Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe en union de prière avec tous les témoins de la foi d’aujourd’hui à l’occasion de la journée de « La Palme de la Liberté » organisée par l’AED (Aide à l’Église en Détresse).

Mercredi 4 mai 2011 - Cathédrale Notre-Dame de Paris

La persécution dont le Christ, comme les chrétiens, sont victimes vient particulièrement de ce que la lumière de l’Evangile est un jugement sur les œuvres des hommes. Mais dès lors, la liberté religieuse et la liberté de conscience ne sont pas seulement des droits civils à préserver, mais aussi la condition même de l’adhésion des libertés humaines à la personne du Christ.

 Ac 5, 17-26 ; Ps 33, 2-9 ; Jn 3, 16-21

Frères et Sœurs,

Depuis le début de l’histoire de l’Église, les disciples du Seigneur ont eu à supporter, non seulement l’incompréhension, mais encore l’hostilité et la persécution. Cette tension, que nous avons beaucoup de mal à comprendre, reflète celle qui traverse toute la vie de Jésus et aboutit à sa crucifixion. Il y a comme un mystère du refus que l’on ne peut pas expliquer en invoquant un choc de culture, comme on le fait trop facilement et trop fréquemment. Il ne s’agit pas non plus d’une incompréhension de la révélation judéo-chrétienne qui serait tellement plus énigmatique que d’autres traditions religieuses. Ce mystère du refus vient de ce que la rencontre de l’homme avec Jésus-Christ est toujours un jugement. Dans ce face-à-face se dévoilent la profondeur et l’orientation de la liberté humaine, dont les mécanismes les plus cachés sont mis à jour. Il manifeste que l’homme doit parcourir un chemin de conversion pour atteindre la plénitude de sa vocation humaine. L’éclairage que projette la révélation sur l’aventure de la liberté humaine n’est pas facile à supporter et il est plus tentant et moins spontané de le rejeter que de l’accueillir.

Ainsi, dans l’évangile de saint Jean que nous venons d’entendre, Jésus rappelle le paradoxe auquel seront confrontés tous ses disciples : il apporte au monde la Bonne Nouvelle de la réconciliation et de la paix (comme l’Église, qui est chargée d’annoncer la bonne nouvelle du Salut à tous les peuples), mais cette annonce, au lieu d’être accueillie avec joie et délivrance, est souvent méconnue ou rejetée. Elle n’est pas refusée parce que son contenu serait mauvais ou la sagesse qu’elle propose insignifiante, mais parce que la lumière qu’elle projette sur nos œuvres entre en contradiction avec ce que nous vivons. « Les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Tout homme qui fait le mal, déteste la lumière. » (Jn 3, 19-20) Cette déclaration de Jésus éclaire le récit des commencements de l’Église et des premières persécutions auxquelles sont soumis les disciples, que rapporte les actes des apôtres.

Ce jugement des paroles du Christ sur la liberté humaine peut concerner chaque individu, chacun de nous voit la profondeur de son cœur mis à jour par l’Évangile. Mais il concerne aussi les civilisations et les peuples tout entiers, qui parfois ne peuvent supporter que la lumière de l’Évangile dévoile les ressorts de leur fonctionnement et au milieu desquels on cherche à écarter ou faire taire les disciples du Christ. Mais puisqu’il s’agit d’une opposition entre la lumière de l’Évangile et la liberté humaine, cette tension ne pourra jamais être tout à fait résolue par un procès devant la justice des hommes. Seule la puissance de Dieu lui-même peut apporter la libération, comme nous l’entendons dans le récit des Actes des apôtres. Dieu a arraché les disciples à leur prison et leur a permis de retourner dans le Temple pour qu’ils annoncent la Bonne nouvelle.

Mais surtout, nous saisissons mieux que l’exigence de la liberté religieuse et de la liberté de conscience n’est pas une simple revendication de telle ou telle religion, dans le jeu des pouvoirs et des forces en présence. Parce qu’elle permet à la liberté humaine d’advenir à elle-même, la liberté de conscience est un élément constitutif de la dignité de la personne humaine et la condition pour qu’elle puisse reconnaître la lumière du Christ. L’homme vient à la lumière dans la mesure où il agit selon la vérité. Il peut accueillir la lumière dans la mesure où les institutions dans lesquelles il est impliqué, les pays dans lesquels il vit et la législation qui gouverne son existence, laissent exister réellement sa liberté pour qu’il puisse agir selon la vérité. Dans la mesure où chaque personne humaine est respectée dans le choix de sa conscience, elle a une chance de s’approcher de la vérité et de reconnaître le Christ comme la lumière qui éclaire le monde.

« Bienheureux les persécutés pour la justice car le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5, 10). La promesse que Jésus a faite à ses disciples sur la montagne est aussi la source de l’espérance qui nous habite et de notre conviction que les entraves dans notre vie de foi et notre religion ne pourront jamais arrêter la puissance de l’Évangile. Nous sommes sûrs que l’Esprit de Dieu habite le cœur des hommes et peut conduire leur liberté à pratiquer la vérité pour parvenir à la lumière. C’est ce qui nous encourage à soutenir toutes celles et tous ceux qui essayent de vivre selon la liberté de leur conscience et la fidélité au sens du bien et du mal qui habitent leur cœur. Nous ne militons pas pour que l’homme soit libre parce que nous serions devenus « libéraux » mais parce que nous pensons que seule la liberté peut conduire au Christ. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris

Homélies

Homélies