Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe pour la paix à l’occasion des vingt-cinq ans de la rencontre des religions à Assise
Mercredi 26 octobre 2011 - En la Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Jésus nous appelle à nous convertir, nous qui sommes témoins de sa miséricorde et de son Salut. Vivre selon l’Evangile nous permet d’offrir une vraie prière dans l’Esprit. Prier pour la paix, c’est inséparablement vivre de la miséricorde et de la justice.
– Rm 8, 26-30 ; Ps 12 ; Lc 13, 22-30
Frères et Sœurs,
Dans l’évangile que nous venons d’entendre, qui sont ceux qui vont rester dehors et frappent en vain à la porte ? Qui sont ceux qui s’entendent répondre : « Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui faites le mal » (Lc 13, 27) ? Cette parole et cette condamnation nous touchent profondément, nous qui avons tellement intégré la volonté du Christ de sauver tous les hommes et d’appeler les pécheurs à la conversion. Nous devons donc nous demander ce qui fait que ceux-là ne se sont pas convertis, et, plus exactement, ce que Jésus leur reproche. Il les accuse d’avoir étaient témoins de ce qu’Il a dit et fait, d’avoir vu les signes qu’Il a accomplis, et de ne pas s’être convertis. Il leur reproche d’être restés dans leur péché et d’avoir fait le mal, alors que le Salut leur était proposé. Ce jugement nous touche. En effet, nous aussi, nous avons entendu la parole du Christ et nous aussi, nous avons été témoins des signes qu’il donne aujourd’hui à travers la vie de ceux et celles qui suivent son chemin. Nous aussi, nous avons reçu la Bonne Nouvelle de la miséricorde de Dieu en faveur de tous les hommes, et pourtant, nous ne nous sommes pas complètement convertis. Nous laissons subsister dans notre vie une part de cette expérience du mal.
Ce n’est pas pour enfermer ses interlocuteurs dans la condamnation que le Christ s’exprime si durement à l’égard de ceux qui l’écoutent dans les villes et les villages où il enseigne, comme à notre égard. Il ne cherche pas à nous barrer le chemin du Salut, mais au contraire, à éveiller notre désir de changer de vie ! Il veut stimuler en nous la volonté de vivre selon sa parole. Il appelle chacun et chacune d’entre nous à apprendre à faire le bien, et non à continuer de faire le mal. Nous sommes appelés à changer notre manière de vivre, à nous convertir, à sortir de notre habitude, de notre confort et de notre paresse pour devenir effectivement des témoins de l’amour de Dieu. Ce faisant, nous rejoignons la multitude des hommes et des femmes du nord et du sud, de l’est et de l’ouest, qui se sont mis en route à la parole du Christ.
Si nous entendons cet appel et si nous acceptons de changer quelque chose dans nos manières de vivre, alors nous pouvons nous tourner vers Dieu et prier, même si « nous ne savons pas prier comme il faut » (Rm 8, 26), et même si nous ne comprenons pas très bien le fond de ce que nous demandons. Dieu n’attend pas de nous que nous soyons des experts dans la formulation de la prière. Il demande seulement que nous soyons des croyants, des hommes et des femmes qui ont confiance en Lui et qui se tournent vers Lui, pour recevoir de Lui la force, l’espérance et la paix. Ce n’est pas nécessairement parce que les mots nous manquent que nous ne savons pas très bien comment prier. Cela vient plutôt de ce que nous ne sommes pas bien accordés à ce que Dieu veut. C’est pourquoi nous avons besoin que « l’Esprit vienne au secours de notre faiblesse pour nous apprendre à prier » (Rm 8, 26). L’Esprit ne vient pas nous apprendre des mots que nous ignorerions. Il permet qu’à travers les mots que nous connaissons, nous exprimions une prière ‘ineffable’, c’est-à-dire qui ne peut être dite avec des paroles. Dans l’Esprit, les mots que nous exprimons deviennent le moyen par lequel la justice de notre cœur se dispose à accueillir la volonté de Dieu.
En ces jours, si nous prions pour la paix, nous ne demandons pas principalement que Dieu fasse une sorte de miracle en suspendant l’usage de la violence. Nous ne prions pas pour la paix afin de nous éviter de la construire. Prier pour la paix, c’est demander à Dieu qu’il fasse de nous des artisans de paix. Et construire la paix, c’est construire sa vie sur la justice, sur la vérité, sur la miséricorde et sur le pardon demandé et reçu. Si l’Esprit du Christ ouvre nos cœurs et en chasse toute tentation de violence, s’Il ouvre notre vie à nos frères, alors nous pouvons prier pour la paix. Nous pouvons demander à Dieu le don de la paix si nous acceptons de ne pas répondre à l’injure par l’injure, au blasphème par la violence, aux coups par d’autres coups. Nous pouvons prier pour la paix si nous acceptons d’être complètement unis à la personne du Christ qui « devient notre paix par le sang de sa croix » (Col 1, 20). Nous sommes bâtisseurs de paix si nous acceptons d’offrir notre vie avec le Christ. Car ceux qui sont des bâtisseurs de la paix deviennent des victimes de la haine. Le seul prix de la paix, c’est nous-mêmes, si nous sommes prêts à nous donner par amour.
Frères et sœurs, ce jour est un jour tellement important pour notre monde du vingt-et-unième siècle. Les représentants des différentes religions se rassemblent à Assise, à Paris et partout en divers endroits. Ils ne le font non pas pour faire disparaître leurs différences. Ils se réunissent pour manifester que leur foi, quand elle est sincère, leur permet précisément d’accepter qu’il y ait des différences, et de les vivre non comme des justifications de la violence, mais comme des appels au respect mutuel et à la paix.
Prions pour que les signes posés par ces rassemblements fassent découvrir à nos concitoyens que la foi religieuse n’est pas une source de violence. Prions pour que ces signes manifestent que les religions, ensemble, peuvent construire une société de paix pourvu que chacun se laisse conduire par la force de l’Esprit. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris