Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe d’ordination de sept Diacres Permanents en la cathédrale, en la fête de Saint Denis
Samedi 8 octobre 2011 - Cathédrale Notre-Dame
Le Christ bon pasteur continue à prendre soin de son Peuple à travers le ministère sacramentel des évêques, des prêtres et des diacres. Les diacres portent la Parole au milieu du monde et y sont le signe d’une Église servante des pauvres.
– Is 52, 7-10 ; Ps 95 ; Jn 10, 11-15
Chers amis, Frères et Sœurs,
Tout à l’heure, les diacres du diocèse ont parcouru l’assemblée en portant la lumière pour ouvrir le chemin au livre de l’Évangile. En les voyant, il me semblait que nous avions devant les yeux une parabole de ce que nous sommes en train de vivre : le Christ, le Bon Pasteur, passe au milieu de son peuple. Il est rendu présent par sa Parole et par le ministère confié à ces hommes qui entouraient l’évangéliaire. Cette procession est un signe de l’accomplissement au milieu de nous de la mission confiée jadis aux Douze de porter la Bonne nouvelle aux extrémités de la terre. La Parole de Dieu proclamée parmi les Nations, donne naissance à un Peuple nouveau qui constitue, dans le sacrement de l’Église, le Corps du Christ. Jésus ressuscité, celui que nous avons accueilli comme présence de Dieu au milieu de nous, nous a constitués comme son Corps pour être aujourd’hui témoins de l’Évangile au milieu du monde et tout d’abord dans notre ville de Paris.
Le bon pasteur a livré sa vie pour ses brebis. Il n’a pas abandonné son troupeau aux mains de pasteurs mercenaires. Il l’a confié aux Douze et à ceux que ceux-ci choisiraient et institueraient après eux pour exercer la mission apostolique au nom du Christ. Dieu n’abandonne pas son peuple. Il n’avait pas abandonné Israël après l’écrasement militaire et ne s’était pas détourné de Jérusalem après la destruction de son Temple. Il reste présent au milieu d’Israël auquel il est lié par une alliance définitive. De même, Dieu ne peut oublier l’Église, le Peuple nouveau engendré dans l’Alliance nouvelle et éternelle par le sang de son Fils. Au moment où Jésus va quitter ce monde de manière visible, il prépare ses apôtres et son Église. Certes, au moment où le berger sera attaqué et anéanti, les brebis seront dispersées. Nous savons qu’il restait peu de monde au pied de la croix. Mais, par la puissance de l’Esprit répandu dans les cœurs de ce petit troupeau au jour de la Pentecôte, le bon pasteur continuera à agir auprès de ses disciples, d’une manière non visible mais non moins réelle. Au-delà de ceux qui étaient présent au jour de la Pentecôte, il continue à prendre soin aujourd’hui de ceux qu’il appelle à le suivre, et de l’humanité toute entière.
Dans la vie de l’Église et la célébration des sacrements, nous devons sans cesse garder présent à l’esprit la dimension universelle de la mission du Christ. L’Église n’est pas constituée pour être le refuge des brebis effrayées, ni pour être le repaire de ceux qui n’ont pas de repère. Elle est « un étendard dressé au milieu des nations » (Is 18, 3) pour signifier ici-bas le dessein de Dieu de rassembler l’humanité en une seule famille. Comme cette célébration d’ordination et comme chacune des célébrations dominicales de nos paroisses, nous voulons que chaque geste, chaque parole et chaque action de l’Église soient marqués par cette dimension universelle de la mission. Nous ne prions pas Dieu de nous envoyer des ministres pour augmenter le standing de notre confort ecclésial et pour nous assurer un meilleur service. Nous lui demandons sans cesse d’appeler des hommes à devenir prêtres et d’autres à devenir diacres, pour développer et rendre disponibles des forces nouvelles pour accomplir la mission de l’Église au milieu du monde.
Le ministère apostolique est tout entier marqué par cette double dimension de veiller sur la vie de l’Église assemblée et constituée, et en même temps d’appeler cette Église assemblée et constituée à annoncer la Bonne Nouvelle au milieu des hommes. Ces deux dimensions sont indissociables. Un pasteur ne pourrait pas être vraiment le pasteur de l’Église s’il mettait entre parenthèse la dimension universelle de la mission. Et un missionnaire de l’Évangile ne serait pas un bon missionnaire s’il négligeait la vitalité et la fécondité du mystère sacramentel de l’Église dans lequel s’enracine sa mission. Si bien que, chaque fois que l’Église relit son histoire, elle veille toujours à mettre en œuvre ce diptyque de la vie sacramentelle de la communauté et de la mission universelle de l’Église.
Dieu n’a pas abandonné son peuple. Il n’a pas abandonné les hommes. Il a envoyé son Fils, son unique, pour que le monde croit et soit sauvé. Et le Fils envoie ses disciples. Il ne les charge pas de perpétuer son souvenir et de consoler ceux qui resteraient après qu’il soit retourné auprès du Père. Il les envoie pour associer le plus grand nombre possible d’hommes et de femmes au Salut, en visant la totalité de l’humanité et les extrémités de la terre.
Nos communautés ont des expériences très différentes. Vous le savez, vous qui accompagnez ceux qui sont aujourd’hui ordonnés, et qui viennent d’une petite chapelle à peine visible comme Notre-Dame de la Confiance, de paroisses beaucoup plus grande ou de communautés étrangères. En tous ces lieux, le même souci de l’Église est de nourrir et de fortifier la foi, et de développer la vitalité sacramentelle de chacun de ses membres. Ce faisant, elle ne cherche pas à les tranquilliser mais plutôt à les inquiéter pour qu’ils cherchent de quelle manière ils sont envoyés pour annoncer Jésus-Christ au monde.
Dans la figure traditionnelle de Denis, Rustique et Eleuthère, l’Église a voulu lire une articulation des ministères de l’évêque, du prêtre et du diacre. Appelé à succéder aux apôtres, l’évêque a la charge et la responsabilité de la vie et de la mission de toute sa communauté. Les prêtres qui lui sont associés dans le même ministère pastoral à l’égard de la communauté et du monde, sont ses collaborateurs proches et constituent avec lui un corps organique que l’on appelle le presbyterium. Les diacres, dont la fonction remonte aux Écritures, sont présentés comme des collaborateurs des apôtres. Dès le début, leur mission est d’assumer la charge de la charité et d’annoncer l’Évangile dans les circonstances dans lesquelles ils se trouvent. Ils ne sont pas institués pour assurer un simple soutien logistique mais pour être un signe sacramentel du Christ serviteur dans son Église. A travers eux, l’amour du Christ se réalise concrètement envers toutes sortes de personnes qui ont besoin d’être secourues dans la communauté et dans toute la société. Dieu sait qu’aujourd’hui, cet appel à la solidarité dont j’ai fait l’un des thèmes de notre programme « Paroisses en mission », est un objectif qui ne manque pas de motifs. Parmi les diacres, beaucoup sont engagés dans cette tâche de manifester l’implication concrète de l’Église pour venir en aide à ceux qui sont dans le besoin. Tous les baptisés le vivent dans leurs relations de voisinage et de famille. Les diacres le font au nom du Corps ecclésial tout entier. De plus, les diacres sont appelés à proclamer la Parole de Dieu au cœur de l’assemblée, comme cela vient d’être fait. Ils sont enfin chargés d’être témoins de la Parole de Dieu dans toute leur existence, dans leur famille, leur travail ou dans les services qu’ils accomplissent au nom de l’Église.
Frères et sœurs, c’est une grande joie pour moi d’associer ces nouveaux diacres à ce ministère. Je sais qu’ils s’y sont préparés sérieusement et s’y engagent avec modestie et humilité. Je sais combien leur entourage familial est un élément particulièrement constitutif de leur engagement. Ensemble nous veillons à ce que leur mission diaconale contribue à développer la fécondité de leurs liens naturels, et non pas à les réduire.
Frères et sœurs, avec le prophète nous devons entendre l’invitation de Dieu : « Éclatez en cris de joie, ruines de Jérusalem ! Car le Seigneur a consolé son peuple. » (Is 52, 9) En envoyant Denis, Rustique et Eleuthère sur les chemins de ce qui deviendra notre diocèse de Paris, Dieu a consolé son peuple. En envoyant aujourd’hui ces nouveaux diacres porter l’Évangile au cœur de nos communautés et l’annoncer dans notre société, Dieu console son peuple. Il accomplit la mission du Bon pasteur qui connait ses brebis et que ses brebis connaissent. Qu’Il nous donne la joie de marcher à sa suite et d’être avec Lui. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris