Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – Troisième dimanche de l’Avent – Année B

Dimanche 11 décembre 2011 - La Madeleine (Paris VIIIe)

L’Avent est un temps offert pour tourner notre regard vers Celui qui vient. Lui seul transforme nos vies et nous offre la grâce de témoigner de sa lumière.

 Is 61, 1-2a.10-11 ; Lc 1, 46-50.53-54 ; 1 Th 5, 16-24 ; Jn 1, 6-8.19-28

Frères et Sœurs,

Pour la seconde fois, la liturgie des dimanches de l’Avent oriente notre regard et notre méditation sur la figure de Jean-Baptiste, le précurseur. Dimanche dernier, notre attention était centrée sur l’appel à la conversion lancé par Jean. Aujourd’hui, les lectures que nous avons entendues nous proposent une autre vision du ministère de Jean, qui complète cette invitation à changer quelque chose dans notre vie pour accueillir le Sauveur qui vient.

Quand nous parlons de conversion nous avons naturellement tendance à penser qu’il s’agit de quelque chose qui regarde notre vie. Il est heureux d’ailleurs que nous envisagions la conversion comme la mise en œuvre de notre capacité de réflexion et de discernement pour réviser notre manière de vivre et changer ce qui ne convient pas. Et ce faisant, nous contribuons à notre manière à la préparation des chemins du Seigneur, « en abaissant les collines et en comblant les ravins » (Is 40, 4).

Cette démarche induit donc un regard introspectif sur ce qui est déréglé dans notre existence et sur ce qui fait obstacle à notre vie dans le Christ. C’est pourquoi elle risque de nous entraîner dans une sorte de narcissisme spirituel. Notre engagement dans cet effort certes bien nécessaire peut nous faire penser que le chemin vers le Christ passe par nous, et qu’il peut être comme bloqué par nos limites et nos erreurs, qui nous attristent d’ailleurs d’autant plus que les années qui passent nous laissent avec le même besoin de conversion.

Aujourd’hui, l’Évangile et les paroles de Jean-Baptiste ne tournent pas notre regard sur nous-mêmes et sur les limites de notre existence, mais sur Celui qui vient. Le premier motif de toute conversion n’est pas d’abord notre perfectionnement personnel et la mise en œuvre de notre capacité à changer notre vie. Elle n’a pas pour objectif de nous orienter sur nous-mêmes mais de nous ouvrir à Celui que nous allons accueillir dans la célébration de la Nativité. Le Christ seul est le but, le motif et le fruit de notre conversion. C’est pour reconnaître Jésus de Nazareth, né à Bethléem, que nous sommes invités non pas simplement à corriger tel ou tel aspect de notre vie, mais à vivre une véritable metanoia au sens propre du terme : un retournement de notre regard, une orientation nouvelle de notre liberté et de notre attention.

La reconnaissance de l’identité de Celui qui vient relativise beaucoup les petits changements auxquels nous sommes invités, et que nous essayons de mettre en pratique. Il ne s’agit plus de mobiliser le Christ pour perfectionner notre vie, mais de laisser la venue du Christ irradier notre existence. Jésus est la vraie lumière. Aucun d’entre-nous, ni l’Église elle-même n’est la lumière. Nous sommes chargés de rendre témoignage à cette lumière.

En portant notre regard sur Celui qui vient, nous anticipons d’une certaine façon la joie de la Nativité. Ce temps que nous sommes appelés à vivre est tout entier rempli de la joie d’accueillir Celui qui va donner un sens nouveau à notre vie, et fortifier notre capacité à mener une existence nouvelle. C’est pourquoi la liturgie de ce troisième dimanche de l’Avent est toute entière traversée par l’expression de cette joie : « Je tressaille de joie dans le Seigneur, mon âme exulte en mon Dieu » (Is 61, 10 et Lc 1,46).

La venue du Seigneur est la cause de notre joie et le don de son Esprit nous consacre « pour porter la Bonne nouvelle aux pauvres, guérir ceux qui ont le cœur brisé, annoncer aux prisonniers la délivrance, aux captifs la liberté, et - enfin par-dessus tout - annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur » (Is 61, 1). Cette année de grâces que nous inaugurons en ce Temps de l’Avent s’écoulera tout au long de l’année 2012 jusqu’à la fin du cycle liturgique. Au sens propre du terme, Dieu nous fait grâce pendant un an pour que nous puissions entrer dans la vie nouvelle qu’Il nous propose.

De même, saint Paul écrit aux Thessaloniciens : « Soyez toujours dans la joie, priez sans relâche, rendez grâce en toute circonstance » (1 Th 5, 16-18). Puisque la perspective de la venue du Christ est la source de notre joie, la dimension décourageante ou troublante de la conversion à laquelle nous sommes invités, se transforme en un sentiment de délivrance et de libération. Ceux et celles qui, comme nous, attendent la venue du Christ et préparent leur cœur à sa lumière, ne sont pas plongés dans le désarroi ou la tristesse. Ils sont plein d’espérance car ils savent que Celui qui vient est le Messie. Nous ne sommes pas le Messie. L’Église n’est pas le Messie. Notre mission, comme celle de Jean-Baptiste, est d’annoncer la venue du Christ et de redire que Dieu est resté fidèle à son Alliance et qu’Il va accomplir ce qu’Il a annoncé par les prophètes.

« L’Esprit de Dieu est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction » (Is 61, 1). Cette promesse du prophète Isaïe va s’accomplir dans la personne de Jésus au moment de son baptême. Elle va s’accomplir pour tous ses disciples au moment de la Pentecôte. Elle s’est aussi accomplie pour le peuple de ceux qui sont venus ensuite, et pour chacun et chacune d’entre-nous dans notre baptême et notre confirmation, dans lesquels nous avons reçu la plénitude de l’Esprit pour devenir témoins du Christ qui vient.

Nous vivons une époque difficile. Aujourd’hui même, beaucoup de gens nourrissent crainte ou anxiété à l’égard de l’avenir. Chacun se demande ce qui va arriver et comment notre humanité saura le vivre. Ces inquiétudes peuvent concerner la situation économique, la préservation de l’environnement ou encore chacune de nos existences (que vais-je devenir ? Vais-je bénéficier d’une bonne santé ? Trouverai-je les soins nécessaires ?) Nous vivons cette préoccupation pour nous-mêmes mais également pour nos proches et pour ceux qui nous entourent. Ce souci est d’ailleurs humain, normal et compréhensible.

Mais notre foi au Christ nous laisse-t-elle tomber de l’inquiétude dans la crainte et de la crainte dans l’angoisse ? Ne pouvons-nous pas plutôt prendre acte de cette préoccupation qui habite toujours le cœur de l’homme et orienter notre regard sur le changement radical qui survient, qui est survenu, et qui surviendra lorsque le Christ entre dans l’histoire des hommes, plutôt que de chercher tout seul des moyens de changer les choses ? Si nous croyons vraiment que dans la nuit de Bethléem le Fils de Dieu s’est incarné, que Jésus de Nazareth est mort et ressuscité pour notre vie, et que la puissance de son Esprit sublime les faiblesses de l’homme et lui permet de surmonter ses difficultés, alors nous pouvons nous aussi nous laisser porter par la joie de ceux qui attendent le Christ.

« N’éteignez pas l’Esprit » (1 Th 5, 19) nous dit saint Paul, « discernez la valeur de toute chose » (1 Th 5, 21). Cette joie nous permet de relativiser un certain nombre d’événements de notre propre vie et de la vie du monde. Elle nous donne de comprendre qu’à travers ces événements, Dieu accomplit son œuvre, qu’Il nous prend dans son amour et nous permet d’avancer avec confiance vers la venue du Messie.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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