Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Ordinations sacerdotales 2011

Cathédrale Notre-Dame de Paris - samedi 25 juin 2011

Samedi 25 juin, le cardinal André Vingt-Trois a ordonné 4 prêtres pour le diocèse de Paris : Alexandre Comte, Derek Friedle, Bernard Miclescu et Gustave Lusasi Tampiku. Une foule nombreuse était rassemblée dont des centaines de servants de messe et des centaines de jeunes qui partiront aux JMJ en août 2011. A la fin de la célébration, le cardinal Vingt-Trois les a bénis et exhortés à préparer leur cœur pendant les semaines à venir.

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Ac 12, 1-11 ; Ps 33, 2-9 ; Tm 4, 6-8.16-18 ; Mt 16, 13-25

Alexandre, Bernard, Derek et Gustave,

De par vos pays d’origine, c’est un peu un microcosme que vous nous donnez à voir aujourd’hui, de l’Afrique à la Roumanie, à l’Allemagne et à la Franche-Comté. Nous portons évidemment dans notre prière vos pays et vos régions d’origine ; et chacune de vos familles qui vous ont accompagnés du mieux qu’elles ont pu jusqu’à ce jour et je les en remercie très vivement. Nous pensons particulièrement à la famille de Gustave qui n’a pas pu avoir son visa pour se joindre à nous. Grâce à vous, notre presbyterium s’enrichit et s’ouvre aux dimensions du monde. Nous en sommes très heureux et d’autant plus heureux que votre engagement de ce jour constitue un appel pour les jeunes parisiens et principalement pour ceux qui nous entourent et que je vais envoyer aux J.M.J à la fin de cette messe. C’est à eux d’abord d’accueillir l’appel de Dieu pour se mettre au service de leur Église particulière. C’est à eux de choisir de répondre courageusement à l’appel de Dieu en fonction de la vie et des besoins du diocèse dans lequel ils ont découvert et approfondi leur foi, ce qui nécessite forcément de dépasser leurs préférences ou leurs sensibilités personnelles. Les appels que je leur adresse ne sont pas des appels convenus que l’on peut aligner et comparer avec d’autres propositions comme on compare les avantages et les inconvénients de produits de consommation. L’appel au ministère de prêtre diocésain n’est pas un appel « par défaut » quand toutes les autres hypothèses ont été envisagées.

Depuis le temps des apôtres Pierre et Paul que nous fêtons aujourd’hui, il est une voie royale pour se donner tout entier au service d’une Église réelle et concrète. Le prêtre diocésain voit sa vie structurée et modelée par le Peuple de Dieu au service duquel il est envoyé. Enfanté au ministère par l’Esprit-Saint agissant dans son Église, il atteint la plénitude de son ministère par sa disponibilité totale envers cette Église particulière au service de laquelle il met tout son dynamisme évangélique.

Cette disponibilité totale, vous en avez le témoignage à travers la vie et le ministère des prêtres que vous connaissez. Aujourd’hui, c’est tout le presbyterium parisien qui est largement représenté pour vous imposer les mains et vous accueillir en son sein. Je veux profiter de cette occasion pour saluer tous ces prêtres qui sont mes fidèles collaborateurs et plus particulièrement les prêtres jubilaires. Par ma voix, c’est tout le diocèse qui leur exprime sa reconnaissance et leur présente ses vœux pour cet anniversaire des dix ans, vingt-cinq ans, cinquante ans, soixante ans et soixante-cinq ans de leur ordination. Nous pensons tout particulièrement à nos frères que l’âge ou la maladie empêche d’être avec nous. Cette année, les prêtres jubilaires ont un compagnon de marque en la personne du pape Benoît XVI qui célèbre le soixantième anniversaire de son ordination sacerdotale. À cette occasion, nous sommes heureux de lui exprimer notre affectueux attachement et de participer avec tous les diocèses du monde à l’offrande qui lui est faite en vivant soixante heures d’adoration eucharistique pour les vocations sacerdotales et le ministère des prêtres. Pour le diocèse de Paris, ces soixante heures seront vécues au Sacré-Cœur de Montmartre à partir du 28 juin selon des modalités qui sont déjà annoncées. Alexandre, Bernard, Derek et Gustave, je vous souhaite la bienvenue dans le presbyterium de Paris, un presbyterium vivant et heureux, et je vous y reçois avec une grande joie.

