Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - 3e dimanche de Carême – Année B

Dimanche 11 mars 2012 - En la cathédrale Notre-Dame de Paris

Dans la purification du Temple Jésus se manifeste comme celui qui est la présence de Dieu au milieu de son peuple. Cette présence suscite notre foi et provoque notre conversion. Jésus s’appuie sur notre peu de foi pour la faire grandir.

 Ex 20, 1-17 ; Ps 18, 8-11 ; 1 Co 1, 22-25 ; Jn 2, 13-25

Frères et Sœurs,

Le passage de l’évangile de saint Jean que nous venons d’entendre se situe au début du ministère public de Jésus, juste après l’épisode des noces de Cana en Galilée. À Cana, « Jésus a manifesté sa gloire et ses disciples ont cru en lui » (Jn 2, 12), parce qu’ils ont été témoins du signe qu’il a accompli. Sans transition, l’évangile nous transporte de la Galilée à Jérusalem, au Temple, pour la fête de la Pâque. Le Temple de Jérusalem était le lieu le plus sacré, le lieu saint de tout le judaïsme, le lieu de la présence de Dieu au milieu de son Peuple. Jésus va y poser un acte d’autorité, qui ne peut être perçu que comme une critique par les prêtres et tout le personnel du Temple.

La question n’est pas de savoir s’il y avait trop de marchands. De toute manière, il fallait des marchands pour vendre les animaux nécessaires aux sacrifices, et des changeurs pour que l’offrande des fidèles soit acquittée en monnaie juive. Le geste posé par Jésus questionne plutôt la pérennité du système sacrificiel d’Israël, et invite à se demander ce que la venue du Christ inaugure de nouveau. Un peu plus loin dans l’évangile de saint Jean, Jésus dira a la Samaritaine : « l’heure vient, et elle est là, où le Père cherchera des adorateurs en esprit et en vérité » (Jn 4, 43). Avec Jésus, la présence de Dieu au milieu de son peuple n’est plus identifiée à un espace, à un bâtiment (si prestigieux soit-il), ou à un sanctuaire (si vénéré soit-il). La présence de Dieu au milieu des hommes, c’est la personne même de Jésus de Nazareth, l’Envoyé et le Fils Unique de Dieu. C’est aussi le peuple de ses disciples, habités par l’Esprit-Saint.

Devant le geste de Jésus, que l’évangéliste nous présente comme provocateur, la question qui lui est posée est de savoir par quelle autorité il agit ainsi. Par quelle autorité peut-il s’instaurer comme le purificateur du Temple ? Par quelle autorité prétend-il mettre en accusation la caste sacerdotale de Jérusalem et les pratiques cultuelles d’Israël ? S’il se manifeste ainsi comme Messie et prétend avoir une autorité sur le Temple et sur le Peuple tout entier, il doit donner des signes messianiques clairs, selon ce que saint Paul rappelle dans la première épître aux Corinthiens : « les juifs réclament les signes du Messie » (1 Co 1, 22).

Jésus répond à cette question par une petite parabole sur la destruction du Temple : « Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai » (Jn 2, 19). Puisqu’il est lui-même, aujourd’hui, la présence de Dieu au milieu de son peuple, lorsqu’il parle de la destruction et du relèvement du Temple, il parle de son Corps et prophétise sa mort et sa résurrection. C’est bien ainsi que l’évangile interprète les paroles de Jésus à la lumière de l’évènement pascal.

Le signe des noces de Cana avait conduit les disciples à croire en Jésus. De même, l’évangéliste conclue cet épisode au Temple de Jérusalem en écrivant que « beaucoup crurent en Lui à la vue des signes qu’il accomplissait » (Jn 2, 23). Ainsi se dessine peu à peu l’adhésion à la personne de Jésus, à cause de son enseignement et des signes qu’il accomplit. Devant cela, certains des disciples ont peut-être nourri l’illusion que tout le peuple allait suivre et élever Jésus sur le pavois sans coup férir ! « Mais, nous dit l’évangile, Jésus n’avait pas confiance en eux, parce qu’il les connaissait tous, il connaissait par lui-même ce qu’il y a dans l’homme » (Jn 2, 24-25).

Cette réflexion pourrait sembler manifester une défiance foncière et irrémédiable de Jésus vis-à-vis des hommes. Il me semble qu’elle ouvre plutôt l’espace d’une progression. Le chemin parcouru par le Christ, les signes et l’enseignement qu’il va donner, pourront s’appuyer sur ce premier mouvement de foi, si faible et imparfait soit-il, pour faire progresser les uns et les autres vers une foi plus profonde et plus complète.

Ainsi en est-il pour nous qui recevons cette Parole aujourd’hui. Nous aussi, nous croyons en Jésus à cause des signes qu’il a accomplis. Et pourtant, notre foi n’est pas parfaite. Elle n’a pas encore intégré toutes les dimensions de notre existence et toutes les capacités de nos moyens dans la suite du Christ. Pour chacun de nous, il reste un chemin à parcourir, qui est un chemin de conversion. Dans l’évangile de saint Marc, le père du jeune homme épileptique qui demande la guérison de son Fils dit à Jésus : « Je crois ! Viens en aide à mon manque de foi » (Mc 9, 24). Notre foi n’est jamais complètement achevée ou accomplie. Elle est une réalité vivante et appelée à grandir, à se purifier, à unifier peu à peu toutes nos capacités, et aussi à rassembler toujours plus de monde. Croire en Jésus, c’est s’engager dans un chemin où peu à peu il va façonner notre vie et redresser ce qu’il y a en nous de tordu, de mal orienté, d’impur, d’égoïste. La foi est un chemin qui nous « conduit vers la vérité toute entière » (Jn 16, 13).

En ce temps de carême, nous prenons conscience que la présence de Dieu en ce monde suscite en même temps adhésion, aspiration, espérance, mais aussi incertitude, questionnement ou hésitation. Cette présence est celle de celui qu’il a envoyé, son Fils Unique, mais aussi celle qui repose sur ceux qu’il associe à son Fils Unique par le don de l’Esprit dans l’Église. Tout au long de notre vie, le Christ nous aide à nous appuyer sur ce qui existe en nous de foi, pour nous conduire vers la plénitude de la foi, telle que le centurion l’exprimera devant Jésus en croix en s’écriant, « celui-ci était vraiment le Fils de Dieu » (Jn 15, 39). « Folie pour les païens, scandale pour les Juifs » (1 Co 1, 23), le Messie se révèle non pas dans la domination et la puissance, mais dans le dénuement et la faiblesse. Ainsi, Dieu manifeste que c’est sa puissance qui ressuscite Jésus d’entre les morts et nous relève jour après jour. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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