Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - 1e dimanche de Carême – Année B

Dimanche 26 février 2012 – Cathédrale Notre-Dame de Paris

Jésus Christ est l’homme nouveau. Se convertir, c’est le laisser renouveler notre vie petit à petit.

 Gn 9, 8-15 ; Ps 24, 4-9 ; 1 P 3, 18-22 ; Mc 1, 12-15

Frères et Sœurs,

Après les premiers péchés de l’humanité, Dieu a voulu tout recommencer à neuf, c’est-à-dire effacer l’homme pécheur de la surface de la terre (Gn 6, 6). Autour de Noé, une petite poignée d’hommes et de femmes a cependant trouvé grâce à ses yeux. Elle devait assurer la continuité entre l’humanité née d’Adam et Eve et l’humanité nouvelle sortie du déluge. La première lettre de saint Pierre nous dit « qu’un petit nombre de personnes, huit en tout, furent sauvées à travers l’eau » (1 P 3, 20).

Ce passage de l’humanité à travers les eaux de la mort du déluge est une préfiguration du baptême (1P 3, 21). Il anticipe aussi la traversée de la Mer Rouge d’où sortira libre et vainqueur le peuple d’Israël. Mais avant l’Alliance avec Israël, dans ces temps lointains des origines, l’alliance conclue avec Noé concerne toute l’humanité. Dans la tradition biblique, c’est l’alliance la plus universelle, dont les exigences seront le noyau très réduit des commandements que les apôtres appliqueront à quiconque voudra entrer dans l’Alliance Nouvelle. Ces exigences sont des préceptes moins nombreux et détaillés, plus généraux que les Dix commandements.

Cette alliance « brute » est offerte à l’humanité nouvelle sortie des eaux du déluge et annonce une nouvelle création dont la violence sera éliminée, selon les mots du prophète Isaïe (Is 65, 25). Mais cette nouvelle humanité et ce nouveau monde ne sont encore qu’une ébauche, une préfiguration en espérance de ce que Dieu veut accomplir. C’est en Jésus de Nazareth qu’Il mènera son dessein à son accomplissement. C’est ce que manifeste ce passage de l’évangile de saint Marc où l’on voit Jésus dans le désert, confronté à l’épreuve de la mort, vivant parmi les bêtes sauvages et servi par les anges (Mc 1, 13). Autour de Jésus se réalise la pleine harmonie de la création, quand s’accordent ceux qui sont les plus près de Dieu, les anges, et ceux qui sont le plus près de la brutalité originale, les bêtes féroces. Cette unité autour de la personne de Jésus est le signe que le dessein de Dieu est achevé, que « les temps sont accomplis, que le règne de Dieu est tout proche » (Mc 1, 15). Cette annonce constituera le cœur du message de Jésus tout au long de sa vie publique, qui se prépare ici par cette épreuve au désert.

Dans l’évangile de Marc, le récit très concis des quarante jours au désert ne reprend pas les trois tentations de Jésus. Il fixe notre attention sur les éléments constitutifs de ce passage : le baptême (« Jésus venait d’être baptisé » (Mc 1, 9)) et la venue de l’Esprit (« aussitôt l’Esprit le pousse au désert » (Mc 1, 12)). L’existence chrétienne ne surgit-elle pas du baptême et ne passe-t-elle pas, dans l’Esprit, par l’épreuve de la confrontation avec le mal et la mort ?

« Tenté par Satan pendant quarante jours. Il vivait parmi les bêtes sauvages » (Mc 1, 13). Ce tableau dressé par l’évangéliste a une fonction pédagogique : Jésus maîtrise la tentation comme il maîtrise la violence des bêtes sauvages. Il est l’homme nouveau, la nouvelle créature. Les auditeurs, qui se représentent cette scène, peuvent se demander comment participer à cette vie nouvelle, comment reconnaître que les temps sont accomplis, comment accueillir le règne de Dieu qui est tout proche ?

« Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle » dit Jésus (Mc 1, 15). Voilà le message de carême le plus concis et le plus simple. Se convertir et croire à la Bonne Nouvelle sont en effet deux éléments indissociables. C’est dans l’adhésion à la Bonne Nouvelle qui nous est annoncée que nous puisons la force de nous convertir. L’Évangile ne nous appelle pas à vivre des privations et à corriger notre vie morale pour modéliser, pour nous-mêmes, une forme d’existence plus admirable. L’Évangile nous propose autre chose : croire que Jésus est le Fils de Dieu et qu’il est venu apporter l’accomplissement du dessein de Dieu. C’est pour participer à cette nouvelle création et à ce monde nouveau que nous désirons de tout notre être entrer dans une purification semblable au déluge : noyer tout ce qui nous empêche de vivre avec le Christ, pour ne laisser subsister que ce qui peut servir de point d’appui pour la vie nouvelle avec Lui. Nous purifions notre vie et nous changeons notre manière de vivre pour que notre foi soit vraiment la colonne vertébrale de notre existence.

À quoi bon se dire chrétien si cela ne transforme pas notre manière d’être ? Je voudrais encore souligner deux aspects de cette conversion à laquelle le Christ nous invite.

Le premier c’est la dimension personnelle de la conversion. Personne ne peut se convertir à votre place, et Dieu ne vous demande pas de faire le programme de conversion des autres. C’est ce que font parfois les pharisiens dans l’Évangile, et nous savons comment Jésus les traite. Dieu ne nous demande pas de dire ce que les autres devraient faire. Il veut que nous changions notre vie à nous. Nous ne pouvons pas tout changer, ni tout changer d’un coup. Cependant, si nous changeons un petit quelque chose, année après année, et si nous nous y tenons, cela fini par faire advenir une vie nouvelle. Chacun et chacune de nous se trouve devant cette question : qu’est-ce que je change cette année ? Où sera ce monde nouveau dans ma vie ?

Et le deuxième aspect est que cette conversion personnelle que personne ne peut faire à ma place (et que je ne puis faire à la place de personne), ne peut être vécue qu’en Église. C’est à quoi nous invite le Pape Benoît XVI, dans son message de carême, en citant la lettres aux hébreux : « Faisons attention les uns aux autres pour nous stimuler dans la charité et les œuvres bonnes » (10, 24). Si je ne peux formuler les exigences de la conversion pour mon frère, je dois cependant le regarder et essayer de comprendre quel message m’est adressé à travers lui. Humblement je dois reconnaître que ma manière de vivre peut aussi l’aider à se convertir. Soyons attentifs les uns aux autres, ne vivons pas notre conversion comme une œuvre complètement privée qui ne regarde personne. Car si c’était le cas, nous ne serions pas ici ! C’est toute l’Église qui est invitée à faire peau neuve. Nous sommes invités à convertir chacune de nos vies dans ce peuple renouvelé.

Que Dieu nous donne de contempler Jésus Christ l’homme nouveau, qui peut faire toute chose nouvelle, dans son Église, dans le monde et dans chacune de nos vies.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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