Le chemin dans lequel vous vous êtes engagés depuis plusieurs années, parfois de longues années, est avant tout un chemin de compagnonnage avec le Christ. Comme les douze, il vous a appelés « pour être avec lui » (Mc 3, 14). Comme eux, vous découvrez que votre vie prend sens dans la relation particulière que vous vivez avec le Seigneur. Comme eux, vous êtes les témoins de ce que l’on dit de lui autour de vous. D’après « ce qu’en disent les hommes » (Mt 16, 13), aujourd’hui le Christ est perçu tantôt comme un grand homme, tantôt comme un thaumaturge, ou comme un illusionniste ou comme le personnage attaché au souvenir d’une foi qui s’est dévitalisée et qui incarne une sorte de nostalgie de l’enfance.

Comme chrétiens et comme prêtres, ces différentes approches de la figure du Christ peuvent sans doute nous laisser un sentiment de frustration et de regrets. Nous pouvons être tentés de remettre les choses en place, de faire triompher la vérité que nous connaissons sur le Christ, de surmonter l’ignorance ou l’indifférence par l’abondance de nos enseignements et la virulence de nos discours. Mais regardons plutôt comment Jésus réagit face à ces perceptions trop partielles ou trop floues ou trop trompeuses. Il ne réagit pas en corrigeant les copies erronées ou insuffisantes. Il demande aux Apôtres de réagir en leur posant à eux aussi la même question : « Et vous, que dites-vous, pour vous qui suis-je ? » (Mt 16, 15).

Notre réponse à cette redoutable question, n’est pas, nous le sentons bien, dans la reproduction d’un discours théologique sur le Christ. Elle est dans la profession de foi inspirée à Pierre par Dieu lui-même : « Ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. » (Mt 16, 17). Notre réponse, c’est notre profession de foi au Christ, Messie crucifié et ressuscité, glorifié dans sa Passion et sa résurrection.

Notre profession de foi est souvent balbutiante dans des paroles dont nous mesurons la faiblesse. Elle reste hésitante et doit toujours être ravivée dans notre manière de vivre quotidiennement les exigences de l’Évangile. Elle est modeste devant les témoignages de la foi que vivent tant de fidèles auxquels nous sommes envoyés. Et pourtant, malgré notre faiblesse, malgré nos hésitations, nous tenons fermes à celui qui nous appelle et qui nous consacre dans la vérité pour la vie de son Peuple.

Dans les différentes missions que je vous confie aujourd’hui, vous aurez des tâches à accomplir. Certaines seront exaltantes, d’autres plus ingrates, qu’importe ! Finalement, votre mission principale à travers toutes ces tâches sera de rendre témoignage au Christ, un témoignage de croyant : « Je sais en qui j’ai mis mon espérance, je ne serai pas déçu. » (Is 50, 7).

Ne craignez pas de prendre largement et généreusement les temps nécessaires pour vivre cette communion intime avec le Christ, communion dans la célébration eucharistique, communion dans la méditation régulière de sa parole, communion dans le dialogue intérieur d’un ami avec son ami. N’oubliez jamais les paroles du Christ : « De même que le sarment, s’il ne demeure sur la vigne, ne peut de lui-même produire du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi. Je suis la vigne, vous êtes les sarments : celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là produira du fruit en abondance, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. » (Jn. 15, 4-5).

Au long du chemin où Jésus nous devance et nous conduit, il nous reste à découvrir le véritable visage du Messie. Comme Pierre, chacun de nous porte en lui ses propres représentations du Christ. Comme Pierre, nous sommes sincères quand nous confessons que Jésus est le Messie. Comme lui, nous sommes attachés à celui qui nous appelle et qui nous accompagne. Mais, comme Pierre aussi, nous résistons, plus ou moins consciemment, à l’épreuve finale qui nous dépouille complètement de nos illusions pour entrevoir le véritable visage du Messie crucifié.

