Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – Messe inaugurale de l’année jubilaire du Centenaire de la consécration de l’église Sainte-Anne de la Butte-aux-Cailles – Épiphanie du Seigneur
Dimanche 8 janvier 2012 - Sainte-Anne de la Butte-aux-Cailles (Paris XIIIe)
Comme les mages dans la crèche, notre Église dont être le lieu où sont accueillis ceux qui cherchent la vérité. Comme les églises de pierre bien visibles, la vie chrétienne de nos communautés est un signe qui doit étonner et attirer.
– Is 60, 1-6 ; Ps 71 ; Ep 3 ; Mt 2, 1-12
Frères et Sœurs,
Les Mages qui se sont mis en route vers Jérusalem représentent les nations païennes. Les enfants qui ont apporté tout à l’heure les statues devant l’icône de la Sainte-Famille symbolisent eux-aussi les peuples en marche vers le Christ. C’est par leur réflexion et leur capacité à scruter le ciel que les Mages ont été conduits à entreprendre ce long voyage depuis l’Orient, lorsqu’ils ont vu se lever une étoile particulière. Leur démarche ressemble à celle de tant d’hommes et de femmes à travers les âges qui cherchent à comprendre leur existence, à connaître la vérité et le chemin qui conduit au bien et au bonheur. Dans cette entreprise beaucoup investissent des forces, du travail, du temps, et une part importante de leur vie.
Les Mages qui viennent reconnaître le roi des Juifs n’appartiennent pas au peuple d’Israël. Ils n’ont reçu ni les prophéties, ni la révélation biblique adressée au Peuple élu. C’est pourquoi leur venue à Bethléem pour adorer le Christ est donc le signe de la rencontre entre la sagesse humaine et la révélation divine.
Les prêtres de Jérusalem consultés par Hérode sur le lieu où devait naître le Messie lui donnent les renseignements puisés dans la tradition biblique. Même si, comme la suite de l’histoire le montrera, les intentions d’Hérode n’étaient pas pures, il transmet à son tour ces informations aux Mages et se fait messager de la Révélation pour ces hommes en recherche de Dieu. Ce contact entre la sagesse païenne et la Révélation chrétienne dans la personne de Jésus de Nazareth est pour l’évangéliste un signe prophétique : la mission du Christ ne concerne pas seulement le Peuple élu. Elle est ouverte à toutes les nations, à toute l’humanité.
Cette universalité de la mission du Christ est au cœur du basculement de ce que saint Paul appelle « la révélation du mystère » (Ep 3, 2) : l’élection dont est l’objet le peuple d’Israël s’ouvre à la totalité des nations, « les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus » (Ep 3, 6). Cette rencontre entre la sagesse des hommes qui vivent en dehors de la révélation, et ceux qui en sont les bénéficiaires est donc manifestée dès la naissance du Christ. Ces évènements révèlent ce que sera la mission du Jésus au cours de son ministère public. Ils prophétisent aussi la nature de l’Église que Jésus va fonder. Comme l’enfant de la grotte de Bethléem, l’Église doit être ce lieu où la recherche des hommes rencontre la manifestation du don de Dieu. Comme le Christ, l’Église doit être ouverte à cette quête de la Vérité parfois hésitante, fluctuante ou pervertie, qui demeure au cœur de l’humanité, et témoigne du désir de vie et de bonheur inscrit en elle par Dieu depuis la Création.
Cette rencontre est le cœur de la mission de l’Église. Elle définit le sens de l’évangélisation : annoncer l’Évangile, c’est ouvrir la richesse de la Révélation à la multitude de l’humanité. Chacune de nos communautés chrétiennes à travers les âges, reçoit la mission d’être ce lieu de rencontre. Dans ce quartier de Paris, votre paroisse de Sainte-Anne est appelée à permettre que le don de Dieu, l’accomplissement de ses promesses dans le Christ et la manifestation de la richesse de sa miséricorde et de son amour rejoignent l’attente d’une humanité qui ne le connait pas ou vaguement, qui l’ignore ou qui le recherche de manière hésitante ou imparfaite.
