Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – Messe du 5ème dimanche de Carême – Année A
Dimanche 10 avril 2011 - Cathédrale Notre-Dame de Paris
La mort de Lazare prépare l’offrande de Jésus et l’acceptation de sa mort. Sa sortie du tombeau manifeste que Jésus est Dieu qui nous donne la vie de Dieu.
– Ez 37, 12-14 ; Ps 129, 1-8 ; Rm 8, 8-11 ; Jn 11, 1-45
Frères et Sœurs,
Le parcours de ces trois dimanches de Carême nous conduit ainsi à mieux découvrir la figure du Sauveur. A la femme de Samarie, Jésus s’est révélé comme le Messie de Dieu et celui qui pouvait donner l’eau-vive. Aux habitants de son village, il s’est manifesté comme le Sauveur du monde. A l’aveugle-né, Jésus a montré qu’il est la Lumière du monde. Il s’est présenté comme le Fils de l’homme pour que celui à qui il avait rendu la vue puisse croire en lui. Aujourd’hui, dans cette scène de la résurrection de Lazare, Jésus se manifeste comme celui qui est la Résurrection et la vie. Il se révèle Fils de Dieu auprès de ses disciples, de Marthe et de Marie, et des nombreux juifs venus les entourer de leur affection.
En faisant sortir Lazare vivant du tombeau, Jésus accomplit la prophétie d’Ezéquiel que nous avons entendue : « J’ouvrirai vos tombeaux et vous en ferai sortir, et vous saurez que je suis le Seigneur. … Je mettrai en vous mon Esprit et vous vivrez, je l’ai dit et je le ferai » (Ez 37, 12-14). Il réalise ce qui est l’œuvre propre de Dieu : donner la vie à l’humanité. Mais en entendant les dialogues de Jésus avec ses disciples puis avec Marthe et avec Marie, nous pouvons comprendre que cette vie que le Christ va rendre à Lazare est une victoire sur la mort, certes, mais pas à la manière dont nous l’imaginons.
Comme Marthe et comme Marie, nous pensons que si le Christ est vraiment maître de la vie et de la mort, il devait d’abord empêcher Lazare de mourir. Mais le début de ce chapitre de l’Évangile, souligne que Jésus laisse délibérément Lazare mourir de sa maladie. Il s’abstient de répondre tout de suite à l’appel au secours de Marthe et de Marie et dit même explicitement aux disciples : « Lazare est mort » (Jn 11, 14). Il nous est difficile de comprendre cette manière d’agir du Christ et de ne pas porter nous aussi le reproche formulé par Marthe puis par Marie : « Seigneur, si tu avais été là mon frère ne serait pas mort » (Jn 11, 21 puis 32), c’est-à-dire : « Seigneur, si tu es vraiment le Fils de Dieu et le maître de la vie et de la mort, alors empêche-nous de mourir ! »
Mais cette interrogation nous prépare à entendre les invectives lancées à Jésus lors de la crucifixion de Jésus telles que nous le rapporte la Passion de saint Matthieu que nous entendrons dimanche prochain : « Si tu es vraiment le Fils de Dieu, descends de la croix. » ; « Il a mis sa confiance en Dieu, que Dieu le délivre » (Mt 27, 40 et 43).
La manière dont Jésus réagit à l’annonce de la mort de Lazare correspond à celle dont il va assumer la condamnation qui sera portée contre lui : Jésus n’essaye pas d’échapper à la mort, mais il sait que celle-ci va contribuer à la gloire de Dieu. L’acceptation de la mort de Lazare le prépare à accepter sa propre passion lors de l’agonie à Gethsémani. En disant : « Seigneur, que cette coupe passe loin de moi. Cependant non pas ce que je veux mais ce que tu veux » (Mt 26, 39), Jésus s’en remet totalement dans l’obéissance à la volonté du Père et ne cherche pas à y échapper, car il sait que Dieu ne l’abandonnera pas. De même, il croit que la mort de Lazare n’est pas un accident insignifiant mais un événement que va contribuer à manifester la gloire de Dieu : « Cette maladie, dit-il, ne conduit pas à la mort mais elle est pour la gloire de Dieu afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié » (Jn 11,4).
La résurrection de Lazare telle que Jésus l’accomplit n’est donc pas la promesse que nous échapperons à la mort. Elle nous révèle que ceux qui croient en Jésus ne mourront jamais. Certes, notre vie biologique s’arrêtera un jour, mais la vie que Dieu a déposée en nous par le don de l’Esprit, ne s’éteindra pas, même au-delà et « à travers » notre mort. Ceux qui croient au Christ n’échappent pas à la condition humaine, mais reçoivent quelque chose d’un autre ordre. Nous ne sommes pas seulement héritiers de la destinée dramatique de la condition humaine. Nous sommes le Peuple choisi, appelé et consacré par Dieu pour vivre pour toujours en Lui, par delà le tombeau. De même, la prophétie d’Ezéquiel n’est pas la promesse que le Peuple échappera au malheur. C’est la promesse d’une restauration, d’une résurrection, d’une nouvelle vie reçue de la puissance de Dieu.
Ainsi, la résurrection de Lazare est plus qu’un signal qui manifeste que Jésus est le Messie. C’est la manifestation ultime de ce que Jésus est l’envoyé de Dieu, le Messie promis à Israël, le Fils de Dieu lui-même, celui qui est la résurrection et vie pour tous ceux qui croient en Lui. C’est bien le sens de la prière de Jésus : « Je te rends grâce parce que tu m’as exaucé, je savais bien moi que tu m’exauces toujours. Mais si j’ai parlé c’est pour cette foule qui est autour de moi, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé » (Jn 11, 42).
Ce signe majeur donné dans les environs proches de Jérusalem provoque simultanément la décision de tuer Jésus de la part de ses opposants. Tant qu’il s’agissait de discours ou de signes interprétables de différentes manières, on pouvait laisser dire. Mais si Jésus se révèle bien comme celui qui est maître de la vie et de la mort, celui que Dieu a envoyé (selon la promesse d’Ezéquiel) pour ouvrir les tombeaux et rendre la vie au Peuple, alors il n’y a plus de transigeance possible. A partir de cet événement déterminant, beaucoup de juifs, parmi ceux qui étaient venus de Jérusalem crurent en lui et dans le même moment, les responsables du Temple et les chefs du peuple, vont s’alarmer et décider de le supprimer.
Méditer sur cet évangile nous confronte à la perspective de notre propre expérience de la mort, et à notre refus de la mort. Comme les disciples, comme Marthe et comme Marie, nous espérons toujours que la mort ne nous prendra pas, ou plus tard. Et, même pour beaucoup de chrétiens, croire au Christ ressuscité devrait nous permettre d’échapper à la mort. Le Christ nous révèle plutôt que cette mort, dont nous faisons l’expérience autour de nous, puis un jour pour nous-mêmes, n’est pas la fin de tout. La promesse du Messie n’est pas de nous éviter la mort, mais c’est de nous faire vivre par delà la mort, de la vie éternelle dont nous parle l’Evangile. Vivants de cette vie que nous connaissons, ou morts à cette vie qui est aujourd’hui la nôtre, nous sommes entraînés par Dieu dans une vie qui échappe aux limites de notre existence biologique. Cette vie est reçue de Dieu par le baptême, nourrie par l’eucharistie, et développée par notre engagement régulier dans la communion au Christ. Elle se déploie tout au long de notre existence et encore après notre mort. Au-delà de l’événement de notre mort, nous avons l’espérance que nous demeurons les bien-aimés de Dieu et que nous vivrons en Lui. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris