Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe pour l’Enseignement Catholique de Paris - Remise des orientations diocésaines de l’Enseignement Catholique de Paris
Mercredi 1er février 2012 - Cathédrale Notre-Dame
Les jeunes qui sont accueillis dans l’enseignement catholique, quel que soit leur rapport à la foi peuvent entendre quelque chose de nouveau de la Parole du Christ, ne serait-ce que de voir vivre les chrétiens les plus affermis, qui doivent donc être soutenus et nourris.
– 2 S 24, 2.9-16a.17 ; Mc 6, 1-6
Chers amis,
L’évangile de Marc nous présente des aspects divers de la figure du Christ. Un trait dominant se dessine pourtant : le Christ est venu pour enseigner son Peuple, pour annoncer la Bonne nouvelle : « Le Royaume de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. » (Mc 1, 14) Au cours des différentes situations que présente l’évangile de Marc, Jésus enseigne, tantôt devant des foules indéterminées, tantôt à la synagogue le jour du Sabbat, tantôt dans le cercle plus restreint des disciples qu’il emmène à l’écart pour les instruire. Dès le début de son ministère public, les paroles de Jésus frappent les gens d’étonnement, car il parle comme quelqu’un d’exceptionnel, « il enseigne avec autorité, non pas comme les scribes et les pharisiens » (Mc 1, 22). D’autres, ou les mêmes, s’interrogent et se demandent d’où lui viennent ces paroles et cette sagesse inaccoutumées, alors qu’il est un homme comme les autres.
La Parole de Dieu, quand elle fait irruption dans le monde, provoque toutes sortes de réactions, mais certainement pas l’indifférence. Nous avons quelquefois l’impression que l’annonce de la foi laisse un certain nombre d’auditeurs sans réaction ou provoque leurs critiques et leur rejet. Mais nous ne devons pas nous en émouvoir. En l’occurrence, la question n’est pas l’apparence de la réaction des auditeurs de la Parole, mais ce que cette Parole provoque réellement au fond des cœurs. Vous qui êtes engagés quotidiennement dans l’enseignement le savez mieux que quiconque : ce qui change effectivement dans les personnes ne correspond pas toujours aux signes extérieurs qu’elles en donnent, et plus particulièrement peut-être chez des adolescents ! Nous ne devons pas mesurer ce que nous annonçons ou mettons en œuvre de la foi et de la vie chrétienne, à l’aune des réactions des uns ou des autres, mais à la vérité de ce dont nous témoignons.
Beaucoup des jeunes qui fréquentent vos établissements ont eu une formation chrétienne. Pour certains, elle a été très suivie et approfondie, à travers l’initiation aux sacrements et la participation à la vie sacramentelle de l’Église. D’autres ont eu une initiation chrétienne tout à fait épisodique et fragmentaire, voire aléatoire. D’autres encore n’en n’ont eu aucune et d’autres enfin n’en désirent pas car ils appartiennent à des religions différentes. Les jeunes qui fréquentent nos établissements offrent un panel complet des attitudes possibles à l’égard de la foi chrétienne. De ce point de vue, les établissements catholiques sont un reflet fidèle de ce qui se passe dans la société, où les chrétiens confirmés et désireux de vivre leur vie chrétienne vivent immergés au milieu de gens ayant des attitudes diverses à l’égard de la foi catholique : l’attachement profond et sincère, le lien de tradition plus ou moins distendu, l’indifférence ou l’appartenance à d’autres religions.
Pour ces jeunes que nous accueillons, comment pouvons-nous, non seulement respecter le positionnement de chacun à l’égard de la foi, mais ouvrir pour tous une possibilité d’entendre quelque chose de nouveau de la réalité historique du christianisme, qui permette une découverte ou une redécouverte ? C’est probablement l’un des enjeux centraux du projet éducatif de l’enseignement catholique. Et faire entendre la Parole du Christ, même quand il s’agit du cœur de son enseignement, ne nécessite pas forcément un cadre expressément confessionnel ou liturgique. Par exemple, dire « aimez-vous les uns les autres », ou dire qu’il est mieux de pardonner que de se venger, ne me semble pas faire violence à quelque conscience que ce soit ! Providentiellement, à travers les caractéristiques de vos différents établissements, vous vous trouvez dans la position de tout chrétien en ce monde, ou dans la position de Jésus lorsqu’il se rend chez les siens à Nazareth. Il n’était pas attendu, et il surprend parce qu’il ne parle pas de ses racines villageoises, mais annonce justement quelque chose de nouveau, à quoi les gens de Nazareth ne s’attendaient pas. Pour nous, c’est un encouragement et une confirmation : la mission apostolique de l’enseignement catholique est d’être un lieu où des jeunes de toute origine et de toute position à l’égard de la foi ont l’occasion de vivre quelque chose d’inédit.