Nous ouvrons aujourd’hui la célébration du centenaire de cette église. Mais pourquoi planter une église au milieu du tissu urbain ? Est-ce simplement pour bâtir un refuge pour que les chrétiens se retrouvent entre eux et puissent se réjouir entre eux de la grâce qui leur est faite ? Ou bien est-ce un signe de l’ouverture de cette grâce à la multitude des hommes ? Passer d’une église-ghetto à une église-rencontre, c’est engager notre expérience chrétienne dans la mission et l’évangélisation. Nous ne sommes pas sélectionnés par Dieu pour constituer un isolat séparé des hommes et des femmes qui nous entourent. Nous sommes choisis, appelés et consacrés par Dieu pour devenir l’instrument de la manifestation de sa présence, de son amour et de son appel.
La fonction première d’une église comme Sainte-Anne, placée au cœur de la ville, est de donner un signe visible de ce que Dieu donne et propose aux hommes. Nous savons que cette intention ne rend pas pour autant ce signe compréhensible par tous et ne nous oblige pas à réduire l’originalité de notre expérience pour qu’elle devienne intelligible à tout le monde. Mais la réalité même de notre expérience visible ainsi au cœur de la ville est un signe pour tous. De même que le bâtiment de notre église est bien marqué dans le tissu architectural de Paris, la communauté que nous constituons (qui se rassemble dans cette église) doit être bien visible dans le tissu quotidien de l’existence des hommes. Chacune et chacun des membres de notre communauté est appelé à être témoin du don de Dieu à travers sa manière de vivre, sa manière d’entrer en dialogue avec les autres, sa manière de mettre en œuvre la charité du Christ…
En vous invitant il y a trois ans à « Paroisses en mission », j’avais précisément l’intention de faire croître dans les communautés chrétiennes qui se réunissent chaque dimanche, le désir de vivre de façon plus active la dimension missionnaire de leur vie chrétienne. Nous recevons de Dieu la capacité d’être témoins de la foi au milieu des circonstances de l’existence, dans nos familles, nos réseaux d’amitié, nos immeubles, notre travail, notre société, et partout où des chrétiens sont à l’œuvre. Par nous, Jésus ouvre ses bras pour accueillir les nations païennes. Il dépend donc de nous que cette présence chrétienne dans le monde soit significative et compréhensible. Par le Christ, notre vie se fait provocante, au sens où elle va aider des gens à se poser des questions : comment se fait-il qu’en 2012, des hommes et des femmes ordinaires puissent croire à la réalité du Christ vivant ? Est-il possible qu’aujourd’hui, dans les conditions que nous connaissons, des hommes et des femmes ne se referment pas sur leur bien mais se mettent au contraire à la disposition des autres ? Comment des hommes et des femmes donnent-ils le signe de l’amour du prochain et de leur volonté de venir en aide à leurs frères ?
Voilà notre mission et l’héritage que nous recevons de ceux qui nous ont précédés. Votre église paroissiale est l’héritage d’un siècle de travaux persévérants. Notre Église diocésaine de Paris est l’héritage de plusieurs siècles de labeur pastoral fidèle. L’Église du Christ est le fruit de la longue histoire d’amour entre Dieu et l’humanité. Aujourd’hui, c’est à nous qu’il est donné de donner chair à cette promesse d’Alliance. A nous, qu’il est donné de manifester au monde que l’Église est un lieu ouvert où l’homme peut poser ses questions, chercher des réponses, être accueilli dans ses difficultés comme dans ses espérances, et découvrir peu à peu qui est cet enfant dans le crèche, donné aux hommes comme signe de la miséricorde de Dieu.
Frères et sœurs, célébrer cette année de jubilé n’est pas simplement un geste commémoratif. Nous ne cherchons pas à nous réjouir d’avoir tenu pendant cent ans, ou d’avoir amélioré peu à peu cette église. Célébrer le jubilé est d’abord l’occasion de nous demander : que faisons-nous de ce que nous avons reçu ? Comment n’en faisons-nous pas un patrimoine gelé, mais la source d’un dynamisme nouveau, un héritage fructifié, distribué et ouvert ?
Votre communauté, en faisant mémoire de tout ce qu’elle a reçu, est appelée à être elle-même une source de vie pour ceux qui l’entourent. Rendons grâce au Seigneur qui nous donne de participer à la mission de l’Église. Rendons-lui grâce de nous avoir choisis pour être aujourd’hui les témoins de la foi.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.