Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Vigile Pascale – Année B

Samedi 7 avril 2012 - Cathédrale Notre-Dame de Paris

Recevoir la Bonne nouvelle de la résurrection, c’est simultanément être chargé de l’annoncer. Mais, pour cela, nous ne devons pas rester devant la tombeau vide, nous devons aller vers la Galilée de nos vies où le Christ nous devance.

 Toutes les lectures de la Vigile et Mc 16, 1-8

Frères et Sœurs,

Permettez-moi d’abord de remercier notre frère orthodoxe qui vient de proclamer en grec l’évangile de la Résurrection du Christ, dans la langue dans laquelle il a été rédigé. C’est un signe de notre communion dans la même foi au Christ Ressuscité qui nous est ainsi donné. Nous nous en réjouissons !

Dans cet évangile, les femmes ont eu peur (Mc 16, 8). Elles ont certainement eu peur en trouvant le tombeau vide. Mais elles ont eu plus peur encore quand cet homme vêtu de blanc – un ange vraisemblablement – leur a dit justement de ne pas avoir peur ! La première frayeur vient de l’étonnement de ne rien trouver là où elles avaient vu déposer le corps de Jésus. Mais la seconde peur n’est pas une peur de surprise. C’est une peur de mission. En effet, le jeune homme leur a dit de rejoindre les disciples, et de leur annoncer qu’elles avaient trouvé le tombeau vide et que Jésus était ressuscité (Mc 16, 6-7).

Nous qui sommes chrétiens depuis plus ou moins longtemps - ou qui allons le devenir - nous faisons peut-être un usage un peu facile du vocabulaire de la Résurrection. Nous disons ou nous chantons « Il est ressuscité » comme si cela allait de soi, et comme s’il était raisonnable de croire qu’un mort puisse ressusciter ! Il nous est difficile d’imaginer la mission que les femmes ont reçue, celle d’être les premières à annoncer que Jésus était ressuscité et qu’il les précédait en Galilée comme il le leur avait dit (Mc 16, 7). Ce n’est pas parce qu’elles étaient plus timides ou plus faibles que d’autres qu’elles ont eu peur d’annoncer la Résurrection du Christ. Elles étaient effrayées parce que c’est un message redoutable à proclamer ! Cela revient en effet à prendre position sur l’événement le plus inévitable de la vie de chacun d’entre-nous : notre propre mort. S’il y a une chose dont tout le monde est sûr, c’est qu’il mourra. Et celui qui vient nous annoncer qu’il ne mourra pas nous raconte des histoires. Il est donc difficile de prendre au sérieux celle qui vient annoncer aux apôtres : Celui que vous avez vu crucifié sur le calvaire : il est ressuscité !

Demandons pourtant à ces femmes de nous prendre la main, et de nous conduire vers ce tombeau où elles pensaient trouver le corps de Jésus supplicié. Au cours de cette vigile, nous avons suivi les grandes étapes, au combien résumées, de l’histoire d’Israël, de l’histoire de l’humanité depuis la Création jusqu’à la venue du Christ. D’étape en étape, nous avons pu nous remémorer cette histoire d’alliance et d’amour par laquelle Dieu a suscité l’humanité, l’a accompagnée, s’est choisi un peuple qu’il a arraché à la mort en lui faisant traverser la Mer Rouge, et auquel il a envoyé des prophètes pour réveiller son ardeur qui s’assoupissait. Nous avons entendu comment, peu à peu, Dieu a inscrit dans l’histoire des hommes la trace de sa présence et de son amour, comment il a fait progresser leur perception de la vie humaine, tout comme nous avons été conduit ce soir, depuis le feu qui brulait sur le parvis de la cathédrale jusqu’à la pleine lumière de la Résurrection.

Tous nous vivons, bien ou mal, plus ou moins confusément. Si difficile que soit cette vie, nous avons la faiblesse d’y tenir. Mais nous vivons avec la mort inscrite en nous. Avec ces femmes, Dieu nous conduit vers ce lieu de la mort qu’est le tombeau, là où elles pensent trouver le cadavre de Jésus. C’est une visite triste et nostalgique s’il en est. Mais avec les femmes, nous voulons faire cette visite, honorer le corps du Christ mort. Avant d’accéder au tombeau, il y a une lourde pierre placée là pour le fermer. Les femmes se demandaient comment elles pourraient déplacer cette pierre énorme. Mais elle a déjà été roulée sur le côté ! Dans notre vie, dans notre cœur, dans notre esprit, nous avons d’énormes pierres, d’énormes écrans, d’énormes obstacles qui ferment l’horizon et nous empêchent d’accéder au Christ. Comme ces femmes, nous avons besoin qu’une main puissante jette la pierre sur le côté. Nous avons besoin d’une aide qui nous délivre de tout ce qui obstrue notre chemin vers la vie.

Et voilà le tombeau vide ! Mais notre foi n’est pas de croire au tombeau vide. Un tombeau vide, c’est un tombeau vide. Nous croyons au Christ Ressuscité. Ce n’est pas parmi les morts que l’on va retrouver un vivant. Ce n’est pas dans un tombeau que l’on va trouver le Christ, c’est en Galilée, sur le lieu de la mission où il appelle ses disciples. Nous ne devons pas nous arrêter à ce tombeau vide, mais plutôt nous laisser envoyer dire à nos frères : « Il nous précède en Galilée » (Mc 16, 7), « Il est en avant de nous », il est déjà parti par le monde. Jésus n’est pas enfermé dans nos souvenirs, dans ce qui reste de mort dans notre vie, dans nos fautes, nos faiblesses ou nos résistances. Il est arraché de cette mort pour devenir une espérance de vie pour le monde entier.

Vous qui allez être baptisés ce soir, Dieu ne veut pas vous faire entrer dans un tombeau, un lieu de mort. Il veut vous entraîner dans le chemin où il vous précède. Chacun et chacune, il vous a pris par la main, d’une manière particulière, en fonction de votre vie, de votre personnalité, de votre histoire, de vos attentes et de vos résistances. Pas à pas, il vous a conduits, comme il nous a guidés ce soir à travers l’histoire d’Israël. Comme les femmes, l’Église vous a amenés jusqu’au tombeau, non pas pour que vous preniez une photographie du tombeau vide, mais pour que vous soyez convaincus qu’il n’est pas parmi les morts, et que votre vie ne se trouve pas parmi les morts. Jésus vous précède dans votre vie, dans toute votre existence, dans votre quartier, votre travail, votre famille, chez vos amis… Il est parti en avant de vous et il vous attend. Ne croyez pas que vous avez à apporter seul une nouvelle extraordinaire. Il est déjà passé, et vous attend pour que vous le rejoigniez, là où il est parti, en Galilée, pour annoncer la Bonne nouvelle à toute la terre.

Il est assez naturel que vous ayez un peu peur de vous embarquer pour être témoins qu’un homme est ressuscité d’entre les morts. Si c’était votre propre message, il vaudrait mieux le garder pour vous ! Mais vous allez rendre témoignage à celui qui est déjà parti en-avant de vous. Vous allez parcourir les chemins et les lieux où il est déjà passé. Avec ses femmes, nous allons rejoindre les apôtres, et, à travers eux, la mission de l’Église. Ce n’est donc pas votre histoire, votre personne ou vos mérites qui sont en cause, mais la puissance de Dieu à l’œuvre dans votre vie.

Pour nous qui sommes baptisés de longue date, cette nuit est la nuit du renouvellement de notre baptême. Avec vous, nous allons renouveler la profession de foi baptismale. Avec vous, nous allons nous remettre en marche pour le rejoindre. Avec vous, nous allons le laisser rouler les pierres qui obstruent le chemin pour nous conduire à Lui. Avec vous, nous allons marquer notre conversion en recevant la vigueur initiale de notre baptême.

Frères et sœurs, le Christ n’est pas venu pour nous enfermer dans un tombeau et dans la mort. Il est venu pour que nous ayons la vie. Il est venu pour ouvrir nos tombeaux et nous conduire vers la vie. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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