Parmi ces nouveautés possibles, il y a d’abord un contact direct avec des chrétiens. En effet, celui qui entre dans un établissement catholique sait bien que ce n’est pas le fronton seulement qui est catholique. Il sait qu’au moins une partie de membres de l’établissement sont des catholiques ! Nous le savons, nos établissements sont parfois des melting-pots culturels et religieux. Ce fait nous place d’emblée dans une situation d’annonce et d’ouverture, à condition que nous encouragions les chrétiens à vivre leur christianisme, non pas en agissant en prosélytes actifs à l’égard de ceux qu’ils rencontrent, mais en devenant des disciples convertis à l’Évangile du Christ, et en mettant en pratique ce qu’ils découvrent et ce qu’ils apprennent peu à peu de la doctrine chrétienne.
Les établissements catholiques offrent également un cadre unique, et assez rare, pour aider des jeunes et des adultes qui ne sont pas chrétiens à découvrir comment la foi chrétienne s’alimente à la source de l’intelligence et éclaire la raison humaine. Un établissement désigné comme catholique, et donc lié à la Tradition chrétienne, peut être un lieu où la culture ne s’impose pas de l’extérieur, comme une réalité exogène, mais où la culture est un ensemble de pratiques, de richesses et de pensées profondément unies à la foi. La foi chrétienne éclaire la réalité humaine de l’existence et lui donne la possibilité d’atteindre la plénitude de ses moyens.
Nous le savons bien, tout notre travail apostolique porte ou portera du fruit, même si nous ne savons pas où, quand et comment. L’un plante, l’autre cultive et un troisième moissonne. Votre mission d’enseignement et d’éducation vous place plutôt du côté des planteurs que du côté des moissonneurs ! Durant toute votre carrière, vous voyez passer des cohortes de jeunes sans jamais savoir, ou de façon accidentelle et exceptionnelle, comment ces années qu’ils ont vécues au contact de la foi chrétienne dans votre établissement portent du fruit. Á travers les rencontres que je suis amené à faire, il m’arrive régulièrement d’entendre des hommes et des femmes qui me parlent – sans que je le leur demande – de leur scolarité dans telle école et de l’importance que cela a pu avoir pour eux, de tel prêtre ou de tel enseignant. Je vous dis cela non pas pour vous dorer la pilule, mais pour vous encourager à accepter de semer sans mesurer la fructification.
Ceci suppose aussi d’accepter de soutenir les élèves qui essayent de vivre en disciples du Christ. C’est le moins que l’on puisse faire dans un établissement catholique ! Avec les prêtres qui participent à la vie de vos institutions, vous pouvez les encourager et les aider à célébrer la foi à travers un acte réel et sacramentel, et pas simplement comme un exposé documentaire. Notre mission est de nourrir, dans chaque établissement, une communauté chrétienne dont les contours ne nous appartiennent pas et varient sans cesse. Mais nous savons que l’attraction du Christ dépasse ce que nous voyons et ce que nous pouvons mesurer.
C’est donc avec beaucoup de confiance que je vais vous remettre les orientations diocésaines de l’Enseignement catholique pour le diocèse de Paris, comme un instrument qui vous aide à organiser et à structurer un certain nombre d’aspects de la vie de vos établissements, et qui contribue surtout à permettre à des jeunes de rencontrer le Christ au long de leurs études. Je vous remettrai aussi une plaque qui représente Notre-Dame de Paris, qui vous est confiée pour la placer dans votre établissement, comme un signe de communion avec l’Église.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.