Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe patronale de la paroisse Saint-Sulpice à l’occasion de l’achèvement des travaux de restauration de la tour nord de l’église.

Dimanche 16 janvier 2011 - Saint-Sulpice (Paris VI)

La fin des travaux de restauration de la tour nord de l’église et la fête de la Saint Sulpice, sont l’occasion de souligner que la beauté des signes chrétiens (architecture, musique…) s’ancre dans la vitalité des communautés chrétiennes, dont la mission est d’être témoin de la sollicitude du Christ au cœur du monde.

 1 Co 9, 16-19.22-23 ; Ap 21, 9-14 ; Jn 10, 11-18

Frères et sœurs,

Quand le visionnaire de l’Apocalypse décrit la Jérusalem nouvelle, la cité sainte, qui descend du ciel d’auprès de Dieu, il parle de son resplendissement semblable à celui des pierres précieuses, de la splendeur des murailles et de ses portes. Mais il la décrit surtout comme le symbole d’un peuple, celui des douze tribus des fils d’Israël dont les noms sont inscrits sur chacune de ces portes. Il ne s’agit pas simplement de rêver à une nouvelle Jérusalem, plus belle que la ville réelle. L’auteur nous fait découvrir que la nouvelle Jérusalem mène à son accomplissement la mission de la ville de Dieu : être une ville ouverte sur les quatre points cardinaux, du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest et manifester ainsi que le peuple de Dieu a pour vocation d’être ouvert à l’humanité tout entière.

La vocation de la nouvelle Jérusalem est donc simultanément d’évoquer la splendeur du don de Dieu à travers sa propre beauté et de révéler l’universalité du dessein de Dieu qui veut faire alliance avec tous les hommes. Cette parole de l’Apocalypse est pour l’Église catholique comme un point de référence originel et comme une vision qui définit sa propre mission : celle d’être dans le monde le signe du resplendissement du don de Dieu et l’instrument de la destination universelle de ce don. Les hautes murailles de la cité sainte ne sont pas des barrières destinées à empêcher d’entrer, mais permettent que cette cité soit visible de partout. Les portes percées aux quatre points cardinaux sont comme un appel à accueillir les hommes et les femmes de toute la terre.

La grandeur esthétique de cette vision de l’apocalypse nous renvoie à la beauté des édifices bâtis par nos pères ou à celle des églises que nous construisons aujourd’hui et des liturgies que nous voulons y vivre. L’harmonie des formes et l’exaltation des chants que nous présentons devant le Seigneur avec le concours des artistes, doivent nous conduire à mesurer la beauté de l’acte de foi dont elles jaillissent. L’Église est rendue visible à travers la beauté de ses bâtiments, la chaleur de ses assemblées, la qualité de ses liturgies, mais peut-être surtout et principalement par la vitalité de ses membres, dont le témoignage ouvre les portes de la foi au monde qui l’entoure. Si beaux que soient les bâtiments que nous occupons, si grande que soit notre joie lorsqu’ils peuvent être entretenus et maintenus, si soignées que soient les liturgies que nous y célébrons, nous savons que toute cette beauté puise sa force dans la vie du peuple qui habite ces bâtiments et y célèbre ces liturgies. Que cette vitalité vienne à s’assoupir ou à s’éteindre, et la grandeur architecturale de nos églises comme la qualité de notre patrimoine musical ne seraient plus que des éléments de musée ou des souvenirs artistiques. La vigueur de la vie de nos communautés, c’est la beauté de notre Église. Elle transforme des lieux dont la qualité artistique ne pourrait être qu’une curiosité en lieux de vie. Si, jadis, quelqu’un avait voulu mettre les musées dans la rue, le peuple chrétien met la beauté dans la vie du monde par ses membres agissants et vivants.

Cette muraille de la nouvelle Jérusalem repose sur les fondations qui portent le nom des douze apôtres de l’agneau (Ap 21, 14). Ceux-ci ont été choisis par le Seigneur pour être les piliers de ce peuple nouveau. Eux-mêmes, et nous les évêques leurs successeurs, reçoivent de cette vision de l’apocalypse le contenu de leur mission. Nous ne sommes pas chargés de conduire le peuple de Dieu vers un abri solidement protégé par des murailles infranchissable, mais de l’accompagner vers les portes ouvertes au flanc de l’Église pour passer vers l’humanité, pour lui annoncer la bonne nouvelle du salut, pour lui ouvrir le trésor de l’alliance et l’accueillir. Notre mission pastorale n’est donc pas simplement de prendre soin de nos brebis – puissions-nous le faire de notre mieux – mais encore d’aspirer à rejoindre ceux et celles qui ne sont pas encore de notre troupeau : ceux qui attendent ou n’attendent pas, ceux qui regardent ou ne regardent pas, ceux qui sont dans d’autres bergeries ou ne sont nulle part. L’amour pastoral du Christ qui habite nos cœurs n’est limité ni par les murailles, ni par le peuple de Dieu qui nous est confié. A travers le témoignage que porte chaque membre du peuple de Dieu dans son existence, notre sollicitude s’étend à l’humanité toute entière. Notre joie est d’annoncer l’Evangile au monde et notre malheur serait de ne pas l’annoncer : « malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile » nous disait saint Paul (1 Co 9, 16).

Au temps mérovingiens, saint Sulpice, quels que soient les détails de son existence, a laissé l’image d’un bon pasteur. Il y a quatre siècles, ce quartier qui dépendait de l’abbaye de Saint-Germain n’était pas le quartier construit et animé que nous connaissons. C’était plutôt un faubourg pauvre et délaissé. Quand Jean-Jacques Olier a été chargé de la petite église Saint Sulpice qui existait alors, il a reçu cette mission avec le souci pastoral de l’Église d’aller vers les plus pauvres et d’annoncer l’Evangile à ceux qui étaient sinon méprisés ou abandonnés, ou du moins méconnus et ignorants de la bonne nouvelle du salut. Dans le mouvement missionnaire qui habitait le cœur de groupes de prêtres de son époque, il a fondé ici-même le séminaire qui devait former les prêtres destinés à cette œuvre. Cette fondation d’une paroisse type de la mission de la Contre-Réforme associait donc la formation des prêtres à l’exercice immédiat du ministère. En confrontant l’appel au sacerdoce avec la mission aride de l’Église parmi les plus pauvres, il s’agissait d’imiter la tâche pastorale du Christ qui livre sa vie pour ses brebis et se donne tout entier comme un bon pasteur.

Frères et sœurs, au moment où nous faisons mémoire du patron de votre paroisse, il n’est pas mauvais pour nous de revenir à cette intuition fondamentale : la raison d’être d’une communauté chrétienne dans un quartier d’une ville ou dans une campagne n’est pas simplement d’assurer la distribution des vivres spirituelles aux cotisants de la communauté, mais d’être les témoins de la vigueur de l’Evangile dans le tissu de la vie ordinaire des hommes et des femmes de ce temps. Peut-être se plaint-on parfois de ce que le christianisme manque de considération dans notre société. N’ayez crainte, il sera très bien respecté et estimé autant que nous le vivrons, autant que nous accueillerons l’Evangile, autant que nous porterons l’image du Christ livrant sa vie pour ses amis, autant que nous-mêmes nous donnerons notre vie pour nos frères. Sauf à être fou, on ne tire pas sur quelqu’un qui vous fait du bien !
Frères et sœurs, ne vivons pas comme des gens assiégés derrière de hautes murailles, vivons comme le peuple de Dieu dont la cité est ouverte aux quatre coins de l’horizon. Soyons le peuple du Christ appelant l’humanité entière à venir s’abreuver aux sources du Salut et demeurons dans la joie de l’Evangile.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris.

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