Homélie du Cardinal André Vingt-Trois, lors du 150e anniversaire de l’Évangélisation de l’Église locale du Bénin par les Missionnaires de la Société des Missions Africaine de Lyon à l’occasion du Pèlerinage marial national du Bénin
Dimanche 21 août 2011 - Sanctuaire de Dassa-Zoumé (Bénin)
A l’occasion du Jubilé des 150 de l’évangélisation du Bénin, cette homélie propose une méditation sur la foi qui nait de l’accueil de la Parole de Dieu, et transforme la vie de chaque chrétien, pour donner vie au Corps du Christ qu’est l’Eglise.
Is. 9, 1-3, 5-6. 2 Tim. 1, 8-14. Luc 11, 25-27
Frères et sœurs très chers,
1. La gloire de Marie.
Comme nous comprenons bien l’admiration de cette femme dans la foule quand elle entend les paroles de Jésus, son enseignement de force et de sagesse, et quand elle sait les signes qu’il a donnés par ses miracles ! Peut-être qu’elle pense aussi à ses fils, à ceux qui ont bien réussi à conduire leur vie, mais aussi à ceux qui n’ont pas réussi. Comme toutes les mères du monde, elle pense qu’elle a un peu de mérite pour ce qu’ils ont fait de bien. Elle les a bien élevés. Elle a aussi peut-être un peu de responsabilité pour ce qu’ils ont fait de mal ou ce qu’ils font de mal. Elle n’a pas toujours su ou elle n’a pas toujours pu faire ce qui était le mieux pour eux. Mais, en tout cas, elle croit bien qu’il y a une transmission du bien et du mal d’une génération à l’autre. Comme si la sainteté se transmettait comme un métier ou une terre que l’on possède et qu’on lègue à ses enfants.
Nous la comprenons bien cette femme parce que nous aussi nous avons souvent le sentiment que nous sommes à l’origine de la réussite ou de l’échec des enfants, à l’origine de leurs qualités ou de leurs défauts. Nous avons pu penser aussi que la foi est un bien collectif que nous nous passons les uns aux autres. Et ce n’est pas complètement faux. Marie et Joseph ont appris à Jésus enfant à devenir un homme, un bon juif. Ils lui ont appris les prières de chaque jour et ils lui ont appris ce qui est le bien et ce qui est le mal. Mais tout ça, qui a permis à Jésus d’atteindre sa taille d’homme, n’est pas la source de ce qu’il dit et de ce qu’il fait comme Sauveur du monde. Ce n’est pas Joseph qui a appris à Jésus à faire le Messie comme il aurait fait le charpentier. Ce n’est pas Marie qui lui a donné les mots du salut. C’est Dieu lui-même qui l’a envoyé comme celui qui porte la parole de Dieu. « Ce que je vous dis, je ne le dis pas de moi-même… » (Jean 12, 48).
Ainsi le cri d’admiration de cette femme envers Marie, la mère de Jésus, nous le partageons et nous le chantons aussi : Bienheureuse la Vierge Marie qui a mis au monde et éduqué le Fils du Père éternel. Mais pourquoi devons-nous l’admirer et lui chanter notre amour et notre joie ? Pas parce que Jésus a tété son sein et bu son lait, parce qu’il a de son sang dans ses veines, pas parce qu’elle l’a aimé et accompagné, même pas parce qu’elle l’accompagnera jusqu’à la croix. Tout ça, c’est vrai, mais ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est que Marie a écouté la Parole de Dieu, qu’elle l’a gardée et qu’elle l’a mise en pratique. Nous connaissons bien comment elle a entendu la parole de Dieu, puisque nous le disons chaque fois que nous disons le Je vous salue Marie. « L’ange du Seigneur apporta l’annonce à Marie et elle conçut du Saint-Esprit ». Tout cela a été possible parce que Marie a dit : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole. » (Luc 1, 26-38)
La gloire de Marie, ses mérites pour lesquels nous l’admirons et nous l’aimons, comme une Mère très chère, c’est d’avoir écouté la Parole de Dieu et de l’avoir mise en pratique. Oui, nous sommes heureux de venir à son sanctuaire de Dassa-Zoumé pour reconnaître avant tout la foi de Marie et son obéissance à la Parole de Dieu.
Ô Marie, notre Mère, toi qui as accueilli la Parole de Dieu et qui l’a mise en pratique, apprends-nous à écouter ce que Dieu nous dit dans les Écritures et à travers l’enseignement de son Église ; apprends-nous à « faire tout ce qu’il nous dira » (cf. Jean 2, 5) et à mettre les mots en pratique. Aide-nous à devenir bienheureux avec toi parce que nous sommes des fidèles de la Parole de Dieu.
2. La Parole de Dieu est venue chez vous.
Cette parole de Dieu est venue chez vous. Il y a 150 ans, quelques prêtres des Missions Africaines de Lyon ont été envoyés de France dans votre pays pour reprendre le travail du semeur qui avait été commencé bien avant, mais sans encore atteindre toutes les parties de votre pays. Ils ont quitté les bords de l’océan et se sont enfoncés dans les terres pour aller à la rencontre de vos grands-parents et leur porter la joie de la Bonne Nouvelle du salut. Ils ont porté la parole de Jésus avec confiance et avec amour. C’est grâce à eux que votre pays a été touché par la graine de la foi et que cette graine a pu germer et porter du fruit, un fruit abondant. Si votre Église est si vivante en beaucoup d’endroits, c’est grâce à cette Parole qui a été reçue et mise en pratique. Ce n’est pas vous qui avez trouvé le Christ, c’est le Christ qui vous a trouvés et qui est venu chez vous à votre rencontre. Comme il est venu chez nous en France par des apôtres envoyés de Jérusalem et de Rome. Comme il était venu à Bethléem pour apporter l’espérance à l’humanité entière, il est venu au Bénin pour vous apporter l’espérance. Il est venu par la médiation de ces premiers missionnaires et par leur ministère la lumière est venue pour illuminer vos aïeux de la lumière de la foi. Comme le disait le prophète Isaïe : un fils nous a été donné et il a fait grandir la joie.
Cette parole, vos pères l’ont écoutée, cette lumière, ils l’ont accueillie et vous devez être reconnaissants à vos ancêtres, pas seulement parce qu’ils vous ont transmis la vie et parce qu’ils vous ont appris à vivre, mais d’abord parce qu’ils ont accueilli la Parole de Dieu et qu’ils ont appris à la mettre en pratique. Ils sont bienheureux, pas seulement parce qu’ils vous ont légué un beau pays, mais surtout parce qu’ils ont accueilli la foi au Christ et qu’ils lui ont été fidèles. Ils étaient souvent pauvres et ils n’avaient pas beaucoup de biens terrestres à vous donner. Ils ont souvent du vous apprendre à vivre dans les difficultés de toutes sortes, mais ils vous ont donné ce qu’ils avaient de plus précieux : leur amour et leur foi. Si nous sommes ici si nombreux aujourd’hui à fêter ce 150° anniversaire et à chanter notre joie avec Marie, c’est grâce à ces quelques dizaines de missionnaires venus d’un autre pays apporter leur témoignage de foi et grâce à vos ancêtres qui les ont reçus et écoutés. Nous savons bien que ça n’a pas été tout seul. Il y a eu des erreurs, il y a eu des résistances, il y a eu des refus et des violences.
Comme dans la vie de chacun d’entre nous, l’arrivée de la Parole de Dieu soulève des résistances, des refus, des erreurs. On peut être pécheurs, faire le mal, on peut se tromper, suivre de mauvais bergers, mais ce qui compte, c’est si nous recevons la Parole de Dieu et si nous laissons transformer notre vie par cette parole. Bienheureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la mettent en pratique.
Ô Seigneur Jésus, nous te bénissons parce que tu es venu visiter les hommes et leur apporter la réconciliation avec Dieu. Nous te rendons grâce parce que tu as envoyé tes apôtres porter cette Bonne Nouvelle à tous les peuples de la terre. Nous te rendons grâce pour les missionnaires qui ont annoncé l’Évangile dans nos pays, en France il y a bien longtemps et ici, au Bénin depuis 150 ans.
3. Mettre l’Évangile en pratique.
Cet Évangile, il ne suffit pas de l’entendre ni même de le garder, il faut aussi le mettre en pratique. Nous l’avons reçu des missionnaires qui nous l’ont apporté. Nous l’avons reçu de nos ancêtres et de nos parents qui nous ont fait entrer dans l’Église du Christ. Nous l’avons reçu par le catéchisme et les nombreux catéchistes de vos communautés. Mais je vous pose une question que faisons-nous de cet Évangile que nous avons reçu ? Est-ce que nous le gardons comme un trésor caché dans le secret de nos familles ? Comme on garde un souvenir précieux de la famille mais un souvenir qui ne sert à rien pour notre vie de tous les jours. On le sort pour les grandes fêtes, on le regarde, on l’admire peut-être, mais on ne s’en sert pas. Est-ce que, pour vous, l’Évangile est juste un souvenir de vos ancêtres, un trésor sans force et sans utilité pratique ?
