Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - 31ème dimanche du temps ordinaire – année C
Messe à la paroisse de saint François de Molitor (Paris XVIème) - Dimanche 31 octobre
Dans cette homélie sur l’évangile de Zachée, le cardinal André Vingt-Trois pointe le renversement structurel de l’existence chrétienne : notre suite du Christ et notre conversion ne s’appuient pas sur nos œuvres bonnes mais sur l’appel gratuit et immérité du Seigneur.
– Sg 11, 23 – 12,2 ; Ps 144 ; 2 Th 1, 11 – 2, 2 ; Lc 19, 1-10
Frères et Sœurs,
A mesure que nous avançons dans la lecture de l’évangile selon saint Luc et sur le chemin de Jésus vers Jérusalem, les situations de l’évangile nous apprennent peu à peu comment l’on devient disciple du Christ. Ainsi, dimanche dernier, nous avons médité sur la prière au Temple du publicain et du pharisien, et nous avons compris que l’attitude qui plaît à Dieu est celle du pécheur qui reconnait sa misère et se tourne vers lui. Aujourd’hui la figure de Zachée nous fait découvrir un autre aspect du cheminement à la suite du Christ. Zachée est un pécheur public, chef des collecteurs d’impôt. Nous pouvons sans trop nous aventurer l’imaginer peu estimé de ses concitoyens. Ce côté ‘sombre’ de sa personnalité et le fait qu’il soit petit de taille pourraient constituer un obstacle infranchissable pour sa rencontre avec le Christ. Mais le regard que Jésus pose sur lui et la parole qu’il lui adresse vont retourner cette situation. Ce qui était un handicap va devenir un atout, non pas parce que Jésus transformerait des œuvre mauvaises en actions bonne, mais parce qu’il choisit de s’inviter chez Zachée d’une manière tout à fait gratuite, et donc pas en raison de qualités personnelles (sa taille ou ses bonnes œuvres) que Zachée ne possèdent précisément pas. « Jésus leva son regard sur lui et lui dit : ‘descend, aujourd’hui il me faut demeurer dans ta maison’ » (Lc 19, 5).
A travers l’échange de ces regards et de ces paroles, ce passage nous fait comprendre ce qui est structurel de l’expérience chrétienne : nous ne devenons pas disciples du Christ par nos œuvres ou même par nos désirs, mais en raison du choix et de l’appel de Jésus et de la force avec laquelle il transforme notre vie. Ce choix de Jésus pour Zachée se concrétise dans le festin qu’il va prendre dans sa maison. Dans l’Evangile, nous sommes habitués à voir le Seigneur manger avec les pécheurs, et depuis plusieurs dimanches (dans la parabole des deux fils (Lc 15) par exemple) nous voyons que cette situation suscite un questionnement et même provoque un choc : « Comment peut-il faire table commune avec eux, au risque de contracter une impureté rituelle ? » Ces situations permettent à Jésus de rappeler le sens de sa mission : « Je ne suis pas venu pour les bien portants mais pour les malades » (Lc 5, 31) « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » (Lc 19, 10).
C’est pourquoi le titre de gloire sur lequel notre conversion (notre transformation personnelle) va s’appuyer et se réaliser n’est pas l’inventaire de nos bonnes réalisations, qui seraient comme nos ‘états de service’ devant le Seigneur, mais la prise de conscience de nos incapacités, de nos fautes, de nos misères et de nos limites qui nous rend justement capables d’accueillir la parole qui sauve. Nous ne sommes pas une assemblée de justes venus faire à Dieu l’hommage de notre justice, mais une assemblée de pécheurs qui recevons le message inespéré de la miséricorde : « Descends vite, aujourd’hui il me faut demeurer chez toi ! »
Seuls ce don gratuit et cet appel immérité peuvent réellement transformer la vie de Zachée, comme nous l’avons entendu : « Voilà, Seigneur : je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus. » (Lc 19, 8) Sa conversion se traduit par des actes concrets et mesurables et ne se limite pas à nourrir des bons sentiments amicaux à l’égard de Jésus. Le point d’appui de ce changement de la manière de vivre de Zachée est rendu possible par la présence de Jésus chez lui.
C’est pour nous chrétiens une espérance considérable ! Sans juger les cœurs (nous n’en avons pas la possibilité), nous savons que pour tant de chrétiens la foi au Christ et la vie chrétienne sont plus un fardeau accablant qu’un salut qui libère. Tant de chrétiens suivent avec lenteur et de manière pesante le chemin de la foi puisqu’ils cherchent toujours comment appuyer leur démarche sur ce qu’ils font de bien. Ils ne sont pas encore arrivés à la pleine transparence de la foi qui est d’accueillir le don de Dieu au cœur de notre misère. Saint Paul écrit dans la seconde épître aux corinthiens : « Je n’hésiterai donc pas à mettre mon orgueil dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ habite en moi. Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort. » (2 Co 12, 9-10). Il nous faut donc accepter ce retournement de notre manière spontanée de nous présenter qui cherche – c’est bien humain – à faire bonne impression et à ce que l’image que nous donnons de nous-mêmes soit honorable. Or c’est précisément par le côté peu honorable de notre image que le Christ nous attrape ! Il ne cherche pas les personnes respectables pour leur faire gravir quelques marches de plus, mais il appelle les pécheurs et les pauvres pour qu’ils accueillent chez eux sa présence.
Chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie et quand nous sommes réunis le dimanche, nous revivons ce festin où le Christ est venu s’inviter. Ce n’est pas nous qui l’invitons à notre table mais lui qui nous y accueille. Nos églises et nos autels ne sont pas des lieux où nous essayons d’attirer le Christ, mais bien des lieux où il nous attend, pour nous partager la parole qui rend libre et le pain qui rend fort : le Christ lui-même donné en nourriture pour que nous soyons relevés et que nous entrions dans une nouvelle manière de vivre : « Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham. » (Lc 19, 9). Voilà pourquoi, chaque jour nous rendons grâce : alors que nous sommes si souvent loin de lui, il se fait proche de nous ; alors que nous sommes par nous-mêmes si peu capables de le reconnaître et d’entrer en relation avec lui, il nous appelle et nous donne les moyens de le recevoir chez nous. « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » (Lc 19, 9)
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois Archevêque de Paris