Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe télévisée, à l’occasion du Cinquantième anniversaire du C.C.F.D.-Terre Solidaire – 9ème dimanche de l’année – Année A

Dimanche 6 mars 2011 - Cathédrale Notre Dame de Paris

Pour les chrétiens, l’engagement solidaire aux côtés des plus pauvres ne peut se limiter aux belles déclarations, mais se met en œuvre dans une action passée au crible de la Parole de Dieu.

 Dt. 11, 18…32 ; Rom. 3, 21…28 ; Mat. 7, 21-27.

« Faire la volonté de mon Père. »

Frères et Sœurs,

Le cinquantième anniversaire du Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement est l’occasion de rendre grâce et de faire le point sur le chemin parcouru au cours de ce demi-siècle. Parallèlement au formidable développement des moyens de communication, à l’augmentation des facilités de déplacement et des échanges d’informations, les pays développés ont été confrontés au choc inévitable entre la croissance apparemment continue de leur prospérité et l’appauvrissement lui aussi continu d’autres peuples, passant par la persistance de famines endémiques et le surgissement de conditions de vie jusqu’alors inimaginables. La juxtaposition de plus en plus visible de l’opulence et de la misère a amené les pays développés à s’engager résolument dans le combat contre la mort où sombraient tant de peuples dans le monde.

Ce demi-siècle a été l’occasion d’une nouvelle prise de conscience de la solidarité effective entre les hommes et de l’urgence de passer d’une solidarité subie à une solidarité choisie et voulue comme une tâche éminemment humaine. Nous avons mieux ouvert les yeux et nous avons vu que des hommes et des femmes à nos portes, tels le pauvre Lazare de l’Evangile, meurent de faim, de soif, de manque de soins, d’absence d’éducation. La lutte contre la faim et pour le développement est devenue peu à peu une forme d’expression de la compassion et de la générosité.

Mais nous savons qu’il y a un long chemin pour passer du sentiment à l’action ! Notre société moralisatrice est très douée pour présenter des images, -bien sur exclusives !- qui suscitent l’émotion, voire l’indignation. Elle est moins habile à cristalliser les capacités d’action. Elle favorise la compassion par procuration et les soutiens moraux enthousiastes, pourvu que rien ne change trop dans nos mœurs particulières de consommation et notre manière de vivre. Passer de l’intention à l’action, de l’aumône au partage, est un chemin dans lequel les belles émotions ne suffisent pas. Le Sermon sur la Montagne que la liturgie a proposé à notre méditation depuis six semaines se conclut par une règle d’or qui doit structurer la mission confiée par Jésus à ses disciples : « Il ne suffit pas de me dire : ‘Seigneur, Seigneur !’ pour entrer dans le Royaume des Cieux ; mais il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux. » Notre expérience personnelle de l’exercice de notre liberté, comme la réflexion sur les conduites humaines, nous permettent de comprendre combien ce clivage entre le « dire » et le « faire » est révélateur de l’authenticité de ce que nous vivons.

Pas plus qu’à l’époque du Christ, nous ne risquons de manquer de prophètes et de figures attractives et célèbres pour nous exhorter à la pitié. Mais ce n’est pas à l’intensité des sentiments ou à la fulgurance des discours que se mesure la véritable communion avec le Christ et donc un authentique amour de nos frères humains. C’est à la justesse de la manière de vivre. Grâce à Dieu, notre intelligence et nos sentiments sont capables d’être émus par des informations ou des appels pressants. Mais notre disponibilité à l’amour de nos frères ne doit pas s’épuiser dans cette émotion, elle doit aller jusqu’à son accomplissement, sa mise en œuvre concrète, dans une nouvelle manière d’agir conforme à ce que Dieu veut.

A quoi bon nous extasier sur les Béatitudes si nous les désamorçons en décrétant qu’elles sont un idéal impossible à vivre ? A quoi bon nous émerveiller sur le pardon des ennemis, la fidélité conjugale ou le sens de l’aumône si nous négligeons de soumettre nos actes au jugement de la parole de Dieu ? Si nous voulons vraiment être des disciples de Jésus et construire notre maison sur le roc, si nous voulons être plus que des donneurs de leçon ou des activistes, nous devons concrétiser nos bons sentiments dans une conversion de nos manières de vivre qui s’appuie sur la Parole de Dieu.

Parmi les résistances que suscitent en nous les appels à la solidarité, il y a évidemment le sentiment écrasant de la disproportion entre les besoins connus et les moyens dont chacun de nous dispose pour y répondre. N’est-ce pas une tentation grossière que de croire que si je ne peux pas tout, je ne peux rien ? Chacun et chacune d’entre nous peut quelque chose, peu de chose peut-être, mais quelque chose quand même. Si j’accepte de faire vraiment le peu qui est à ma portée, alors je mets en mouvement un levier puissant qui est le levier de l’amour.

Aucun de nous n’a le pouvoir de sauver le monde. Seul Jésus a sauvé le monde. C’est par notre communion avec lui et notre engagement fidèle dans les actions de l’Église que nous aussi nous participons à l’action du Christ Sauveur. Nous avons besoin d’organisations comme le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement pour que chacune de nos modestes actions s’inscrive dans une dimension ecclésiale et universelle. Nous avons besoin d’unir nos efforts pour que les déclarations généreuses des États développés se concrétisent réellement dans une véritable coopération. Nous devons nous soutenir les uns les autres pour que les périodes électorales soient vraiment une occasion d’évaluer les projets d’aide au développement.

Dans quelques jours, nous allons entrer dans le Carême, temps de conversion de notre vie et de partage. Dans chacune de vos communautés eucharistiques, des projets de partage vont vous être proposés. La palette en sera certainement assez large pour que vous puissiez choisir. N’arguez donc pas de fallacieux prétextes pour vous dispenser de contribuer à la charité de l’Église. N’oubliez pas que ce partage représente une véritable privation que vous vous imposez et qu’il prend tout son sens dans la conversion de votre vie soutenue dans la prière.

Le Seigneur nous dit : « Aujourd’hui je vous donne le choix entre la bénédiction et la malédiction. » La bénédiction c’est de recevoir les commandements de Dieu et de les mettre en pratique. Une fois encore entendez l’appel du Christ : Voulez-vous fonder votre maison sur le roc ou sur le sable ?

+ André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris

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