Être chrétien, ce n’est pas seulement avoir de beaux souvenirs qu’on montre aux enfants mais qui ne changent rien dans la vie. Être chrétien, c’est mettre l’Évangile en pratique, c’est faire ce que nous dit Jésus comme les serviteurs aux Noces de Cana. Aujourd’hui, nous nous réjouissons et nous rendons grâce pour les merveilles que Dieu a faites pour nous. Et c’est bien, mais il faut aussi nous demander : aujourd’hui qu’est-ce que, moi, je fais pour lui ? Comment sa parole transforme ma vie ? Je ne peux pas répondre à votre place. Personne ne peut répondre à la place de personne. Ni vos évêques, ni vos prêtres, ni les autorités de votre pays ou de votre ville ou de votre village. C’est chacun qui doit répondre lui-même à Jésus. Je dois répondre à Jésus ; les évêques, les prêtres doivent répondre à Jésus, chacun de vous doit répondre à Jésus. L’Évangile nous appelle à une décision personnelle. Je ne suis pas chrétien parce que mon père était chrétien. Je ne suis pas chrétien parce que ma femme est chrétienne, ou parce que mon mari est chrétien. Je suis chrétien parce que, moi, j’ai été appelé par mon nom et que je veux répondre à cet appel. Qu’est-ce que ça change pour vous d’être chrétien ?
Je peux seulement vous aider un peu à répondre à cette question en posant quelques questions sur différents aspects de votre vie.
- Être chrétien dans votre vie personnelle. Comment vous êtes attachés à votre Église, comment vous l’aimez ? Comment vous vivez votre foi en Dieu ; comment vous priez ? Comment vous participez à la confession et à la Messe ? Comment vous refusez de croire à toutes sortes d’esprits avec lesquels on veut vous faire peur ; ou à des prophéties extraordinaires avec lesquelles on veut vous attirer ?
- Être chrétien en famille. Comment votre famille est un lieu d’expérience de la foi ? Comment vous vivez la fidélité et le respect entre le mari et la femme ? Comment vous vivez votre responsabilité de parents, comment vous élevez vos enfants ? Comment vous prenez soin des plus faibles de vos familles, spécialement les anciens ? etc.
- Être chrétien dans le travail. Comment vous essayez de faire votre travail le mieux possible ? Comment vous êtes attentifs au respect de la justice, surtout si vous êtes chef ou patron ? Comment vous respectez le bien d’autrui en refusant de prendre ce qui n’est pas à vous ou de vous faire payer par les pauvres en profitant de leur misère par la corruption.
- Être chrétien dans la société. Comment vous regardez les hommes et les femmes qui vous entourent ? Voyez-vous en eux tous, je dis bien tous, des enfants de Dieu, quelles que soient leur ethnie, leur tribu ou leur religion ? Comment vous pouvez contribuer à la paix publique en refusant les moyens de la corruption et de la violence ? Comment vous soutenez les hommes et les femmes qui sont honnêtes dans la vie publique ? Comment vous pouvez être des artisans de paix dans votre pays et dans les relations avec les pays voisins ?
Ainsi nous pouvons accomplir ce que saint Paul écrit à Timothée : garder l’Évangile dans toute sa pureté grâce à l’Esprit qui habite en nous. Ainsi nous pouvons prendre notre part de la mission de l’Église, sans avoir honte de rendre témoignage à notre Seigneur.
Ô, Esprit-Saint, Esprit de Dieu, tu as mis en nos cœurs la joie de connaître le Fils unique de Dieu, Jésus-Christ, et, par lui de connaître le Père. Tu nous as fait entendre l’appel du Christ à vivre selon l’Évangile, ne permets pas que nous ayons honte de nous déclarer disciples de Jésus. Donne-nous ta force et ta lumière pour que nous prenions part à la Mission de l’Église.
4. Missionnaires de la Bonne Nouvelle.
L’Évangile nous devons le mettre en pratique dans notre vie personnelle, familiale et sociale. Mais aussi nous devons le mettre en pratique dans notre vie ecclésiale. Cela concerne principalement deux aspects de notre vie ecclésiale : la vie communautaire et la vie missionnaire qui sont étroitement unies.
Si nous sommes convaincus que seule l’Église du Christ a pu nous conduire à l’Évangile, nous vivons une grande reconnaissance à l’égard de cette Église. Peut-être elle n’a pas toujours bien fait ce qu’elle devait faire, mais elle a assuré l’essentiel de sa mission. Nous devons regarder l’Église comme notre mère puisqu’elle nous a engendrés à la vie chrétienne. Regardez votre mère, ou votre grand-mère, vous verrez qu’elles ont des rides ou des cicatrices ou des taches sur leur peau. Ce sont les traces des épreuves de leur existence. Notre Église aussi a des rides, des taches et des cicatrices. C’est vrai de l’Église catholique dans sa totalité, comme l’a rappelé le Pape Benoît XVI. C’est vrai de chacune de nos Églises particulières. C’est vrai de notre Église en France. On y parle souvent de l’éveil de la mission, mais beaucoup de chrétiens continuent de dormir. C’est vrai aussi de votre Église du Bénin. Elle a traversé des rudes épreuves : épreuves dans les relations avec l’État dans une certaine période de votre histoire, épreuves des faux pas de certains de ses propres enfants : évêques, prêtres religieux, religieuses et laïcs. La sainteté n’est jamais acquise pour toujours, elle est toujours un combat à mener.
Mais, ridée, tachée ou blessée, votre mère reste votre mère et vous continuez de l’aimer. Ridée, tachée ou blessée, notre Église reste notre mère et nous devons continuer à l’aimer, à la servir et à travailler à sa purification. Celui qui accable sa mère accable son propre sang. Il se coupe des sources de la vie. Notre communion à la vie de l’Église s’étend au-delà de chacune de nos communautés particulières. C’est vrai à l’échelle du monde où nous vivons tous de notre communion les uns avec les autres. Je suis d’autant plus heureux de vous le dire que des béninois, vos compatriotes, sont paroissiens dans des paroisses parisiennes et que des prêtres béninois viennent en France, soit pour étudier, comme un certain nombre à Paris, soit comme prêtre Fidei Donum pour trois ou six ans. N’est-il pas beau que cet évangile que nous vous avions apporté, il y a 150 ans, des Français le reçoivent aujourd’hui de béninois missionnaires chez nous ?
Votre communion à l’Église doit être vraie aussi dans votre pays. Comme toujours, certaines paroisses ont plus de facilités, plus de personnes capables d’assurer leur vie, plus de moyens, en raison de leur environnement économique. Il n’est pas trop difficile de trouver des prêtres ou des catéchistes pour ces paroisses bien pourvues. Mais quand les communautés sont fragiles, implantées dans des régions plus pauvres ou plus difficiles, il est plus difficile de trouver des missionnaires pour se donner gratuitement à la tâche, sans espérer beaucoup de soutien. Pourtant, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, en ville ou dans les villages, est-ce que vous n’êtes pas tous béninois ? Est-ce que vous n’êtes pas tous frères dans la même Église ?
Votre Église est justement fière de sa vitalité. Personne n’a oublié le cher cardinal Gantin. Personne n’oublie les nombreux témoins de la foi qui ont fait front dans les années difficiles. Personne n’oublie les nombreux prêtres et séminaristes de votre pays, ni non plus les religieux et les religieuses. Pourquoi ne seriez-vous pas fiers d’accueillir bientôt le Saint Père Benoît XVI qui a choisi vote beau pays pour promulguer l’exhortation apostolique de la session du synode des évêques pour l’Afrique ? Ce n’était pas un synode de l’Afrique, mais un synode de toute l’Église sur l’Afrique et c’est un événement important que la promulgation de ses conclusions ait lieu en Afrique et spécialement au Bénin. Le Pape veut certainement montrer la place importante de l’Église qui est en Afrique dans la vie de toute l’Église.
Bienheureux êtes-vous si vous écoutez la Parole de Dieu aujourd’hui et si vous la gardez pour la mettre en pratique. Bienheureux êtes-vous si vous participez à la mission de l’Église dans votre pays tout entier. Bienheureux êtes-vous si vous participez à la mission de l’Église dans le monde entier.
Ô Bienheureux Jean-Paul II, toi qui a visité ce pays et qui a aimé tous ses habitants et plus encore les chrétiens, regarde avec amour cette Église vivante qui fête l’anniversaire de son accueil de l’Évangile. Intercède pour elle. Que Dieu bénisse ce pays tout entier ! Que Dieu bénisse les catholiques du Bénin, leurs évêques, leurs prêtres, leurs religieux, leurs religieuses, leurs catéchistes et tous les fidèles du Christ !
AMEN !
+ André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris, Président de la Conférence des Évêques de France.