Comme Pierre, nous avons sans cesse besoin de nous convertir pour ajuster nos vues aux vues de Dieu. Nous sommes au service de la foi, mais la foi n’est pas à notre service. Certes, « la victoire qui a vaincu le monde, c’est notre foi » (1 Jn. 5, 4). Mais de quelle victoire s’agit-il ? Il ne s’agit pas pour nous d’enrôler le Christ pour faire triompher nos idées ou nos conceptions du monde. Il s’agit d’être les témoins d’un Royaume qui n’est pas de ce monde, témoins de la radicalité à laquelle la liberté humaine est conduite lorsqu’elle se laisse guider par Dieu.

C’est pour cette liberté que nous devons combattre toutes les formes d’aliénation que secrète le monde et qui risquent de nous séduire comme elles séduisent tant d’hommes et de femmes en notre temps. L’aliénation de l’argent qui devient de plus en plus souvent un critère d’évaluation pour mesurer la réussite ou l’échec d’une vie. L’aliénation des pulsions et des désirs particuliers qui revendiquent de plus en plus souvent une légitimation par la loi. L’aliénation du pouvoir qui devient de plus en plus souvent une domination. Par votre genre de vie, vous êtes appelés à témoigner que la vie est plus que les biens. Pauvres, non seulement en argent mais aussi dans votre manière de vivre, vous annoncez que l’être humain est plus que la possession des biens. Chastes, non seulement par le célibat mais aussi par votre respect des autres, vous annoncez que les pulsions ne sont pas la règle d’une vie humaine. Obéissants, non seulement par votre acceptation des ordres de votre hiérarchie mais aussi par votre disponibilité quotidienne aux appels de Dieu, vous annoncez que notre liberté est toujours relative et ne se déploie que dans le don de soi sans retour.

Frères et Sœurs,

Alexandre, Bernard, Derek et Gustave vont être prêtres dans notre diocèse pendant les décennies qui viennent. Au cours de ces décennies, notre Église va être confrontée en France à une profonde mutation commencée il y a plus d’un demi-siècle. Comme nous le dit le Pape Benoît XVI dans son livre d’entretiens (« La lumière du monde »), nous passons d’un christianisme sociologique à un christianisme de choix. Ce passage est exigeant pour tous. Depuis plusieurs décennies mes prédécesseurs et moi-même nous nous sommes employés à préparer le peuple chrétien à cette transformation en développant sans relâche des propositions de formation.

Il y a vingt ans, la fondation de la Fraternité des Prêtres pour la Ville enclenchait un processus de solidarité entre les diocèses d’Ile de France face aux nouveaux défis de l’évangélisation. Avec l’évolution démographique du clergé, nous sommes entrés dans une phase décisive : chaque paroisse de Paris, chaque mouvement, chaque service, voit maintenant le nombre de ses prêtres se réduire. Je ne vous dis pas cela pour vous décourager, au contraire. Depuis plusieurs années, chaque communauté parisienne est appelée à une implication plus directe de ses membres dans l’annonce multiforme de l’Évangile. Nos trois années de « Paroisses en mission » tentent de développer ce dynamisme. Mais loin de nous apprendre à nous passer des prêtres, ce dynamisme appelle une présence plus forte de leur ministère. Nous découvrons que plus les chrétiens sont engagés dans la mission de l’Église, plus ils partagent les tâches quotidiennes de la vie communautaire et plus le ministère des prêtres est nécessaire et central. C’est le dynamisme et la générosité des communautés qui sont le ferment des vocations sacerdotales de demain.

À tous les jeunes qui se préparent à partir à Madrid pour les J.M.J du mois d’août, je veux proposer un marché. Vous allez faire une expérience extraordinaire de fraternité universelle, mais surtout une expérience de la vitalité et de la puissance de l’Évangile, « Enracinés et fondés en Christ, et formés dans la foi », selon le thème des ces journées. Si donc, vous vivez vraiment cette expérience de force et de joie de la foi, alors, avant de revenir ou dès votre retour, demandez-vous : que dois-je faire pour partager ce que j’ai reçu ? Ou plutôt, et vous gagnerez du temps, demandez à Dieu : Seigneur que veux-tu que je fasse ? Et répondez sans crainte à ses appels. Sachez que le diocèse de Paris a besoin d’ouvriers de l’Évangile.

Pour terminer, Frères et Sœurs, Alexandre, Bernard, Derek et Gustave, je veux simplement vous adresser cette parole du Christ : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. » (Jn. 15, 11).

+André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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