Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Sixième Dimanche de Pâques – Année A
Dimanche 29 mai 2011 - Cathédrale Notre-Dame de Paris
Avant son Ascension, Jésus prépare ses disciples au don de l’Esprit qui leur donnera de vivre dans le régime de la foi. L’Esprit Saint est insaisissable mais manifeste se présence à travers les fruits de fidélité et de don de soi qu’il produit en nos vies.
(Ac 8, 5-8.14-17 ; Ps 65, 1-7.16.20 ; 1 P 3, 15-18 ; Jn 14, 15-21)
Frères et Sœurs,
Tout au long du temps pascal, durant les sept semaines qui s’étendent de Pâques et la Pentecôte, les évangiles des dimanches nous associent à l’expérience des disciples de Jésus. Dans un premier temps, ils ont dû apprendre à le reconnaître quand il leur est apparu ressuscité. Puis, progressivement, Jésus les a préparés à entrer dans la phase suivante, celle où il ne serait plus présent au milieu d’eux de manière visible.
Le passage nous venons d’entendre nous rapporte une promesse que Jésus leur avait faite au moment de sa Passion : « Je prierai le Père. Il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous. Je ne vous laisserai pas orphelins » (Jn 14, 16 et 18). Pendant le temps de sa présence « en chair et en os » parmi eux, Jésus était leur défenseur. Mais à présent il leur annonce qu’il va retourner auprès du Père, et ils peuvent éprouver l’abandon et se demander qui assurera la défense de ce tout petit groupe qui constitue l’Église naissante. Que pèsent en effet ces quelques dizaines de personnes groupées autour des disciples en regard de l’Empire Romain, du Royaume de Judée ou même de la province de Galilée ? C’est pourquoi Jésus leur promet le défenseur, qui sera « pour toujours » avec eux (Jn 14, 16).
La promesse de don de « l’Esprit de vérité » (Jn 14, 17) est aussi une annonce du régime de la foi dans lequel nous devons vivre notre lien au Christ. Car nous croyons que Dieu est présent de manière constante et multiforme dans l’histoire des hommes, dans la vie de son Église et dans chacune de nos existences, et nous savons aussi, que dans une certaine mesure, il n’y a rien à voir. Mais la foi est bien « la possession des biens que l’on ne voit pas » (He 11, 1). Dès lors, si l’on a pu dire parfois que le Saint Esprit était le grand oublié de la foi chrétienne (ou de la tradition catholique occidentale), ce n’est pas en raison d’une occultation coupable de la part des théologiens d’occident. Le Saint-Esprit est peu connu parce que par définition, sa présence est comme insaisissable en notre histoire. La vie de Jésus est une histoire, celle d’un homme, avec des évènements et des personnages. De même, l’Alliance de Dieu avec Israël est également déployée dans l’histoire depuis les origines. Mais l’Esprit Saint est l’insaisissable, celui dont « on ne sait ni d’où il vient ni où il va » (Jn 3, 8).
Dans l’Evangile, les trois mentions d’un intervention de l’Esprit-Saint soulignent ce caractère insaisissable de l’Esprit : au baptême de Jésus, il apparait « sous la forme d’une colombe » (Lc 3, 22) ; après la résurrection, quand Jésus se manifeste à ses disciples, il souffle sur eux et leur dit : « recevez l’Esprit-Saint » (Jn 20, 22) ; enfin, à la Pentecôte, les disciples rassemblés dans la chambre haute, voient « comme des flammes » (Ac 2, 2) reposer sur chacun d’entre eux. Un souffle, une flamme, la forme d’une colombe, tout ceci est insaisissable et presque invisible.
Mais alors, comment connaissons-nous cet Esprit qui est la présence de Dieu dans l’histoire des hommes, dans la vie de l’Église et dans chacune de nos existences ? Jésus dit aux disciples : « Vous le connaissez, parce qu’il demeure auprès de vous et qu’il est en vous » (Jn 14, 17-18). Nous connaissons l’Esprit à ce qu’il produit en nos vies. Vous connaissez ce raccourci que saint Paul utilise dans l’épître aux Romains pour dire le drame de la liberté humaine. Il parle des deux hommes qui sont en lui : l’un veut le bien et ne le fait pas ; et l’autre veut rejeter le mal et l’accomplit pourtant (Rm 7, 14-25). Mais c’est parce que la personne humaine est habitée par des forces et des désirs contradictoires que nous pouvons expérimenter le dynamisme de l’Esprit Saint. Il est celui qui nous porte à vivre selon la volonté de Dieu, tandis que l’esprit mauvais cherche à nous détourner du service de Dieu et de nos frères. Nous reconnaissons que l’Esprit Saint est présent et agissant dans notre vie à ce que nous restons fidèles et mettons en pratique les commandements de Dieu.
Aujourd’hui comme hier, être fidèle aux commandements de Dieu et au commandement nouveau du Christ (« Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé » Jn13, 34), se mettre résolument au service de ses frères, c’est adopter un comportement qui tranche. Décider de vivre dans la vérité et la fidélité à la parole donnée, choisir de servir plutôt que d’être servis, c’est se démarquer d’un monde où beaucoup trouvent normal de cacher la vérité, de mépriser la fidélité et de chercher à profiter des autres. Mais si nous sommes habités par l’Esprit de Dieu et si nous nous laissons conduire par lui, nous sommes entraînés dans le chemin du don de nous-mêmes, de la foi, de la confiance et de l’espérance. Et ceux qui nous voient vivre pourront peut-être se demander d’où viennent ces fruits que l’Esprit produit en nos vies, malgré nos faiblesses et malgré notre égoïsme. Et nous devons, à l’invitation de l’apôtre Pierre, nous tenir « prêts à nous expliquer devant tous ceux qui nous demandent de rendre compte de l’espérance qui est en nous » (1 P 3, 5). L’Esprit nous transforme et nous rend capable d’aimer. Il produit en nos cœurs des fruits d’honnêteté et de justice. Il constitue l’Eglise du Christ comme servante des pauvres et témoin de la foi à travers le monde.
Frères et sœurs, en ces jours où nous nous préparons à célébrer la Pentecôte, invoquons le Défenseur que le Christ nous a promis. Appelons de tout notre cœur, l’Esprit de vérité qui nous fait revivre, l’Esprit d’amour qui nous donne de nous mettre au service de nos frères, l’Esprit de foi qui nous permet d’être fidèles aux commandements de Dieu, l’Esprit d’espérance qui nous permet d’affronter avec douceur et respect les péripéties de notre vie, les accidents, les injustices ou les violences. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.