Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – Quatrième dimanche de Pâques – Année A
Dimanche 15 mai 2011 – Paroisse du Bon Pasteur (Paris XI)
Les évêques et les prêtres sont appelés par le Christ pour servir leurs frères. Dans l’offrande qu’ils font de leur vie, ils garantissent que l’Eglise est bien conduite par le Christ l’unique Bon Pasteur.
– Ac 2, 14a.36-41 ; Ps 22, 1-6 ; 1 P 2, 20b-25 ; Jn 10, 1-10
Frères et Sœurs,
La question que les pharisiens n’osent pas poser à Jésus dans ce passage de l’Evangile que nous venons d’entendre, mais qui traverse tout le ministère public de Jésus est celle de sa légitimité : « De quel droit, au nom de qui fais-tu cela ? Par quelle autorité guéris-tu et parles-tu ? A quel titre te mets-tu en opposition avec les usages et les coutumes de ceux qui t’entourent ? ». La parabole de la porte de la bergerie est donnée par Jésus pour répondre à ces questions et expliquer comment il a toute légitimité pour conduire le peuple, pour annoncer la Bonne Nouvelle de la « vie donnée en abondance » (Jn 10, 10), pour inviter le peuple à la conversion et le conduire vers les bons pâturages où il pourra se nourrir.
Cette question de la légitimité sera posée avec plus d’exigence encore à propos de ceux qui suivront Jésus et parleront en son nom. Ainsi, comme nous l’avons entendu dans la lecture du livre des actes des apôtres, Pierre s’adresse au peuple présent à Jérusalem pour la fête de la Pentecôte. Il lui fait le récit des événements qui sont arrivés. En l’écoutant, tous ont « le cœur transpercé », et demandent « Frères, que devons-nous faire ? » (Ac 2, 37). Pierre répond : « Convertissez-vous et faites-vous baptiser pour être délivrés de vos péchés » (Ac 2, 38). Quelle est donc la légitimité de Pierre pour tenir un tel discours ? Et de même, à quel titre parlera Paul lorsqu’il parcourra tout le bassin méditerranéen ? Et quelle est la l’autorité de tous ceux qui, à travers les siècles, poursuivent l’œuvre de l’annonce de l’Evangile ?
Ce ne sont pas là des questions théoriques. Elles concernent le cœur de notre expérience chrétienne : comment sommes nous assurés que ce que nous vivons et construisons en Eglise est vraiment l’accomplissement de la volonté de Dieu ? Ou bien sommes-nous chrétiens pour des raisons historiques ou géographiques, parce que nous adhérons à la religion la plus répandue là où nous nous trouvons ? On nous parle d’ailleurs aujourd’hui du supermarché du spirituel, dans lequel les gens piochent ce qui les intéresse dans les différentes religions pour obtenir la « mayonnaise » qui leur convient. Beaucoup de nos contemporains ne croient pas qu’une religion soit plus recommandable ou légitime que les autres et entrent, sans malice d’ailleurs, dans ce genre de construction.
Marcher sous la conduite d’un pasteur, ce n’est pas faire ce genre de bricolage religieux. Mais, sans empêcher les autres religions d’exister, comment pouvons-nous avoir une conscience claire que le Christ est la porte par laquelle il faut passer pour accéder aux verts pâturages de l’existence ? Et même si Jésus lui-même peut avoir une réelle légitimité, nous voyons bien qu’il n’est pas évident que l’Eglise qu’il a instituée, puisse la posséder à son tour. Dès lors, allons-nous nous diriger vers la proposition la plus chaleureuse, la plus forte, la plus médiatique ou la plus amusante ? Cherchons-nous qui suivre en surfant sur le net, par liens successifs, à la recherche de blogs de personnes plus ou moins édifiantes qui nous disent ce qu’il faut croire ? Nous savons que beaucoup sont prêts à se laisser embarquer parce qu’ils ont trouvé dans un livre ou un site une personne qui leur donne la vérité de manière percutante. Mais s’attacher à la vérité en soumettant son intelligence à une personne, c’est le propre des dérives sectaires. C’est ce qui peut se passer, même dans le christianisme, quand on s’attache au charisme exceptionnel de ceux qui parlent, plus qu’à la vérité du Christ.
La mission pastorale des apôtres et de leurs successeurs permet justement d’éviter ces différents risques. Il y a une référence unique : c’est le Christ. Et cette référence au Christ est garantie dans la mission de l’Eglise, à travers la charge pastorale que reçoivent les évêques et les prêtres leurs collaborateurs. Les uns et les autres n’ont pas hérité de cette tâche par les hasards de la distribution des rôles, ni même seulement en raison des compétences qu’ils ont acquises par leur formation ou leur éducation, ou encore comme un métier pour lequel ils se seraient présentés. Ils reçoivent ce ministère en répondant à un appel du Christ à tout quitter pour se mettre au service de leurs frères. Cette alliance qui les engage pour la vie manifeste l’absolu de l’amour de Dieu, et garantit que notre assemblée dominicale n’est pas la perpétuation d’une vieille habitude, mais un acte de Dieu qui nous rassemble autour de sa Parole et dans la présence sacramentelle du Christ.
Jésus a transmis à ses disciples la capacité de le rendre présent : « Vous ferez cela en mémoire de moi ». Il offre ainsi à tout homme la possibilité d’entrer dans une communion étroite avec lui, en le recevant comme une nourriture et une boisson. Lorsque vous direz « Amen » (c’est-à-dire « Oui, je crois ») tout à l’heure en venant recevoir le Corps du Christ, vous ne le ferez pas pour me faire plaisir. Vous manifesterez votre confiance en cette légitimité sacramentelle, qui donne à celui qui été ordonné de pouvoir vous mettre en communion avec le Christ, et de nourrir cette communion par les sacrements. Les évêques, les prêtres et les diacres sont choisis pour annoncer la bonne nouvelle du Salut et permettre que la vie et l’action de la communauté soient éclairées par l’Evangile. Ainsi, l’Eglise n’est pas une association de bienfaisance parmi d’autres mais une communauté de foi, capable de proposer à notre société une parole qui vient d’ailleurs et dit quelque chose de nouveau.
C’est pourquoi, l’Eglise doit sans cesse appeler des hommes à exercer ce ministère. Faire l’offrande de sa vie dans le sacerdoce n’est pas plus extraordinaire que de donner sa vie pour toujours pour son conjoint ou pour sa famille. Mais en appelant certains à recevoir le sacrement de l’ordre par l’imposition des mains et le don de l’Esprit, l’Eglise les institue comme témoins et garants de l’alliance de Dieu avec son peuple et de la vérité du chemin dans lequel les disciples du Seigneur peuvent avancer.
En ce dimanche du bon Pasteur, je vous invite à avoir une pensée pour ceux qui dans notre diocèse se préparent pour devenir prêtres, mais également pour ceux que cette question a touchés et qui n’ont pas encore répondu, parce qu’ils ne sont pas encore prêts ou parce qu’ils ont d’abord quelque chose à finir. Ces jeunes existent. Prions pour qu’ils soient réellement libres de répondre.
Frères et sœurs, que le Seigneur fortifie en nous cette assurance d’être entrés par la porte et d’être conduits par le Bon Pasteur vers les pâturages nourrissants. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris.