Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Fête du Saint Sacrement – Année A

Dimanche 26 juin 2011 – Cathédrale Notre-Dame de Paris

Qui sauvera l’homme de la mort ? Dans l’offrande du Christ sur la croix, Dieu ouvre pour toujours sa vie à l’humanité. Par le pain eucharistique, pain vivant descendu du ciel et corps du Christ, nous communions à son sacrifice de manière non sanglante et recevons la vie éternelle.

 Dt 8, 2-3.14b-16a ; Ps 147, 12-15.19-20 ; 1 Co 10, 16-17 ; Jn 6, 51-58

Frères et sœurs,

Au cours de la traversée du désert vers le pays que Dieu lui a promis, le Peuple d’Israël est confronté à la faim, à la soif, aux piqures de serpent et ultimement à l’épreuve de la mort. Ces épreuves sont autant d’occasions de chercher à comprendre ce que Dieu veut pour lui. Le Peuple sera souvent tenté de reprocher au Seigneur de l’avoir arraché à l’Égypte où, au moins, il avait à manger et à boire. Sur la prière de Moïse, Dieu va donner le pain du Ciel : la manne. Ce pain assurera la subsistance du peuple tout au long de la route de l’Exode. Mais ce pain qui vient de Dieu ne va pas garantir à Israël un rassasiement indéfini. Chaque jour, il ne reçoit que sa ration quotidienne. Il ne peut pas faire de provision, car il doit avoir foi en Dieu, qui seul le nourrit.

Cet épisode de la traversée du désert est une sorte de parabole du déroulement de l’histoire humaine à travers les siècles et du cheminement de chaque chrétien au long de son existence. A travers les temps, l’humanité cherche à s’orienter, souvent dans l’obscurité, sans bien comprendre le but et le terme de toute l’histoire humaine, et sans savoir identifier le dessein que le Seigneur a pour elle. Et de même, chacune et de chacun d’entre nous avance à la suite du Seigneur, jour après jour et année après année, en passant par les épreuves, le doute ou l’inquiétude.

Au fond, la question ultime de chaque vie humaine est une question de foi : Qui peut sauver l’homme ? Qui peut permettre à l’humanité d’échapper à la destruction et à l’anéantissement ? Le Seigneur, qui a sauvé Israël de la mort lors de sa traversée du désert, annonçait par ce geste ce qu’il voulait réaliser pour l’ensemble de l’humanité : Dieu veut que l’homme vive et il met tout en œuvre pour cela. Ainsi, par delà le temps de notre vie terrestre, nous saisissons petit-à-petit que Dieu nous offre la promesse de vie éternelle.

En la personne de Jésus, Fils bien-aimé envoyé par le Père, nous découvrons que cette promesse ne s’accomplit pas simplement à travers des moyens que Dieu nous donne pour subsister en ce monde : la manne, ou les pains et les poissons que Jésus a multipliés pour nourrir la foule. Tout ceci annonce le véritable Pain de Vie qui assure le Salut de l’homme. Dieu nous donne vraiment la vie éternelle dans le sacrifice que Jésus fait de sa vie : nous vivons parce qu’Il est mort pour que nous vivions. Mais nous ne pouvons pas atteindre la plénitude de vie à laquelle Dieu nous appelle, sans passer d’une certaine façon par la mort et de la résurrection du Christ. C’est ce que nous faisons quand nous mangeons le pain eucharistique « donné pour que le monde ait la vie » (Jn 6, 51), et c’est pourquoi Jésus dit aux juifs, dans la synagogue de Capharnaüm : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle » (Jn 6, 54).

Quand le Christ se désigne lui-même comme celui qui est le pain venu du Ciel, le vrai pain de vie, il ne parle pas d’une nourriture semblable à la manne ou aux pains et aux poissons. Il se désigne lui-même comme l’origine de la vie et la source du Salut de toute l’humanité. S’il peut donner son corps en nourriture et son sang en boisson, c’est parce qu’il donne toute sa vie pour la vie du monde.

Dès lors, nous pouvons comprendre que cette condition qu’il pose : « Celui qui ne mange pas mon corps n’aura pas lé vie en lui » (Jn 6, 53) est pierre de scandale pour les juifs, comme pour beaucoup d’autres. Comment un homme peut-il dire qu’il donne sa chair en nourriture et son sang en boisson alors que toute la tradition juive a consisté précisément à échapper aux rituels païens des sacrifices ? Doit-on y voir quelque trace d’anthropophagie ? Nous comprenons que l’esprit humain résiste à cette parole !

Mais nous ne sommes pas associés à la mort et à la Résurrection de Jésus par un sacrifice sanglant semblable aux sacrifices humains des religions païennes, ni même par un sacrifice du même ordre que les sacrifices des animaux dont on répandait le sang dans le sanctuaire dans la tradition d’Israël. L’offrande de Jésus sur la croix accomplit une transformation complète du sens du sacrifice. Elle ne vise pas à obtenir la bienveillance de Dieu, mais elle est la plénitude de l’amour de Dieu manifestée dans l’offrande qu’il fait de son Fils. Ce n’est pas nous qui sacrifions quelque chose, c’est Dieu qui s’offre lui-même.

Ainsi, le sacrifice de la messe n’est pas un rite païen pour obtenir les faveurs de Dieu, mais l’actualisation du sacrifice que Dieu fait de lui-même en la personne de Jésus de Nazareth, qui ouvre le salut à l’humanité entière et nous donne de pouvoir communier à la vie divine. Pour nous, cette communion ne vient donc pas d’un rite sanglant, mais elle se réalise à travers le sacrement dans lequel le Corps et le sang du Christ sont rendus présents dans le pain et le vin que nous consacrons. L’un et l’autre ne changent pas d’apparence. Ils demeurent physiquement du pain et du vin. Mais dans la foi, ils sont pour nous chair et sang du Christ, et nous les recevons comme le moyen excellent qui nous est donné pour communier physiquement au sacrifice du Christ.

Nous connaissons bien d’autres manières authentiques d’être en communion avec le Christ et de recevoir sa grâce : la prière intérieure, la méditation, la lecture de sa Parole, la vie de l’Église ou les relations que nous avons les uns avec les autres. Mais la communion eucharistique donne sens, récapitule et mène à son achèvement toutes ces formes de communion. Ce geste touche notre être physiquement et profondément. Lorsque nous mangeons ce pain et que nous buvons à cette coupe, toute notre personne, cœur, corps, âme et esprit est associée au sacrifice du Christ et accueillie et installée dans la communion de l’Église. Même si, à certains moments de notre vie, il nous est impossible de participer effectivement à la communion eucharistique, nous devons néanmoins nous y unir le plus possible par l’intention de notre cœur, par le désir qui nous habite ou par la joie que nous avons de savoir que le Christ vient visiter toute l’humanité.

Quand nous célébrons l’eucharistie, nous faisons mémoire du sacrifice du Christ qui s’offre pour toute l’humanité, qui fonde la communion ecclésiale et qui vient toucher chacun et chacune d’entre nous dans son cœur, son intelligence, sa liberté et jusque dans sa chair. Quand nous mangeons le pain qui est le Corps du Christ, quand nous buvons le vin qui est son sang, nous sommes assimilés au Christ lui-même et nous communions en lui à la vie divine et trinitaire à laquelle nous avons été appelés par le baptême.

Voici pourquoi nous recevons le commandement de célébrer l’eucharistie du Seigneur chaque dimanche, et de participer à cette célébration en ce jour de la Résurrection. Par ce sacrement, nous sommes pleinement associés à la vie nouvelle que Jésus a rendue possible en faisant le sacrifice de sa propre vie. Par le pain que nous mangeons, Dieu infuse sa vie à notre corps et à notre personnalité. Rendons grâce au Seigneur qui nous donne la possibilité de vivre ce mystère d’amour.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris

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