sa main se tend vers nous. Jésus vient prendre place chez nous, à notre table.
Chers amis, voilà ce dont nous devons être témoin, voilà ce que nous ne pouvons pas cacher. En raison de cette visite que le Christ nous fait, nous ne pouvons pas faire semblant de n’être rien pour lui ou de l’ignorer. Aujourd’hui il nous constitue comme signes, nous, pauvres gens que nous sommes. Il montre qu’il peut venir chez nous et qu’il y apporte le salut.
Qu’il nous donne la force de témoigner de cette présence à travers toutes les dimensions de notre vie et toutes les circonstances de notre existence. Amen.
+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris