Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Obsèques de M. le Chanoine Bertrand Derville
Lundi 21 mai 2012 - Cathédrale Notre-Dame de Paris
– 1 Pierre 1, 3-8 ; Ps 41 ; Jn 15, 12-17
Frères et Sœurs,
Le Christ veut que nous recevions sa joie et que sa joie en nous soit parfaite (Jn 15, 11). Le Seigneur est la source de notre joie. « La joie du Seigneur est notre rempart » (Ne 8, 10). La joie de connaître Dieu peut être l’âme de notre vie.
À travers la richesse de la personnalité de Bertrand, tout le monde a pu mesurer à un moment ou à un autre à quel point il était habité par cette joie du Christ. Cette joie n’était ni insouciance, ni indifférence, ni ignorance. Dans toutes les circonstances de son ministère et de sa vie, il a été confronté aux difficultés que rencontrent aujourd’hui tant d’hommes et de femmes, non seulement pour accueillir l’Évangile, mais tout simplement pour vivre. S’il était joyeux, ce n’était pas parce qu’il ne voyait rien, mais parce qu’il savait voir dans la lumière de la foi. La source de sa joie ne se trouvait pas dans l’illusion d’une solution facile des problèmes, mais dans la certitude que Dieu n’abandonne jamais aucun de ses enfants, quelles que soient les épreuves rencontrées, les lieux et les époques. Cette certitude de la foi nous permet d’affronter les difficultés et parfois les drames de l’existence, parce que nous savons que « rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu » (Rm 8, 39). Puisque Dieu nous a tant aimés qu’il nous a donné son Fils (Jn 3, 16) aucun événement, aucune circonstance, aucune faiblesse, aucun péché, aucun drame… rien ne peut rompre cette alliance qu’Il a conclue avec l’humanité.
Dieu n’abandonne jamais son peuple. Et d’une manière particulière, il est toujours avec ceux qu’il a appelés à être ses serviteurs au milieu de son peuple. Cette foi dans la fidélité du Seigneur pour nous doit être la source de notre confiance, de notre sérénité, de notre joie pour tous les moments de notre vie. Il n’est jamais très difficile d’être joyeux quand tout va bien, quand la santé est bonne, quand on vit au milieu de frères prêtres décidés à former une véritable communauté, ou quand la mission pastorale est passionnante, auprès des jeunes ou dans la fondation d’une Fraternité Missionnaire comme ce fut le cas à Franconville. Mais ces dons (de la santé, de la fraternité…) ne sont ni garantis, ni définitifs. Un jour arrivent des moments où il est plus difficile d’être joyeux : quand il faut quitter le ministère auprès des étudiants ou laisser une paroisse à laquelle on est profondément attaché pour aller fonder ailleurs, quand il faut apprendre un nouveau mode de ministère, passer à une mission comme celle du Catéchuménat, et bien-sûr quand vient l’heure où les handicaps de la santé ne permettent plus d’exercer de ministère, et qu’il faut entrer dans une offrande de soi plus du tout aussi facile et exaltante que durant les premières années de sa vie.
Nous qui avons connu Bertrand dans toutes ces étapes jusqu’à la dernière, nous avons été témoins que, quelles que soient les difficultés à vivre et les souffrances qu’il a supportées à certains moments, il ne s’est jamais départi de cette joie, chevillée à son âme par la certitude que Dieu ne l’abandonnerait pas. Nous croyons dans la présence de Celui que nous n’avons jamais vu, nous l’aimons sans le voir encore (1 P 1, 8), nous espérons le voir un jour comme nous espérons que Bertrand le voit aujourd’hui. Mais notre foi n’est pas une sorte de phénomène magique qui serait tombé comme un éclair sur certains ou certaines d’entre nous, et qui – pour des raisons mystérieuses à nos yeux – n’aurait pas touché les autres.
Pour Bertrand cette certitude de la foi est venue à travers les dimensions humaines de son existence : la chaleur affectueuse de sa famille dans laquelle il a vécu l’apprentissage de la vie chrétienne, la confiance et la solidité que peut donner le réseau d’une famille unie et d’amis fidèles, et toutes les expériences de fidélité et d’alliance manifestées à travers les relations humaines. Nous ne découvrons la fidélité indestructible de Dieu qu’à partir de la fidélité indéfectible entre les êtres humains. Mais seule la fidélité de Dieu peut surmonter, assumer et transcender les causes de division, les incompatibilités, les difficultés liées aux événements de l’histoire de notre vie. La confiance donnée à Dieu nous permet de découvrir que la véritable joie ne tient pas à la satisfaction de nos désirs immédiats, mais qu’elle vient de notre enracinement dans la communion à Lui et entre nous.
C’est pourquoi, au moment où il promet cette joie à ses disciples, le Christ renouvelle pour eux le commandement de son amour. La joie qui était au cœur de la vie de Bertrand et dont il nous a donné le témoignage, cette joie, à laquelle nous sommes appelés, s’enracine profondément dans la foi au Christ, dans l’espérance de vivre avec lui pour toujours, et dans la charité qu’il a répandu en nos cœurs par le don de son Esprit. Cette charité est comme l’assise humaine de cette confiance surnaturelle dans la fidélité de Dieu.
Ainsi, frères et sœurs, au moment où nous sommes dans la tristesse puisque Bertrand nous a quittés et que nous voyons se dissoudre une forme de relation avec lui, nous ne sommes pas invités au désespoir mais à l’espérance. Nous sommes sûrs en effet que Dieu n’abandonne pas ceux qu’Il aime. Nous Lui confions Bertrand avec beaucoup d’amour. Nous nous confions à Lui pour qu’Il nous aide nous aussi à vivre de la foi, de l’espérance et de la charité. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris