Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe pour les 100 ans de la paroisse St Hippolyte
Dimanche 2 mai 2010 - Saint-Hippolyte (Paris XIII)
Qu’apporte de nouveau le christianisme en ces temps ? La capacité à intégrer des peuples de toutes races et langues, et le signe que l’amour seul transforme le monde.
– Ac 14, 21b-27 ; Ps 144, 8-13 ; Ap 21 , 1-5a ; Jn 13, 31-33a.34-35
« Voici que je fais toute chose nouvelle » (Ap 21, 5)
Frères et sœurs,
Qu’il y a-t-il de nouveau ici depuis cent ans ? Si quelqu’un qui a connu la rue des Malmaisons au début du XXe siècle était projeté aujourd’hui dans ce quartier de la Porte de Choisy, que découvrirait-il ? Le reconnaîtrait-il ou aurait-il l’impression d’avoir été transporté dans un autre monde, où les tours succèdent aux tours et où les populations venant de toute la terre se brassent en un peuple bigarré dans lequel les cultures s’additionnent, se rencontrent parfois et s’enrichissent si possible les unes les autres ? Est-ce la nouvelle Jérusalem descendue d’auprès Dieu dont nous parlait le livre de l’Apocalypse ? Est-ce le monde nouveau dans lequel il n’y aura plus ni souffrance, ni mort, ni larme ?
Nous savons que ce n’est pas cela. Même si ce monde est neuf (encore pour quelque temps car il vieillit très vite), il n’a pas expulsé de sa chair la souffrance, la mort et les larmes. La nouveauté n’a pas pu empêcher que ceux qui ont été arrachés à leur pays, à leur famille, à leur culture, se trouvent sur une terre étrangère. Elle n’empêche pas que certains de ceux qui avaient espéré vivre un amour fort et durable sont parfois séparés et constitués en ennemi l’un de l’autre. Elle n’empêche pas que les nouvelles générations cherchent sans toujours les trouver les moyens de vivre heureux.
Mais alors qu’apporte de nouveau notre vieille église au milieu de ce quartier qui était hier encore futuriste et qui devient aujourd’hui un peu plus banal ? Et nous, qu’apportons-nous de nouveau et comment réalisons-nous ces paroles du Christ : « voici que je fais toute chose nouvelle » (Ap 21, 5) ? La parole de Dieu que nous venons d’entendre propose deux motifs d’espérance qui peuvent nous aider à mieux comprendre quelle est la nouveauté que l’Evangile apporte.
« Dieu ouvre aux païens la porte de la foi » (Ac 14, 27)
La première de ces promesses est la constatation faite par Paul et Barnabé : à mesure que « l’équipe missionnaire » de la première Église apostolique parcoure le bassin méditerranéen à la rencontre de ceux qui ont adhéré à la fois au Christ, celle-ci constate avec émerveillement que Dieu a ouvert aux nations païennes la porte de la foi, et fait monter vers Dieu son action de grâce. Ils découvrent que l’événement de la mort et de la Résurrection de Jésus qui s’est déroulé au cœur de Jérusalem et dans le milieu du Peuple juif, est passé brusquement à une dimension universelle par la puissance de l’Esprit-Saint. A partir de la Pentecôte et du don de l’Esprit du Christ ressuscité, les croyants n’adorent plus en un lieu particulier, mais partout et « en esprit et en vérité » (Jn 4, 23). La venue de Jésus en notre chair, l’annonce en Galilée de la Bonne Nouvelle, les miracles qu’il a accomplis et les signes qu’il a donnés, deviennent des évènements sauveurs pour tous les hommes.
Dès lors, aucune nation, aucun pays ou aucune culture ne peut s’approprier le don du Christ. Dieu n’est pas européen, ni africain, ni asiatique. Il est Père pour toute l’humanité. L’Evangile ne peut être enfermé dans une culture. Tous les hommes sont destinataires de droit de la Bonne Nouvelle de l’Alliance. Ils sont tous créés par Dieu pour devenir ses partenaires. C’est pour cette raison que nos lointains ancêtres, barbares des forêts de la Gaulle et barbares saxons, ont reçu la bonne nouvelle du Salut et sont devenus chrétiens. C’est par la même puissance universelle de l’Esprit que toutes les nations que vous représentez ici ont reçu l’Evangile non pas comme la religion des européens, mais comme la Bonne Nouvelle du Christ destinée à tous les hommes. Comme les apôtres, nous sommes aujourd’hui témoins émerveillés de cette puissance universelle de l’Evangile et de sa fécondité à travers le monde et dans le cœur des hommes. Sans l’apport de tous les peuples que vous représentez, nous ne serions ici qu’un petit club « européo-chrétien » essayant d’entretenir la flamme en soufflant sur les braises !
Nous sommes aussi invités à devenir les acteurs de la fécondité de l’Evangile, à ouvrir au Nom de Dieu la porte de la foi à tous les hommes, non pas seulement aux gens qui s’y attendent et qui pensent y avoir droit, mais à tous ceux qui peuvent devenir les héritiers de cette Bonne Nouvelle : à tout homme et à toute femme qui espère quelque chose de la vie, de la grâce et de la force de Dieu. Eux aussi, une fois franchies les portes de la foi (les portes de l’Église) ne sont plus des païens ou des étrangers mais sont devenus citoyens et citoyennes de la Cité de Dieu, membres de plein droit du Corps du Christ (Ep 2).
Voici la nouveauté que nous apportons dans ce monde ! Alors que beaucoup de nos contemporains s’inquiètent pour savoir comment ils vont empêcher les autres d’entrer ou comment ils vont les faire sortir, nous ne sommes pas dans cette perspective de la chasse à l’étranger, ou du refus de celui qui est différent. Nous voulons entrer dans la dynamique de l’ouverture universelle de la Bonne Nouvelle à quiconque accepte de la recevoir. Nous ne sommes pas agressés par la différence, mais stimulés pour découvrir que l’Evangile du Christ ne se laisse enfermer dans aucune culture, mais construit une nouvelle culture dans laquelle chacune de nos cultures est accueillie et transformée. Nous ne nous approprions pas l’Evangile, mais nous laissons approprier par lui.
« Ils reconnaîtront que vous êtes mes disciples à l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13, 34-35)
La deuxième nouveauté que nous sommes invités à apporter en ces lieux et à mettre en œuvre est le commandement de l’amour : « Je vous donne un commandement nouveau, nous dit Jésus, aimez-vous les uns les autres. A ceci tous vous reconnaitront pour mes disciples, à l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13, 34-35). Nous pouvons avoir beaucoup d’idées, de projets et d’espérance pour améliorer les conditions de vie des hommes et des femmes de ce temps. Mais nous devons comprendre que la transformation du monde passe d’abord par l’amour vécu, proposé et accueilli. C’est parce qu’il y a en notre monde des communautés capables de mettre en œuvre ce commandement du Christ que la puissance de l’amour devient crédible. Comment pourrions-nous convaincre nos contemporains de la capacité de transformation du monde qu’apporte l’amour, si nous ne sommes pas capables de mettre en œuvre entre nous les conditions concrètes de cet amour, si nous ne savons pas nous accueillir les uns les autres, être attentifs aux besoins les uns des autres et nous déranger pour que notre communauté soit vivante et aimante ?
Quand j’ai invité le diocèse de Paris à ce programme de trois ans de « Paroisses en Mission », j’ai surtout souhaité que chaque assemblée dominicale fasse le travail nécessaire pour mesurer comment l’amour prend chair dans notre vie communautaire. Nous sommes constitués autour de la puissance de l’amour du Christ, livré en nourriture dans sa Parole et dans son Corps. Pouvons-nous vraiment nous réclamer de l’amour du Christ si nous venons assister à la messe dans l’indifférence les uns pour les autres ? Et pour donner le signe que l’amour est digne de foi, nous devons devenir témoins de cet amour qui transforme l’indifférence qui règne souvent dans les immeubles et les lieux dans lesquels nous vivons.
Chacun de nous est engagé dans ce chemin de mise en pratique du commandement nouveau depuis son baptême. Génération après génération, nous mettons nos forces en commun. Mais rien n’est jamais définitivement acquis. Les différentes époques de l’histoire de la paroisse Saint Hippolyte que nous avons évoquées tout à l’heure sont autant de motifs d’enseignement et d’action de grâce. Mais elles ne sont pas des modèles que nous devrions reproduire aujourd’hui. Elles sont autant de stimulation pour que nous fassions aujourd’hui le travail que les générations de nos prédécesseurs ont fait à leur manière il y a cinquante ou cent ans. Elles nous disent : « ce que vos pères ont fait dans ce quartier, vous pouvez le faire. » Nous pouvons nous inspirer du dynamisme de leur volonté missionnaire pour découvrir ce que nous-mêmes nous pouvons faire. Ce travail de réflexion et de discernement de ce qui nous est demandé n’est pas simplement l’œuvre d’un petit noyau autour du curé et des prêtres. C’est la mission de toute la communauté. C’est pourquoi j’ai souhaité qu’à travers les assemblées paroissiales, l’assemblée eucharistique toute entière soit provoquée. Je sais bien que tout le monde ne peut pas tout faire et n’a pas la liberté de tout entreprendre. Mais il est bon que tous portent quelque chose du dynamisme de la mission, qu’il y participe au moins de façon symbolique en donnant son point de vue, en apportant le témoignage de ce qu’il vit dans son travail, son quartier, ses relations ou ses loisirs, et en devenant à sa place, selon ses possibilités, un acteur de la mise en pratique du commandement de l’amour.
Frères et sœurs, que ce modeste bâtiment, qui peut paraître si petit en comparaison des tours qui l’entourent, soit le creuset d’une nouvelle manière de vivre qui touche l’ensemble de ce quartier. Qu’il soit le foyer ardent d’un amour partagé, pour que les hommes et les femmes qui vivent ici, venant de toutes les parties du monde, découvrent en nous voyant vivre que l’amour est possible et change le monde. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris.