Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – Deuxième Dimanche de l’Avent – Année B

Dimanche 4 décembre 2011 - Cathédrale Notre-Dame de Paris

Le temps qui sépare les deux venues du Christ (à Bethléem et à la fin des temps) n’est pas une longueur inutile. Inscrite dans l’aujourd’hui du Salut, il est le temps de grâce offert pour la conversion de tous.

 Is 40, 1-5.9-11 ; Ps 84, 9-14 ; 2 P 3, 8-14 ; Mc 1, 1-8

Frères et Sœurs,

Dieu est venu en notre chair en son Fils unique Jésus Christ. Il y a un peu plus de deux mille ans, le Seigneur a pris la condition humaine dans la nuit de Bethléem. Il reviendra à la fin des temps pour conclure l’histoire humaine et rassembler ceux et celles qui accueillent sa Parole et qui la vivent. Comme les générations d’hommes et de femmes qui nous ont précédés et qui nous suivrons, nous sommes situés entre ces deux avènements du Seigneur. Au cœur de l’histoire, nous essayons d’accueillir le Christ et de répondre à son appel par notre manière de vivre.

Mais quelle est la signification de cette succession de siècles qui séparent la mort, la Résurrection, l’Ascension du Christ et l’envoi de son Esprit de son retour glorieux. Le Salut n’a-t-il pas été accompli en plénitude dans le Mystère Pascal ? Pourquoi faut-il encore attendre des siècles pour que s’achève l’histoire humaine ? Ce temps doit-il nous permettre, comme l’écrit saint Paul, « de compléter en notre chair ce qui manque aux souffrances du Christ » (Col 1, 24) ? Ou bien Dieu veut-il se faire désirer ? Veut-il faire monter l’attente au cœur des hommes, comme une sorte de supplice qui s’étendrait au long des siècles ?

La deuxième épître de Pierre nous permet de répondre à ces questions. Elle nous ouvre d’abord à la signification du temps pour Dieu. Pour nous, le temps se compose de minutes, d’heures, de jours, de semaines, de mois, d’années et de siècles qui s’additionnent les uns aux autres et constituent un temps chronologique qui dure, et qui s’écoule, quelque fois trop lentement ou trop vite. Nous comprenons l’histoire humaine comme une succession d’époques qui ont chacune leur richesse et leur misère. Nous avançons dans le temps. Il y a un passé, un présent et un futur. Pour Dieu, il n’en est pas ainsi : « Pour Dieu, un seul jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour » (2 P 3, 8). Pour lui, le temps est un éternel présent et le jour d’aujourd’hui n’est pas différent de la nuit de Bethléem, ni du jour du retour du Christ à la fin des temps. En Dieu, il n’y a pas de durée, de succession d’époques et de longueur du temps, mais un même événement et un même dessein qui se déploient dans un acte unique, perpétuellement en accomplissement.

Ainsi, quand nous disons que nous nous préparons à accueillir la venue du Christ en célébrant sa Nativité, nous ne parlons pas selon notre conception du temps. Nous savons bien qu’il est venu et qu’il reviendra. Nous ne croyons pas qu’il va naître en nos paroisses dans la nuit du 24 au 25 décembre. Mais dans la logique de l’éternel présent de Dieu, la nuit de Noël 2011 est la même que la nuit de Bethléem. C’est le même âge, le même don que Dieu fait de lui-même en son Fils unique. C’est la même lumière qui déchire la nuit.

Ceci nous permet de mieux comprendre le sens du temps qui s’étend entre la première venue du Christ et son retour glorieux. Dieu ne nous a pas oublié comme l’écrit Saint Pierre : « Le Seigneur n’est pas en retard pour tenir sa promesse comme le pensent certaines personnes » (2 P 3, 9). Certains imaginent en effet que la manière d’agir de Dieu est semblable à la nôtre et que le déroulement de son dessein obéit à la logique des hommes. Ils le somment d’intervenir et annoncent avec témérité la date de la fin du monde (le 11 novembre 2011, 11/11/11, ou un autre jour).

Non, « Dieu n’a pas de retard pour tenir sa promesse, comme le pensent certaines personnes ; c’est pour vous qu’Il patiente : car il n’accepte pas d’en laisser quelques-uns se perdre ». (2 P 3, 9). Voilà la clef que saint Pierre nous donne pour comprendre le sens du temps que nous vivons. Notre temps est un temps de grâce, une durée supplémentaire pour que nous puissions nous convertir et nous disposer à recevoir le don de Dieu. C’est un temps donné pour nous employer à ce que tous puissent accueillir la Parole de Dieu. « Dieu n’accepte d’en laisser quelques-uns se perdre ; Il veut que tous aient le temps de se convertir » (2 P 3, 9). Le temps que nous vivons est le temps de la conversion, de l’ouverture du cœur et de la réforme de vie. C’est une chance, un temps d’espérance et non pas un temps de malédiction, de fatalité, de malheur et d’écrasement pour l’homme, même s’il comporte aussi des difficultés et des contraintes.

Pour nous convertir, pour comprendre le Salut et en vivre, nous avons besoin d’un temps qui s’écoule et qui dure. Dieu, lui, n’en n’a pas besoin. Mais il nous laisse le temps nécessaire pour nous permettre de vivre ce chemin de progression. Ce temps nous est donné pour préparer le chemin du Seigneur à travers le désert de l’histoire et de notre histoire, pour aplanir la route, araser les obstacles et combler les précipices. Comme le dit encore saint Pierre : « faites donc tout pour que le Christ vous trouve nets et irréprochables, dans la paix » (2 P 3, 14). Mettre notre vie au net, c’est la mettre en conformité avec la Parole de Dieu. Par là, au cœur de ce temps forcément ambigu, incertain et mêlé, se construisent peu à peu « le ciel nouveau et la terre nouvelle où résidera la justice » (2 P 3, 13).

Si nous laissons Dieu transformer nos cœurs, si nous nous rendons accessibles à la prédication de Jean-Baptiste qui appelait ses contemporains à la conversion pour le pardon des péchés, si nous essayons de mettre notre vie au net, de corriger ce qui est tordu, de remettre ce qui est sombre dans la lumière du Christ ; alors, peu à peu, le monde nouveau poursuit sa croissance au cœur de l’histoire des hommes.

Que le Seigneur nous donne de vivre de cette espérance et de trouver notre joie, non pas dans notre endurance, mais dans la patience de Dieu qui nous donne le temps nécessaire. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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