Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe à la mémoire des victimes du 11 septembre 2001

Dimanche 11 septembre 2011, Cathédrale Notre-Dame de Paris

A la demande de l’ambassadeur des Etats Unis, le cardinal Vingt-Trois a célébré la messe de ce jour à la mémoire des victimes des attentats du 11 septembre 2001, à l’intention de leurs familles, pour toutes les victimes d’attentats terroristes et pour la paix. Des milliers de fidèles s’étaient rassemblés. Plusieurs responsables religieux étaient présents dont Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman, Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France et Mgr Emmanuel, président de l’Assemblée des Évêques Orthodoxes de France. Les autorités politiques et diplomatiques étaient également très nombreuses ; plusieurs ministres et une trentaine d’ambassadeurs ont assisté à la célébration.

L’usage de la violence, qui plus est au nom de Dieu, empêchera toujours notre société de progresser vers la liberté et la civilisation. Le pardon inconditionnel accordé par Dieu invite plutôt l’homme à entrer dans le dynamisme vivifiant du pardon.

Siracide 27, 30 ; 28, 1-7 - Ps 102, 1-2, 3-4, 9-10, 11-12 – Lettre de Saint Paul aux Romains 14, 7-9 ; évangile de Jésus-Christ selon Saint-Matthieu 18, 21-35

Homélie du cardinal André Vingt-Trois
Archevêque de Paris

Mesdames et Messieurs, cher amis, mes frères,

Est-il possible aux hommes de pardonner ? C’est la question qui nous est brutalement posée par la liturgie de ce jour alors que nous faisons mémoire d’événements dont la cruauté gratuite et la volonté destructrice ont choqué le monde entier. Comment pourrions-nous échapper à cette question quand nous pensons aux victimes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis d’Amérique et quand vient s’ajouter à la somme atroce des souffrances endurées la liste malheureusement jamais close des victimes du terrorisme international ?

Nous mesurons chaque jour dans notre vie personnelle, notre vie familiale et notre vie sociale que le pardon n’est pas un mouvement spontané. Le mouvement naturel du cœur humain est plutôt de chercher compensation, ou réparation, ou vengeance. S’il nous est si difficile de pardonner dans les petits torts que nous subissons chaque jour, nous comprenons bien que le pardon des attaques plus importantes et plus cruelles est encore beaucoup plus difficile et, pour le dire brutalement, nous paraît hors de notre portée.

La parabole utilisée par Jésus pour ouvrir le cœur de Simon Pierre à un pardon généreux, nous aide sans doute à mesurer l’écart entre la représentation que nous nous faisons du pardon et le véritable modèle du pardon qui est celui accordé par Dieu, aussi infini et hors de nos mesures que sa miséricorde est infinie et hors de nos mesures. Là où Simon Pierre voulait quantifier et poser des limites, Dieu l’entraîne dans une miséricorde infinie.

Cependant Jésus ne nous enferme pas dans une impasse. La parabole nous fait entrer dans une réflexion logique accessible à notre intelligence et à notre raisonnement : si nous voulons bénéficier du pardon que Dieu propose à l’humanité dans la mort et la résurrection de Jésus-Christ, nous devons nous aussi entrer dans une démarche de pardon ; et cette démarche de pardon nous entraîne avec Jésus sur la chemin de Jérusalem et de sa passion. C’est aussi le sens de la prière du Seigneur que Jésus nous a donnée pour parler à notre Père : Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés !

Dans une culture et une société où l’excitation de l’information est toujours à la recherche des polémiques, des confrontations et des oppositions, nos efforts pour vivre en démocratie risquent de se perdre dans une violence sociale, le plus souvent verbale, mais aussi hélas parfois physique. Nous devons le reconnaître, les actes de violence sont suscités à la fois par la haine de l’autre et par le désir de faire parler de soi. Combien de fois les actes de terrorisme ne sont-ils pas perpétrés pour mobiliser l’attention médiatique et prospérer sur l’horreur mais aussi sur la fascination morbide du spectacle des victimes ?

En ce jour où nous faisons mémoire des victimes de l’attentat du 11 septembre 2001, auxquelles nous associons toutes les victimes du terrorisme, il est bon de nous rappeler des évidences qui s’imposent devant des crimes aussi odieux, mais des évidences qui doivent aussi éclairer les comportements quotidiens qui risquent de banaliser l’horreur et d’éroder les capacités de résistance à la violence gratuite dans la vie de nos sociétés.

Permettez-moi simplement de souligner deux de ces évidences.

 1. Dans une société qui espère progresser vers la liberté et la civilisation, le recours délibéré à la violence n’est pas une manière humaine et raisonnable de gérer les relations entre les peuples pas plus d’ailleurs qu’entre les individus. Il est impossible de reconnaître la cause humaine ou politique de mouvements dont la principale tactique est la destruction aveugle. Aucune tentative de raisonnement politique ne peut justifier cette pratique devant la raison humaine. Aucun discours justificatif ne peut être reçu pour absoudre l’injustifiable.

 2. La violation de la raison humaine devient blasphématoire quand elle use des arguments dévoyés de la religion pour justifier ses actes et motiver des auteurs pour ces actes de barbarie. Chaque fois qu’une religion se laisse entraîner dans une légitimation de la violence et, pire encore, de la violence terroriste, elle dénature et bafoue l’image du Dieu qu’elle annonce. Nous savons bien que nos religions n’ont pas toujours respecté le message de paix qu’elles véhiculaient. Nous n’en sommes pas fiers et nous devons toujours nous en corriger. Mais nous ne devons pas laisser penser un instant que la foi en Dieu est la cause de notre violence.
Nous devons, au contraire, régler nos conduites sur la certitude que le respect de Dieu est indissociable du respect de l’homme, car c’est notre relation à Dieu qui donne à l’homme une valeur transcendante à toutes les causes.

Mesdames et Messieurs, chers amis, je vous invite maintenant, pendant quelques instants de silence à rendre hommage aux victimes du 11 septembre 2001, à ceux qui ont été assassinés, comme à ceux qui ont péri dans les opérations de sauvetage ou des suites de cet attentat. J’invite les croyants à prier pour ces victimes et pour toutes celles du terrorisme. Je nous invite tous à réfléchir sur nos mœurs collectives et sur la place que nous y laissons à la violence et à la haine.

Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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